Le bloc
et l'Androsace
Au courtil
étoilé des torrents et des cimes,
dans une Alpe où le vent gonflé d'azur et d'hymnes
chevauchait de l'aube au couchant,
une Androsace avait fleuri sur le penchant
soleilleux, juste au pied d'un bloc pesant et rude,
menhir silencieux des lentes solitudes.
Et la Fleurette mince, à l'abri du grand corps
de pierre, et balançant son frêle justaucorps
à la brise, lorgnant son ombre élégante, ivre
du glorieux ciel d'août qui vainement dérive,
tutoyait chaque jour l'Univers sans façons
et plaisantait de cent façons
le Bloc, son compère immobile.
"A quoi bon, disait-elle, une masse imbécile,
qui ne sait ni parler, ni remuer, ni voir,
incapable de s'émouvoir?
Le plus mince de mes pétales
recèle à coup sûr plus d'esprit
que cette échine colossale.
Un rien m'anime, il suffit
de l'ombre fraîche d'un nuage.
Mais l'Empereur des orages
ne pourrait ébranler cet énorme benêt !"
Le Bloc resta longtemps impassible et muet.
Puis, rompant tout à coup le cristal des silences :
"Petite soeur, dit-il, je vis... je vois... j'entends..."
Mais
quand il acheva ce morceau d'éloquence
l'Androsace était morte au moins depuis cent ans.
SAMIVEL
- Chapeaux pointus.