Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°945 (2024-45)
mardi
5 novembre 2024
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Nouveau poster pour la Margotte ! Le printemps 2024 |
Au lever du soleil... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 1er septembre 2024 Les mouches... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 1er septembre 2024 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 1er septembre 2024
Pissenlit Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 1er septembre 2024
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 1er septembre 2024 Epeire
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 1er septembre 2024
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 1er septembre 2024 Laitue serriole (en graine) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 1er septembre 2024 Loge n° 5 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 1er septembre 2024
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 6 septembre 2024
Achillée millefeuille Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 6 septembre 2024
Punaise à damier
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 8 septembre 2024 Laitue serriole
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 14 septembre 2024 [à suivre...] |
"Chapitre 1 Munich, Allemagne, 20 décembre 1951Erik Fleisher se félicitait de sa bonne fortune. Son épouse était une femme séduisante au sourire radieux, au regard ensorcelant, à la chevelure dorée cascadant sur les épaules. Et toujours aussi éprise de lui au bout de cinq années tumultueuses. Il avait deux merveilleux enfants blonds aux yeux bleus, clones de leur mère. Enfin, sorti quasiment indemne de la guerre, il avait hérité de la villa bavaroise de ses parents et ouvert, dans cette banlieue verdoyante, un cabinet fréquenté par une clientèle aisée – la nouvelle classe moyenne florissante née des cendres de la folie de Hitler. La vie s’annonçait belle et l’horizon sans tache. Comment aurait-il pu se douter qu’il allait tout perdre en une nuit ? Assis dans le salon, il lisait son journal du soir, bercé par les éclats de rire qui jaillissaient de la salle à manger contiguë où les deux enfants et leur mère jouaient à un jeu de société. Il baissa la tête de façon à pouvoir les regarder par-dessus ses lunettes et, comme toujours, la simple vue de Magda suffit à éveiller son désir, ainsi que l’envie de lui faire un troisième, voire un quatrième enfant. Après un coup d’œil à sa montre, il replia son journal, le posa à côté de lui et lança : – Je redescends d’ici un quart d’heure. La tête à moitié tournée vers lui, Magda répondit : – Le dîner sera prêt dans vingt minutes. Au premier étage, son cabinet occupait une pièce élégante lambrissée de chêne. Une bibliothèque dont les étagères croulaient sous le poids des livres ayant appartenu à son père couvrait un mur entier. Les hautes fenêtres encadrées de rideaux en velours donnaient sur le boulevard et le parc plongé dans le noir. Sentant le froid extérieur se coller aux vitres telles des paumes glacées, il tira les lourdes tentures avant de s’asseoir à son bureau qu’éclairait une lumière tamisée et sur lequel les dossiers de ses patients étaient méticuleusement rangés. Il consulta son agenda. Premier rendez-vous le lendemain matin, à huit heures trente. Un soupçon d’insatisfaction le saisit à la perspective de l’interminable défilé de femmes enceintes qui l’attendait. Mais il ne pouvait pas se laisser contrarier pour si peu alors que la chance lui souriait. Il se préparait à ouvrir le premier dossier quand le téléphone sonna. Allongeant le bras hors du cercle de lumière, il décrocha le combiné. À l’autre bout du fil, la voix était rauque, tendue, à peine plus forte qu’un murmure : – Ils arrivent ! Pars ! Tout de suite ! Il se leva si brusquement que son fauteuil se renversa. Il l’entendit heurter le sol derrière lui. D’un bond, il alla écarter de quelques millimètres les rideaux de la fenêtre la plus proche afin de scruter une nuit désormais remplie de démons. Bien qu’il fût pratiquement impossible de voir quoi que ce soit au-delà des réverbères, il lui sembla distinguer des ombres mouvantes parmi les arbres du parc. Le moment était arrivé. Il en avait enfoui l’éventualité au plus profond de sa conscience, mais cela ne l’empêchait pas de retrouver immédiatement des réflexes qui n’avaient rien perdu de leur efficacité. Les doigts tremblants, il sortit ses clés de sa poche, déverrouilla le tiroir du bureau, s’empara du pistolet militaire dont le métal lui parut très froid sous sa paume. Puis il traversa la pièce, ouvrit en grand la porte d’une penderie remplie de manteaux, vestes, chaussures impeccablement alignés et choisit un gros pardessus en laine. Glissant l’arme dans une poche, il jeta le manteau sur ses larges épaules avant de ramasser le sac en cuir, préparé spécialement en prévision de ce moment. Sans s’arrêter une seconde pour réfléchir, ou jeter un regard chargé de regrets à son cabinet, il gagna à toute vitesse l’escalier de service, au bout du palier. L’instant n’était propice ni à la réflexion ni à l’affliction. La moindre hésitation serait fatale. Cependant, tandis qu’il dévalait les marches, l’image de Magda et des enfants assis à la table de la salle à manger lui traversa l’esprit. Il n’avait pas le temps de leur dire au revoir. Inutile. C’était fini. La cave dégageait une odeur aigre, fétide. L’air y était humide et glacé. Il trébucha dans le noir, trouva la porte, la serrure. Dehors, le froid lui gifla le visage. Son haleine s’échappait de sa bouche en tourbillons blancs. Il enfonça son chapeau sur sa tête et s’arrêta pour écouter, observer prudemment la ruelle séparant les maisons de granite. Sur le boulevard, la circulation était quasi nulle. Mais entre les arbres, les ombres avaient maintenant pris la forme d’une demi-douzaine d’hommes regroupés. Le bout incandescent de plusieurs cigarettes brillait dans l’ombre. Soudain, il y eut un crissement de pneus. Des phares illuminèrent la nuit. Des voitures montèrent sur les trottoirs. Des portières claquèrent. Une cigarette projeta une gerbe d’étincelles, les hommes sortirent du parc en courant. Erik referma la porte et fila vers l’allée qui longeait l’arrière de la villa, craignant à moitié que celle-ci n’ait déjà été encerclée. Mais non – ils ne se doutaient pas qu’on l’avait prévenu. Alors que résonnaient à grand bruit les coups frappés sur la porte et les éclats de voix, il s’enfonça rapidement dans les ténèbres vers un avenir inconnu, rempli de peur et d’incertitude. Agadir, Maroc, 29 février 1960Du haut des remparts de l’ancienne cité, la vue sur le port et la baie était spectaculaire. Yves ne cessait de s’en émerveiller. Il avait eu la chance de trouver un studio dans la casbah, au dernier étage d’un ancien riad, en plein cœur de la vieille ville. Pas très grand, mais suffisant pour un célibataire. Sa terrasse dominait un enchevêtrement de toits et de ruelles. Yves adorait la vie de la casbah. Le matin, il aimait être réveillé par l’adhan qui s’élevait du minaret voisin, la voix plaintive du muezzin appelant les hommes à s’entretenir avec leur Créateur. Bien qu’il ne fût pas lui-même croyant, il trouvait ce rituel spirituel émouvant ; il regrettait même que son manque de foi le prive de cet instant de partage. Aujourd’hui, la vue était toujours aussi splendide. Pourtant, en franchissant les murs au volant de sa voiture, il prêta à peine attention à la beauté du banc de brume qui, le long de la côte, accrochait les premières lueurs roses du jour. Le soleil se levait sur le désert. Concentré sur son rétroviseur, il repéra la Citroën noire au milieu du chaos des véhicules à moteur, carrioles à cheval et charrettes à bras. Il l’avait guettée tout en espérant être, en fin de compte, victime de son imagination débridée. Mais non, elle était encore là. Jurant en silence, il continua à descendre la route en lacets vers le port de pêche. Au bord du quai, les chalutiers rouillés s’alignaient, serrés comme les sardines qu’ils avaient rapportées pendant la nuit. Il jeta un coup d’œil vers le haut de la pente aride et rocailleuse couverte d’un fouillis de broussailles vert pâle. La Citroën attaquait un virage en soulevant un nuage de poussière. Cela faisait une semaine qu’il la voyait. Des gens ordinaires ne l’auraient même pas remarquée. Mais Yves n’était pas un homme ordinaire. Sa vie n’avait qu’une apparence de normalité. Il ne se passait pas une heure, pas une minute sans qu’il ne jette un regard inquiet par-dessus son épaule. C’était devenu instinctif, aussi instinctif que le fait de respirer. Sans arrêt surveiller, scruter les visages, repérer le moindre détail inhabituel. Sans arrêt s’attendre à les voir, sachant qu’ils étaient là. Quelque part. Et qu’ils le cherchaient. Lorsque la Citroën se rapprocha, le visage du conducteur lui apparut dans un bref éclat de soleil et se grava sur sa rétine. Un visage familier. Rond. Chauve. Pourquoi familier ? Il l’ignorait. Il savait seulement qu’il l’avait déjà croisé. Les hommes qui l’accompagnaient demeuraient dans l’ombre. Ses soupçons se muèrent vite en certitude, puis en peur. Ils l’avaient trouvé. Ils le suivaient. Tôt ou tard, ils l’attraperaient. Yves poussa un profond soupir. Il était temps de se remettre en route..."
Peter MAY - L'Ile au
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