Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°938 (2024-38)
mardi
17 septembre 2024
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Courvières
(Haut-Doubs), 4 matinées
Au lever du jour... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 26 juillet 2024 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 26 juillet 2024 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 26 juillet 2024
7h00... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 26 juillet 2024 Les mouches
Rougequeue noir
(jeune)Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 26 juillet 2024 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 26 juillet 2024 Achillée millefeuille (à fleurs roses) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 26 juillet 2024 Abeille domestique, sur une fleur de Cirse des champs Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 26 juillet 2024
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 juillet 2024
Mouches Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 juillet 2024
Liseron
Rougequeue noir (dans l'ombre) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 lundi 29 juillet 2024
Toilette Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 lundi 29 juillet 2024 Jeune Rougequeue noir Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 lundi 29 juillet 2024 Dans l'affût... (avez-vous repéré l'oiseau ? juste au dessus du bout de l'objectif...) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 lundi 29 juillet 2024 Pouillot sp. Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 lundi 29 juillet 2024
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 lundi 29 juillet 2024 Zygène Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 lundi 29 juillet 2024 Au lever du jour Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 31 juillet 2024 Rougequeue à front blanc (jeune) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 31 juillet 2024
Jeune Rougequeue noir à sa toilette (flou-filé) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 31 juillet 2024
7h00 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 31 juillet 2024 Potentille ansérine Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 31 juillet 2024 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 31 juillet 2024 Azuré sp. Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 31 juillet 2024 Cirse vulgaire Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 31 juillet 2024 Vulcain et abeille Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 31 juillet 2024 [à suivre...] |
"CHAPITRE UN Quand Fin ouvrit les yeux, une étrange lumière rose inondait l’intérieur du vénérable refuge en pierre qui les avait abrités de l’orage. Dans l’air immobile, de la fumée s’élevait paresseusement du foyer presque éteint. Whistler n’était plus là. Fin se dressa sur les coudes et vit que la pierre qui fermait l’entrée avait été roulée sur le côté. Dehors, s’étendait la brume de l’aube, suspendue au-dessus des montagnes. L’orage était terminé. Il avait déversé ses torrents de pluie et laissé dans son sillage un calme insolite. Avec difficulté, Fin sortit de sous les couvertures et rampa vers le feu jusqu’à ses vêtements qui séchaient, étalés sur la pierre. Ils étaient encore un peu humides, mais suffisamment secs pour qu’il puisse les enfiler. Il se coucha sur le dos et se glissa en gigotant dans son pantalon avant de s’asseoir pour boutonner sa chemise et enfiler son pull. Il remonta ses chaussettes, mit ses chaussures de marche sans prendre la peine de les lacer et se glissa à l’extérieur, vers le flanc de la montagne. La vue qui l’accueillit était presque surnaturelle. Les montagnes du sud-est de Lewis se dressaient tout autour de lui et allaient se perdre dans l’obscurité des nuages les plus bas. À ses pieds, la vallée semblait plus large que pendant la nuit, à la lueur des éclairs. Semblables à des spectres, les gigantesques éclats rocheux jonchant le fond émergeaient de la brume qui progressait en volutes depuis l’est où le soleil, encore caché, projetait une inquiétante lueur rouge. On se serait cru à l’aube des temps. Derrière les abris en ruines qu’on appelle des ruches en raison de leur forme, la silhouette de Whistler debout sur une crête dominant la vallée se découpait contre la lumière. Fin, d’un pas mal assuré sur le sol détrempé, le rejoignit avec peine. Whistler ne sembla pas remarquer sa présence. Il paraissait statufié, figé dans l’espace et le temps. Son visage, dont toute couleur avait disparu, inquiéta Fin. Sa barbe évoquait des touches de peinture noire et argentée déposées sur une toile blanche. Son regard, sombre et impénétrable, se perdait dans l’ombre. « Qu’est-ce qu’il y a, Whistler ? » Whistler ne répondit pas. Fin se tourna pour voir ce qu’il observait. Dans la vallée, la vue qui s’offrait à ses yeux le dérouta. Il comprenait ce qu’il voyait, mais ce qu’il voyait n’avait aucun sens. Il pivota sur lui-même et son regard courut au-delà des ruches, jusqu’au tas de rochers qui les surplombait et à la pente caillouteuse qui escaladait l’épaule de la montagne où il s’était tenu la nuit précédente et d’où il avait vu les éclairs se refléter dans le lac en contrebas. Ses yeux revinrent vers la vallée. Il n’y avait plus de lac. Juste un grand trou vide. Son contour était clairement visible là où, au fil du temps, l’eau avait lentement rongé la tourbe et la roche. À en juger par la dépression qu’il avait laissée dans le sol, il devait mesurer un kilomètre et demi de long, huit cents mètres de large, et entre quinze et vingt mètres de profondeur. Le lit était couvert d’une bouillie épaisse de vase et de tourbe, constellée de rochers de toutes tailles. À son extrémité est, là où la vallée s’enfonçait dans la brume matinale, une traînée marron, large de dix à quinze mètres, traversait la tourbe, comme une trace laissée par une limace géante. Fin jeta un coup d’œil vers Whistler. « Qu’est-il arrivé au loch ? » Whistler se contenta de hausser les épaules tout en secouant la tête. « Il est parti. – Mais comment un loch peut-il disparaître comme ça ? » Pendant un long moment, Whistler, comme envoûté, continua à scruter le lac vide. Puis, soudainement, comme si Fin venait juste de parler, il dit : « Il est déjà arrivé quelque chose de semblable, Fin, il y a très longtemps. Ni toi ni moi n’étions nés. C’était dans les années 1950. À Morsgail. – Je ne comprends pas. De quoi parles-tu ? » Fin était complètement perdu. – De la même chose. Chaque matin, le facteur avait pour habitude de longer un loch, sur le chemin qui allait de Morsgail à Kinlochresort. Un coin complètement paumé. Loch nan Learga. Un matin, il descend le chemin, comme d’habitude, et le loch n’est plus là. Juste un gros trou à la place. J’y suis passé de nombreuses fois, moi aussi. Ça avait fait du foin à l’époque. Les gens de la télévision et des journaux étaient venus de Londres. Les hypothèses qu’ils ont échafaudées… aujourd’hui, elles paraissent dingues, mais on n’a entendu parler que de ça sur les ondes et dans la presse. L’idée la plus en vogue était que le loch avait été frappé par une météorite et s’était évaporé. – Et que s’était-il vraiment passé ? » Whistler haussa les épaules et les laissa retomber brusquement. « La meilleure théorie est qu’il s’agissait d’une poussée de tourbière. – Et de quoi s’agit-il ? » Whistler fit la moue, les yeux toujours rivés sur le bassin rempli de vase. « Eh bien… cela peut arriver après une longue période sans pluie. Ce n’est pas courant par ici. » Il sourit presque. « La tourbe en surface sèche et se craquelle. Et, comme le savent tous ceux qui taillent la tourbe, une fois sèche elle devient imperméable. » Il fit un signe de tête en direction de la traînée géante qui se perdait dans le brouillard. « Il y a un autre loch, plus bas dans la vallée. Si j’avais de l’argent, je parierais que ce loch s’est déversé dans l’autre. – Comment ? – La plupart de ces lochs se trouvent sur de la tourbe qui repose sur le gneiss de Lewis. Assez souvent, ils sont séparés par des crêtes constituées d’un matériau moins stable, comme l’amphibolite. Si la période de sécheresse est suivie de fortes pluies, comme hier soir, l’eau s’engouffre dans les craquelures de la tourbe et crée un lit de boue sur le soubassement rocheux. Ce qui a dû se passer ici c’est que la tourbe située entre les lochs a simplement glissé sur la boue, le poids de l’eau contenue dans le loch supérieur a pulvérisé l’amphibolite et tout s’est déversé dans la vallée en glissant. » À l’horizon, le disque solaire était monté d’un cran. Il y eut un déplacement d’air et la brume se leva légèrement. Suffisamment pour révéler, là où devait se trouver la partie la plus profonde du lac, une chose blanche et rouge qui accrochait la lumière. « Qu’est-ce que c’est que ça ? » demanda Fin et, comme Whistler restait silencieux, il ajouta : « Tu as des jumelles ? – Dans mon sac à dos. » La voix de Whistler n’était plus qu’un murmure. Fin se hâta jusqu’à leur ruche et rampa à l’intérieur pour récupérer les jumelles de Whistler. Lorsqu’il regagna la crête, ce dernier n’avait pas bougé d’un pouce. Impassible, il continuait de fixer l’espace où s’était trouvé le lac. Fin cala les jumelles et fit le point sur l’objet rouge et blanc. « Seigneur ! », s’entendit-il chuchoter presque involontairement. Il vit un petit avion monomoteur, légèrement penché sur le côté, posé au milieu d’un amas de rochers. Il avait l’air à peu près intact. Les vitres du cockpit étaient couvertes de boue et de vase, mais le rouge et le blanc du fuselage étaient clairement visibles. Ainsi que les lettres de son indicatif d’appel, peintes en noir. G-RUAI. Fin sentit les poils de sa nuque se hérisser. RUAI, le diminutif de Ruairidh, Roderick en gaélique. Dix-sept ans auparavant, cet indicatif s’était retrouvé dans tous les journaux des semaines durant, quand l’avion avait disparu et, avec lui, Roddy Mackenzie. Teintée par la lumière de l’aube, parfaitement immobile, la brume planait au-dessus des montagnes comme de la fumée. Pas un son ne venait briser le silence. Pas même un chant d’oiseau. Fin abaissa les jumelles. « Tu sais à qui appartient cet avion ? » Whistler fit oui de la tête. « Mais que diable fait-il là, Whistler ? Ils ont dit qu’il avait enregistré un plan de vol pour Mull et qu’il avait disparu quelque part en mer. » Whistler haussa les épaules mais ne fit aucun commentaire. « Je vais descendre jeter un coup d’œil », dit Fin. Whistler lui saisit le bras. Il avait une drôle d’expression dans le regard. Si Fin ne l’avait pas aussi bien connu, il aurait dit que c’était de la peur. « Nous ne devrions pas. – Pourquoi ? – Parce que cela ne nous regarde pas, Fin. » Il soupira. Un long soupir de résignation, sinistre. « J’imagine que nous allons devoir le signaler, mais on ne devrait pas s’en mêler. » Fin le dévisagea pendant un long moment, mais décida de ne pas poser de questions. Il dégagea son bras de la main de Whistler et répéta : « Je descends jeter un coup d’œil. Tu fais comme tu veux. » Il fourra les jumelles entre les mains de Whistler et commença à se diriger vers le bassin vide. La descente, sur des débris de rochers et de la tourbe durcie rendue glissante par les herbes couchées par la pluie, était raide et malaisée. Les rives de ce qui avait été autrefois un lac étaient bordées de rochers. Fin les franchit en glissant, luttant pour conserver son équilibre et rester sur ses pieds, s’aidant de ses bras pour ne pas tomber. Il progressait dans les entrailles du lac disparu, pataugeant dans la boue et la vase, parfois jusqu’aux genoux, se servant des rochers comme appuis pour traverser la vaste dépression. Il avait presque atteint l’avion quand il se retourna et vit que Whistler le suivait, à peine quelques mètres en arrière. Whistler s’arrêta, essoufflé. Pendant près d’une minute, les deux hommes se dévisagèrent sans bouger. Enfin, Fin dévia le regard pour observer l’empilement des couches de tourbe et de pierre, semblables aux lignes de contour des cartes d’état-major, là où, une douzaine d’heures auparavant, se trouvait le rivage. Si le lac avait encore été là, les deux hommes se seraient retrouvés à quinze mètres sous sa surface. Il fit demi-tour pour franchir les derniers mètres qui le séparaient de l’avion. Il était à peine incliné au milieu du chaos de rochers et de pierres qui couvraient le fond du lac, comme s’il avait été posé là délicatement par la main de Dieu. Fin entendit la respiration de Whistler à ses côtés. « Tu sais ce qui est bizarre ? dit-il. – Quoi ? » Whistler ne donnait pas l’impression d’avoir envie de savoir. « Il n’y a aucun dégât. – Et alors ? – Eh bien, si l’avion s’était écrasé dans le loch, il devrait être sacrément endommagé, non ? » Whistler ne fit pas de commentaire. « Regarde-le. À peine une éraflure. Toutes les vitres sont intactes. Le pare-brise n’est même pas fendu. » Fin escalada péniblement les derniers rochers et se hissa sur l’aile la plus proche. « Pas beaucoup de trace de rouille non plus. J’imagine qu’il doit être surtout constitué d’aluminium. » N’étant pas sûr de réussir à rester debout sur la surface glissante et traîtresse de l’aile, il progressa à quatre pattes vers la porte gauche du cockpit. La vitre était couverte d’une vase verdâtre qui masquait totalement l’intérieur. Il agrippa la poignée et essaya d’ouvrir la porte en tirant dessus. Elle ne broncha pas. « Fin, laisse tomber. » Whistler l’appelait d’en bas. Mais Fin était déterminé. « Grimpe et viens me filer un coup de main. » Whistler ne bougea pas. « Nom de Dieu, mec, c’est Roddy qui est là-dedans. – Je ne veux pas le voir, Fin. Ce serait comme de profaner une tombe. » Fin secoua la tête et porta de nouveau son attention sur la porte. Il posa ses pieds de part et d’autre, sur le fuselage, et tira de toutes ses forces. Soudain, il y eut un bruit de métal que l’on déchire, et la porte céda. Fin tomba en arrière, sur l’aile. Pour la première fois en dix-sept ans, la lumière du jour pénétra dans le cockpit. Fin se mit à genoux et agrippa l’embrasure pour se hisser et regarder à l’intérieur. Derrière lui, il entendit Whistler qui grimpait sur l’aile, mais il ne se retourna pas. Le spectacle qu’il découvrit était choquant et son odorat fut assailli par une puanteur qui rappelait le poisson pourri. Sous le pare-brise, le tableau de bord s’étalait sur toute la largeur du cockpit. Un amas de jauges et de cadrans aux vitres tachées et boueuses, dont les indications avaient été décolorées par l’eau et les algues. Côté gauche, le siège du copilote, ou du passager, était vide. Entre les sièges, les poignées rouge, noir et bleu des contrôles des gaz étaient encore visibles, ramenées en position d’arrêt. À côté, harnachés dans le siège du pilote, se trouvaient les restes d’un homme. Avec le temps, l’eau et les bactéries avaient consumé toute la chair et seuls les résidus blanchis de quelques tendons et ligaments épais qui ne s’étaient pas décomposés en raison de la température suffisamment froide de l’eau tenaient encore ensemble les morceaux du squelette. Son blouson de cuir était plus ou moins intact. Son jean, bien que totalement décoloré, avait également survécu. Ses baskets aussi, bien que Fin put constater que le caoutchouc avait gonflé, les distendant autour de ce qui restait des pieds. Le cartilage du larynx, des oreilles et du nez avait disparu et le crâne était totalement dénudé. Quelques mèches de cheveux subsistaient, accrochées à des restes de chair. L’ensemble était déjà suffisamment dérangeant pour deux vieux amis se rappelant le jeune Roddy, plein de vie et de talent, avec sa tignasse blonde et bouclée. Mais ce qui les troubla le plus, c’était les terribles blessures qui avaient été infligées au côté droit du visage et à l’arrière du crâne. La moitié de la mâchoire manquait, laissant apparaître une rangée de dents jaunies et brisées. La pommette et la partie supérieure du crâne avaient été écrasées au point d’être méconnaissables. « Nom de Dieu. » La voix de Whistler arriva jusqu’à Fin dans un souffle blasphématoire. Il ne fallut à Fin qu’un bref instant pour absorber la scène après avoir ouvert la porte et, presque instantanément, il eut un mouvement de recul incontrôlé qui envoya l’arrière de sa tête heurter l’épaule de Whistler. Il claqua la porte, se retourna et se laissa glisser en position assise, adossé contre la paroi. Whistler était accroupi face à lui et le regardait, les yeux écarquillés. « Tu avais raison, dit Fin. Nous n’aurions pas dû ouvrir. » Il leva les yeux vers Whistler dont le visage était si pâle qu’il y distingua pour la première fois de minuscules cicatrices, sans doute provoquées par un accès de varicelle dans l’enfance. « Mais pas parce que nous profanons une tombe. » Whistler fronça les sourcils. « Pourquoi alors ? – Parce que nous contaminons une scène de crime. » Whistler le fixa un long moment, le regard troublé, avant de soudain faire demi-tour, de glisser au bas de l’aile et de rebrousser chemin en direction du rivage, grimpant d’un pas assuré hors du cratère en direction des ruches de pierre. « Whistler ! » appela Fin. Mais celui-ci ne modifia pas son allure et ne regarda pas une seule fois en arrière..."
Peter MAY - Le
braconnier du lac perdu
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