Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°940 (2024-40)

mardi 1er octobre 2024

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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A SCARLATTI - Il giardino di rose
"Mentre io godo"

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Chroniques photographiques
de la loge n° 5

Courvières (Haut-Doubs),
loge n° 5
début-août 2024

été

  3 matinées



Au lever du soleil...
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024


Jeune Rougequeue noir
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024



Rougequeue noir mâle
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024

7h00
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024



Serin cini
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024

Laitue serriole
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024



Laitue serriole : feuille
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024

La Virgule
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024

Ail des montagnes
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024





Ononis : Arrête-Boeuf

Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024


Ail potager
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024



Verveine
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024

Chenille
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024



Carotte sauvage - Daucus carota
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024

La loge
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 3 août 2024



Au lever du soleil...

Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

dimanche 4 août 2024

Jeune Rougequeue noir
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

dimanche 4 août 2024



Depuis l'affût...
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

dimanche 4 août 2024



Abeille domestique
(sur un Cirse vulgaire)

Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

dimanche 4 août 2024

Carotte sauvage (en fleur)
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

dimanche 4 août 2024



Carotte sauvage (en fruit)
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

dimanche 4 août 2024



Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
dimanche 4 août 2024



Au lever du soleil
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

vendredi 9 août 2024



Jeune Brocard
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

vendredi 9 août 2024



Pigeon ramier
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

vendredi 9 août 2024



7h00
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

vendredi 9 août 2024



Jeune Rougequeue noir
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

vendredi 9 août 2024



Etirement
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

vendredi 9 août 2024



Jeune Bergeronnette grise
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

vendredi 9 août 2024









Bergeronnette grise adulte
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

vendredi 9 août 2024

























Fleurs d'Alchemille
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

vendredi 9 août 2024






La loge
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

vendredi 9 août 2024


[à suivre...]





Suggestion de lecture :

"I

« Ver de terre, d’abord, ce n’est pas très gentil comme nom, c’est fait pour blesser. Il vaut mieux parler de lombrics pour leur redonner un peu de dignité scientifique. Famille : lombricidae. Espèce : lombricus terrestris. Et ces lombrics représentent la première biomasse animale terrestre. Autrement dit, si on les met tous sur une balance, ils pèseront plus lourd, et de loin, que les Homo sapiens, les éléphants et les fourmis réunis. Pour donner un ordre de grandeur, il y en a entre une et trois tonnes à l’hectare, en tout cas dans les sols où l’homme n’a pas posé ses sales pattes. »

Cette courte vidéo du professeur Marcel Combe qui circulait sur Youtube avait donné envie à Arthur de venir assister à sa conférence. Mais en entrant dans l’immense amphi quasi vide et qui sentait le neuf, entre ces murailles de bois reconstitué qui voulaient donner un cachet « nature » et ne parvenaient qu’à souligner le squelette de verre et d’acier des bâtiments alentour, parmi ces étudiants dispersés dans les travées et qui n’échangeaient pas un regard, Arthur se sentit découragé. Ce n’était pas ainsi qu’il avait imaginé ses études d’agronomie.

Arthur se demandait par quelle aberration on avait déménagé AgroParisTech dans le désert bétonné du plateau de Saclay. La promo précédente avait encore pu passer sa première année d’école au château de Grignon, au milieu de trois cents hectares de champs et de forêts. Des générations d’étudiants avaient appris là-bas à traire les brebis et à baiser dans les taillis. Au lieu de quoi, Arthur devait badger vingt fois par jour sur les portiques et se repérer dans un dédale de couloirs anonymes où seuls changeaient les numéros sur les portes. Depuis six mois qu’il avait intégré l’école, il n’avait jamais aussi peu vu la nature. Dehors ne gazouillaient que les bulldozers éventrant le sol. Les chambres étudiantes ressemblaient aux salles de cours qui elles-mêmes ressemblaient à des vestiaires de gym. Il est certain que l’on gagnait du temps sur ce campus où tout était à disposition, mais du temps pour quoi faire ? Pour mater du porno, pour travailler encore et encore sur les meilleures formules chimiques ? Qui avait envie de boire un verre dans une cafèt nettoyée deux fois par jour ou de chanter dans un bureau des élèves posé au milieu du terre-plein central comme un bocal à poissons ?

Dès le premier jour, Arthur s’était considéré en exil. Autrefois une des terres les plus fertiles de France, le plateau de Saclay avait été transformé en désert fonctionnel, une interminable zone commerciale où les enseignes auraient été remplacées par « Polytechnique », « Télécom » ou « École normale supérieure ». On prétendait y rassembler les meilleurs cerveaux de France, étudiants comme chercheurs. Mais que devient un cerveau prisonnier d’un espace implacablement géométrique, aveuglé par les néons blafards des couloirs, immergé dans une forêt de grues ? Une supermachine atrophiée, prête à se reproduire avec d’autres supermachines pour concevoir un monde de supermachines. Était-ce la mission que l’on fixait désormais aux futurs ingénieurs agronomes d’AgroParisTech ? Apprendre les bons éléments de langage sur l’agriculture régénérative pour transformer en toute bonne conscience les fermes françaises en usines à viande couvertes de panneaux solaires ?

Le plus pervers dans cet aménagement consistait à introduire quelques touches champêtres, comme un regret. Après avoir monté un interminable escalier depuis l’arrêt du RER B, l’étudiant haletant avait la surprise de pénétrer dans un petit bois puis dans un champ de roseaux avant de retrouver les allées pavées et le gazon tondu à ras. Sur le campus lui-même, une noue soigneusement délimitée préservait quelques mètres carrés de nature sauvage. Autour de la minuscule plage de gravier s’étaient réfugiés des touffes d’herbes hirsutes, des joncs lançant leurs fleurs havane en bouquets et quelques renoncules flottant sur l’eau comme des marguerites géantes. Mare au diable pour promeneur de l’anthropocène.

De toute façon, Arthur s’était juré que cet exil serait provisoire. Une fois obtenu le diplôme que la société exigeait de lui, il serait quitte. Quand on lui demandait dans quel secteur d’activité il envisageait de se lancer à la sortie de l’école, il répondait : « cultiver mon jardin ». C’était flou mais sincère.

Arthur se trouvait toujours à l’entrée de l’amphi, hésitant. Il aurait sans doute tourné les talons s’il n’avait aperçu ce garçon aux cheveux blonds bien peignés et aux pommettes marquées. Tout en lui respirait la bonne santé et la paix d’esprit : son T-shirt gris qui laissait deviner un corps fin et musclé ; son ordinateur sagement fermé sur la table devant lui ; son air impassible, attendant les événements sans se dandiner sur son siège ni tripoter son téléphone. Arthur le trouva singulier, très différent de la foule de leurs semblables qui s’agitaient sur eux-mêmes. Il s’avança jusqu’à lui et déplia le siège d’à côté. Le garçon blond déplaça son ordinateur pour faire de la place et tendit sans façon la main à Arthur, comme s’ils se croisaient sur un stand de foire agricole. Une telle spontanéité n’était pas habituelle, même parmi les étudiants. Surtout parmi les étudiants.

— Salut. Kevin. Kevin sans accent sur le « e ».

C’est drôle, se dit Arthur, il n’a pas une tête de Kevin, encore moins de Kevin sans accent sur le « e ». Il se reprocha immédiatement cette pensée stupide et se présenta à son tour. Kevin lui sourit sans rien dire. Ils ouvrirent tous les deux leur ordinateur. La conférence allait commencer. Titre : « Avancées et défis de la géodrilologie ». Géodrilologie, la science des vers de terre. Autant dire que, pour cet exposé qui ne figurait dans aucune partie du cursus obligatoire, il n’y avait pas foule.

— Je n’aurais peut-être pas dû venir, murmura Arthur pris d’un dernier remords. J’ai un TD à rendre pour demain.

— Il ne faut pas dire ça, intervint Kevin. C’est très cool, les vers de terre.

— Pourquoi ? Parce qu’on peut les couper en petits morceaux ?

— Non. On les tue en faisant ce genre de bêtises.

— Alors, pourquoi c’est cool ?

— Déjà, ils sont hermaphrodites. Pas très fréquent chez les animaux. C’est ce qui me fascinait quand j’étais gosse. Mâle et femelle à la fois.

— À ce compte-là, les escargots aussi… dit Arthur en se levant.

Trop tard. Marcel Combe, « spécialiste mondialement reconnu », comme prétendait l’affiche qui annonçait la conf, fit son apparition. Arthur reprit sa place. Après tout, pourquoi pas. Il était déjà intrigué par le conférencier. Il aurait imaginé un laborantin au teint cireux. C’était un vieux lion de plus de quatre-vingts ans, crinière bouclée, regard clair, gueule de boxeur, larges épaules. Il était vêtu avec soin. Son costume sombre lui donnait un air d’importance. Sa cravate à pois était retenue par une pince en argent. Les vers de terre avaient leur Jean Gabin.

Le professeur Combe savoura son effet. Il parcourut d’un regard blasé l’assistance clairsemée puis contempla le dispositif électronique dernier cri incrusté dans le bureau en bois massif de l’estrade.

— Mazette ! Vous êtes gâtés, commenta-t-il d’une voix éraillée.

Murmures dans la salle. Les étudiants des grandes écoles adorent secrètement qu’on leur rappelle leurs privilèges.

— Ils ont dû en tuer des vers de terre, pour construire ce campus !

Silence. Arthur pensa à la scène de Sept ans au Tibet où les moines bouddhistes de Lhassa sauvent à la main les vers de terre avant de couler les fondations d’un bâtiment. Les architectes occidentaux ne prenaient pas ces précautions. Arthur guetta la réaction de Kevin qui restait droit sur sa chaise, les doigts prêts à frapper le clavier à la première information digne d’être notée.

— Je me présente. On va aller vite sur les diplômes : je n’ai pas été plus loin que le certificat d’études. J’ai commencé comme jardinier. Je me suis fait sur le tas. Et puis j’ai été directeur de recherche à l’Inra, qui si j’ai bien compris va déménager ici, à côté de chez vous. Ils auront de très jolis labos et pourront passer encore moins de temps sur le terrain, dans les champs. Comme ça, ils diront encore plus de conneries.

Léger hoquet. L’Inra, Institut national de la recherche agronomique, ce n’est tout de même pas rien. Arthur se demanda s’ils avaient affaire à un génie des sciences ou à un complotiste taré. Kevin attendait toujours face à son écran, la barre du curseur clignotant sur le document vierge.

« Ce sont les lombrics, vous le savez, qui assurent l’essentiel de la vie du sol. Grâce à leur incessante digestion, qui leur permet d’ingérer chaque jour l’équivalent de leur propre poids, ils décomposent les matières organiques en éléments biogènes qui pourront ensuite alimenter les plantes. On estime que les lombrics avalent et rejettent chaque année trois cents tonnes à l’hectare. Oui, vous avez bien entendu, trois cents tonnes ! En fait, la terre sur laquelle vous marchez, la terre qui nous donne à manger, c’est en bonne partie du lombrimix, c’est-à-dire du caca de ver de terre. Voilà pourquoi le grand Charles Darwin estimait que notre lombric est l’animal le plus important de l’évolution naturelle. Sans lui, tout s’écroule. »

— Ah oui, Darwin, murmura Arthur.

De vieux souvenirs d’une biographie de Darwin lui revinrent.

— C’est son dernier livre, expliqua-t-il d’autorité à son voisin. Il a passé des années à étudier les vers de terre dans son jardin.

Kevin hocha la tête.

« … deux cent soixante-dix tonnes par hectare et par an ! », s’exclama le professeur.

Arthur avait perdu le fil du cours. Il nota le nombre mécaniquement.

« Darwin s’était contenté de calculer le poids des excréments déposés à la surface. Je suis le seul à avoir calculé le poids total du lombrimix, y compris sous terre. Le seul depuis Darwin ! »

Arthur et Kevin échangèrent un regard amusé.

« … donc j’espère que vous serez désormais plus polis avec les lombrics. »

Marcel Combe avait planté le décor avec ses chiffres, ses références et ses formules mille fois assénés, probablement suffisants pour ébaubir des salles de béotiens. Mais son auditoire restait sceptique. Les études d’agro consistent en bonne partie à écouter des spécialistes expliquer l’importance vitale de leur domaine et l’injustice qui le frappe, avant de plaider pour davantage de financements. Marcel Combe sortit alors sa carte maîtresse : la reproduction du ver de terre.

« Les mœurs des lombrics sont tout à fait fascinantes. Contrairement à leurs ancêtres marins, les lombriciens terrestres sont hermaphrodites. Chaque individu est doté d’un sexe mâle, parfois sous la forme d’un minuscule pénis, et d’un sexe femelle. »

Kevin eut un sourire entendu à l’attention d’Arthur.

« La copulation se fait tête-bêche. La chose peut durer plusieurs heures, ce qui met en perspective nos performances, à nous autres humains ! »

À peine deux ou trois gloussements étouffés. Les blagues de Marcel Combe n’étaient à l’évidence pas adaptées aux étudiants d’AgroParisTech. Arthur n’avait qu’une obsession, celle de ne pas finir comme ça. En vieux scientifique paillard.

« Les deux partenaires vont échanger leur sperme sans le mélanger. Ensuite, côté femelle, chacun va fabriquer des ovules puis empaqueter le tout dans un cocon qu’il déposera sur le sol. Il ne reste plus à la fécondation qu’à advenir toute seule si je puis dire, en tout cas à l’extérieur du corps parental. Ensuite, l’embryon deviendra larve et le vermisseau percera son cocon comme des milliards de milliards de vermisseaux depuis plus de deux cents millions d’années, accomplissant sa mission d’entretien de notre terre pour laquelle nous lui sommes si peu reconnaissants. »

La chute était assez jolie. Mais il fallut que Marcel Combe gâche tout.

« Au fond, la reproduction du ver de terre, c’est du sexe homo suivi par une PMA entre filles. »

L’amphi se réveilla enfin. « Mais c’est qui, ce vieux con ? », s’exclama Arthur auprès de son voisin qui rigolait franchement. Plusieurs étudiants se levèrent, scandalisés. Ils firent comprendre en termes crus à Marcel Combe qu’on ne plaisantait pas avec ces sujets-là. Et surtout pas de cette manière.

« Mais n’y voyez aucun jugement de ma part… », se défendit-il maladroitement. Il était davantage habitué à un public d’agriculteurs âgés qui se régalaient de ses sorties « politiquement incorrectes », comme il disait lui-même avec fierté.

Personne n’aurait pensé qu’une conférence sur les vers de terre puisse susciter une telle effervescence. Comme les étudiants d’AgroParisTech sont bien élevés, la plupart se contentèrent d’envoyer des tweets furieux #lombrifacho. Certains sortirent de la salle en menaçant Marcel Combe des pires rétorsions. Arthur hésita à les suivre. Mais un coup d’œil à son voisin qui attendait posément la suite, l’air ravi, l’en dissuada.

— Ça ne te choque pas ? demanda-t-il quand même à Kevin.

— Non, c’est plutôt drôle.

Le professeur passa une main hésitante dans sa crinière blanche. Avec leurs taches et leurs plis, les mains trahissent ceux qui ne font pas leur âge. Elles prennent les rides qu’on économise ailleurs. Le spectacle de Jean Gabin ainsi défait, sorti de scène, n’était une victoire pour personne.

Marcel Combe soupira. « Je vais à présent partager avec vous les résultats de cinquante ans de recherche… », reprit-il en s’accrochant à ce qui, dans ce monde qu’il ne comprenait plus, pouvait encore lui valoir d’occuper une place. Cinquante ans dans les champs et les laboratoires, à tripoter, observer, mesurer, disséquer des vers de terre. Cinquante ans à publier des articles de recherche lus par une poignée d’obscurs géodrilologues. Cinquante ans à essuyer des quolibets ou des regards gênés à chaque fois qu’on lui demandait son métier.

Son exposé, décliné avec une rigueur froide, chiffres et graphiques à l’appui, enchanta Arthur. Il découvrit tout un univers souterrain. Les espaces infinis qui fascinent les philosophes ne se trouvent pas au-dessus de nos têtes mais sous nos pieds. Les vers de terre transforment le sol en un dédale de chemins, de croisements, de puits et de cachettes. Chaque mètre carré de sol dissimule cinq mètres de galeries, un réseau encore plus dense que celui des pyramides. Ce sont elles qui permettent de remonter depuis les entrailles de la Terre les éléments nutritifs nécessaires à la vie et, inversement, qui drainent l’eau de pluie pour la garder en réserve. Sans cette architecture complexe, les sols se tassent, l’eau ruisselle en surface et les plantes restent affamées.

Les vers de terre sont des pharaons aveugles. Ils prennent le temps de vivre, souverains d’eux-mêmes et maîtres de leur horloge biologique. Fuyant la lumière, ils sillonnent lentement leur royaume, se rétractant et s’allongeant comme des accordéons. Ils ne risquent pas de s’étouffer : ils respirent par la peau. Pour ne manquer de rien, ils entreposent leurs propres déjections et les réingèrent après fermentation. L’hiver, ils hibernent, roulés en boule dans une léthargie profonde. L’été, ils fuient la chaleur et se regroupent dans des chambres au frais, descendant plus profond à mesure que la température du sol augmente. Ils discutaillent en laissant passer la sécheresse. À leur mort au bout de deux ou trois ans, lorsqu’ils comparaissent devant Osiris qui pèse les cœurs, ils sont les champions : ils en possèdent cinq.

Naturellement, il y a ver de terre et ver de terre. On en recense plus de cinq mille espèces réparties sur tous les continents. Le professeur Combe les avait étudiées en détail. Il avait minutieusement reconstitué leur destin biopaléogéographique en fonction de la tectonique des plaques. Il était allé les palper aux quatre coins du monde. Il avait inventé d’innombrables expérimentations. Kevin tapait sans discontinuer sur son clavier. Ce qui séduisait le plus Arthur, c’était l’humilité scientifique qui perçait sous les rodomontades du vieux tribun. Marcel Combe ne cessait de rappeler le caractère balbutiant de la géodrilologie et, plus largement, de l’étude des sols. Il est certain que la pratique intensive de la géodrilologie, discipline ignorée du grand public et méprisée des autres chercheurs, doit inviter à la modestie..."

Gaspard KOENING - Humus


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