Petit texte :
"AU
PIED DE MON ARBRE, JE…
L’arbre et la forêt sont emblématiques.
L’humanité a émergée de la forêt et les
mythologies ont conservé le souvenir de ce point
originel d’avant la conscience du temps.
Le plus souvent, l’image qui nous reste de ce monde
est un jardin d’arbres aux fruits éternellement mûrs
qui s’offrent à la cueillette ou bien nous sont
offerts par des femmes très accueillantes en nous
invitant à les déguster avec elles jusqu’à l’ivresse
dans un présent perpétuel :
Paradis (du persan paridaizas : enclos, jardin, verger du
Seigneur), Eve au jardin d’Eden (de l’hébreu :
volupté), Jardin aux pommes d’or des Hespérides (les
sept filles du roi Atlas, transformé en montagne
pour soutenir le ciel), Ile d’Avalon (du celtique aval
: pomme ; abellio : pommier) où vivent Morgane et
ses six sœurs ainsi que leur frère, le roi Arthus
(le roi-ours, roi forestier en dormition et qui
reviendra à la fin du monde…)... , en sont les plus
vivaces souvenirs…
L’homme quitte la forêt tropicale. Beaucoup
plus tard et beaucoup plus haut en latitude, dans la
grande steppe froide des Ages Glaciaires, l’arbre
(plutôt rare sous ces climats), souvent un bouleau,
est l’unique point de repère vertical dans un monde
horizontal : c’est le pivot, le centre du Monde,
l’Arbre Ancêtre.
Les hommes, chasseurs nomades, ont coutume de le
considérer comme point de ralliement et de réunion.
Cet Arbre Eglise (du latin ecclesia : assemblée) leur impose
progressivement la conscience de sa verticalité pour
devenir, d’abord pilier, puis ascension entre la
terre et le ciel en tant qu’Arbre Cosmique ou
Chamanique.
Odin, la divinité des poètes vikings, a inventé les
Runes dans le Frêne Iggdrasill et les chamans
sibériens vaticinaient sur le faîte d’un bouleau.
Lentement, le climat se réchauffe tandis que recule
la steppe et que gagne la forêt. C’est maintenant le
très vieil arbre vénérable isolé au milieu d’une
grande clairière (ouverte par les bisons, aurochs et
cerfs) au sein de l’immensité végétale qui
représente le centre fondateur de la société.
Ce lieu porte le nom de Nemeton (de nem
: ciel : le ciel sur la terre, la clairière célèste)
là où Ogmios, la divinité celte de
l’éloquence, invente l’alphabet oghamique dit aussi
Beth-Luis-Nion (les trois premières lettres) ou « alphabet
des arbres », lequel est également un calendrier.
Très tôt, l’arbre est associé au savoir.
Nombreux sont encore les Verneuil (verno
: aulne et ialo : lieu ouvert),
Chasseneuil (cassano : chêne et ialo) et
autre Limeil (limo : orme et ialo)…
Entrer en forêt (de fors est :
être hors de) sauvage (de silvaticus, silva : zone
boisée) est initiatique et aventureux (de ad
venturem : aller au devant de ce qui va venir) et
rares sont ceux qui l’osent car elle est peuplée de
personnages puissants qui y perpétuent l’ascension
extatique et la vaticination poétique.
Kernunnos, le « Très Cornu », règne dans le
dédale des puissants troncs d’arbres très anciens.
Merlin à la cape en peau de loup, y est dit d’abord
le sauvage puis le fou et enfin l’enchanteur. Il vit
dans un château en cristal aux milles portes et
fenêtres sur le faîte d’un pommier, pour moitié
toujours en fleurs et en fruits. Viviane,
l’envoûteuse Dame du Lac, l’enserre en une forêt
enchantée après qu’il lui eut enseigné tout son art.
Le barde Taliesin au front brillant y chante le Câd
Coddeu, le Combat des Arbres qui avancent comme
une armée d’hommes…
Le temps passe. La cognée, les troupeaux
et la charrue des moines venus du sud ouvrent
progressivement le paysage à la lumière tout en
rejetant dans l’ex-communion : charbonniers, meneurs
de loups, sorcières herboristes et autres sombres
figures des bois.
Le chat sylvestre rode dans la futaie
et les sylvides fauvettes chantent dans le
bosquet mais le petit charbonnier veut déjà
marier la fille du laboureur et de la laitière car
il désire la lumière des essarts où ils
vivent.
Il faut être futé pour pratiquer les
chemins de la forêt semés d’embûches et de
brigands au nez busqué qui peuvent tendent
des embuscades à tous moments. Mais les
porchers continuent la glandée sur les lisières et
les chasseurs s’y embusquent à l’affût pour
débusquer le cerf rembuché au risque d’être dévoré
par le Sauvage, d’être enragé, touché par la rage
silvatique, s’ils la fréquentent trop assidûment.
Et les chevaliers des romans courtois poursuivent
leur Quête du grand cerf blanc dans la pénombre de
la forêt cathédrale-labyrinthe aidés en cela par les
conseils et les rêves de saints-ermites qui ont
établi leur chapelle-ermitage près des sources ou
dans les vieux chênes.
Au jor de Pasque, au tans novel
a Quaradigan, son chastel,
ot li rois Artus cort tenue ;
einz si riche ne fu veüe,
que molt i ot boens chevaliers,
hardiz et combatanz et fiers,
et riches dames et puceles,
filles de rois, gentes et beles ;
meis einçois que la corz fausist,
li rois a ses chevaliers dist
qu’il voloit le blanc cerf chacier
por la costume ressaucier.
Nos savomes bien tuit piece a
quel costume li blans cers a :
qui le blanc cerf ocirre puet
par reison beisier li estuet
des puceles de nostre cort
la plus bele, a que que il tort.
Erec et Enide - Chrétien de
Troyes - XIIème siècle.
Le travail fait son oeuvre et les
essarts progressent au point où le bocage s’installe
dans le paysage. Isolé dans le pré ou maintenue en
ligne dans la haie, on se détourne de l’arbre tandis
que le cœur de la société devient, là où est le
marché, l’église de la place du village avec son
clocher de pierre dressé vers le ciel.
La tradition orale rurale des conteurs anonymes
conserve encore sur quelques générations la trace de
ce très long passé forestier au travers d’images
comme arbres aux fées, arbres de mai (le Mai),
haricots qui poussent jusqu’au ciel et même mâts de
cocagne mais le monde sylvestre s’est profondément
modifié.
La forêt résonne de la voix des meutes de chiens
courants des chasses à courre de la noblesse
arrogante et le petit peuple en est exclu :
« Défendons à toutes perfonnes de prendre en
nos Forêts, Garennes,
Buiffons & Plaifirs, aucuns aires d’oifeaux, de
quelque efpèce que ce foit ;
& en tout autre lieu, les œufs de Cailles, Perdrix
& Faifans, à peine de cent livres d’amende pour la
première fois, du double pour la feconde, & du
foüet & banniffement à fix lieües de la Forêt
pendant cinq ans pour la troifième.
...
Permettons néamnoins à tous Seigneurs, Gentilhommes
& Nobles de chaffer noblement à force de chiens
& oiseaux dans leurs Forêts, Buiffons, Garennes
& Plaines pourvû qu’ils foient éloignez d’une
lieüe de nos Plaifirs, même aux Chevreüils & bêtes
noires, dans la diftance de trois lieües.
Leur permettons auffi de tirer de l’arquebufe fur
toute forte d’oifeaux de paffage & de gibier, hors
le cerf & la biche, à une lieüe de nos Plaifirs,
tant fur leur terre, que fur nos Etangs, Marais &
Rivieres. »
Ordonnance de Colbert –
1669
Et cela est semblable pour les ressources
végétales ligneuses. Alors paysans et autre menu
peuple sont contraints d’y vivre dans la
clandestinité jusqu’au mythique Raboliot de Maurice
Genevoix d’entre les deux guerres et même après.
Le braconnier y chasse avec un braque (un chien
d’arrêt silencieux) et le bricolier ou bricoleur y
pose des bricoles ou collets qu’il relève
régulièrement de droite de gauche, en allant de ci
et de là.
La forêt constitue de même un refuge pour les
rebelles à l’autorité dont le plus célèbre est Robin
des Bois..."
Alain LETEVE* et Pascal
MARGUET - Article paru en
novembre 2003 dans l'Arantèle (revue du
Réseau d'Education à l'Environnement 05&Ecrins).
Pour télécharger l'intégralité de l'article
(en format PDF),
cliquez [ici]
J'ai aussi intégré ce texte au livret sur la
"Terre" :
pour le voir, cliquez sur l'animation
ci-dessous

ou [ici]
Attention, c'est une animation en "flash"
qui peut prendre un peu
de temps à télécharger. Il y a de la musique :
allumez vos hauts-parleurs !.
Cliquez sur "play", la petite
flèche en bas de la première page.
* Alain est un ami,
photographe-naturaliste et haut-alpin : j'ai déjà
parlé de lui et de son [site internet]
dans une précédente "newsletter".