Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°934 (2024-34)
mardi
20 août 2024
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Escargot Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot dimanche 7 juillet 2024 Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot dimanche 7 juillet 2024 Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot dimanche 7 juillet 2024
Rougequeue noir mâle Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot dimanche 7 juillet 2024 Accouplement... Dans une fleur de Lis martagon Boujailles (Haut-Doubs) dimanche 7 juillet 2024 <image recadrée>
passage à l'envers !! Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot mercredi 10 juillet 2024
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot mercredi 10 juillet 2024
Jeune Hirondelle rustique Courvières (Haut-Doubs) dimanche 21 juillet 2024
Jeune Hirondelle rustique s'étirant Courvières (Haut-Doubs) mardi 23 juillet 2024
Tabac d'Espagne Courvières (Haut-Doubs) dimanche 28 juillet 2024 Scabieuse Frasne (Haut-Doubs) lundi 29 juillet 2024 Hespérie Frasne (Haut-Doubs) lundi 29 juillet 2024 Accouplement de Zygène Frasne (Haut-Doubs) lundi 29 juillet 2024 Lézard agile femelle Frasne (Haut-Doubs) lundi 29 juillet 2024 Lézard agile femelle Frasne (Haut-Doubs) lundi 29 juillet 2024 Lézard agile femelle
Frasne (Haut-Doubs) lundi 29 juillet 2024 Fleurs d'Ortie Frasne (Haut-Doubs) lundi 29 juillet 2024 Lotier
Frasne (Haut-Doubs) lundi 29 juillet 2024 |
"1 L'HIVER, NOTRE MERE
Mon père mourut parce que c'était un voleur. Il vola trois fois dans le champs de Zô, et la quatrième, l'homme le prit. Lui tira dans le ventre, lui arracha la poule de la gueule puis l'attacha à un piquet de la clôture en guise d'avertissement. Il laissait sa compagne avec six petits à charge, en plein hiver, sous la neige. Au milieu de la nuit venteuse, tous réunis dans le grand lit, nous regardions notre mère se lamenter dans la cuisine, sous la faible lumière du lampadaire et le plafond bas de notre tanière. “Maudit Davis, sale animal ! pleurait-elle. Qu’est-ce que je vais faire, maintenant ? Stupide fouine !” Nous la regardions sans faire de bruit, serrés les uns contre les autres à cause du froid. À ma droite, mon frère Leroy, de l’autre côté Giosuè, que je n’avais pas eu le temps de connaître. Il avait dû mourir peu de temps après la mise bas, écrasé par le poids de notre mère quand elle s’était étendue pour reprendre des forces. “Malheureux, malheureux ! pleurait-elle encore. Et qui va les élever, maintenant, ces enfants de personne ?” Pendant nos premiers jours, la vie était une belle sensation. En respirant doucement sous les couvertures, nous glissions dans le plus vigoureux sommeil. Nous étions fragiles et forts à la fois, encore cachés du monde. “Qui va les élever, hein ? Qui va les élever ?” disait notre mère. Puis elle venait jusqu’au lit et s’allongeait, nous offrant son ventre. Dès que je la sentais s’approcher, je m’agrippais à elle de toutes mes forces. Mes frères et sœurs commençaient aussitôt à se battre. Leroy était le plus grand et il se jetait sur notre mère avec autorité ; les femelles, Cara et Louise, faisaient équipe. Otis, le plus petit, était laissé pour compte. “Qui va les élever ? Qui va les élever ?” disait notre mère. Parfois, je la sentais sursauter de douleur si l’un de nous la mordait trop fort. Giosuè dépassait de sous son pelage, inerte.
La nuit, elle partait au ravitaillement, la journée, elle dormait quelques heures. De temps en temps, quand elle avait trouvé quelque chose de précieux, elle sortait à la lumière du jour et allait le troquer contre de la nourriture auprès de Solomon le prêteur sur gages. Elle était maigre, et son ventre touchait par terre. Elle devait avoir froid à le traîner de la sorte dans la neige. « Silence, les enfants », nous disait-elle si nous la réveillions. Elle le disait même quand elle était réveillée. « Silence, silence. » Nous commencions à parler. Et à nous déplacer. Un matin, Leroy tomba du lit et tourna tout autour, incapable de remonter. Il serait mort de froid si notre mère n'était pas rentrée. Avant de le remettre sur le lit, je me souviens qu'elle hésita quelques instants. Je ne compris pas, sur le moment. Peut-être que si elle avait trouvé à la place un autre de ses enfants, elle l'aurait laissé là où il était. Leroy était le plus grand et le plus fort d'entre nous. Il neigeait beaucoup, des jours entiers. Une fois, l'entrée de la tanière resta bloquée et notre mère essaya de creuser une voie de sortie pendant des heures. « Silence, silence ! » hurlait-elle à quiconque se plaignait de la faim. Il m'arrivait de la surprendre assise dans la cuisine, les yeux dans le vide. Elle se lissait les moustaches en soupirant, comme si elle était en conversation avec quelqu'un. Je restais à l'observer. Je sentais qu'elle n'allait pas bien, quelque chose était en train de s'effondrer, et cela me faisait peur. Mes yeux se fermaient sans que je m'en rende compte, et quand je les rouvrais, elle n'était plus là.
« Ne tombez pas malades, je n'ai pas de quoi payer le docteur », nous dit-elle un jour, quand nous commencions à nous déplacer dans la tanière. L'avertissement n'échappa à personne, et de fait, aucun de nous ne s'aventura dehors, ni n'osa même s'approcher de la fenêtre. Otis était le seul à n'être jamais sorti du lit, les femelles se moquait de lui. « Tu es trop petit, Otis. Tu te casserais le cou », lui disaient-elles. Leroy touchait tout ce qui se trouvait sur son passage, et moi, je le suivais. Nous ne nous parlions pas beaucoup ; il attrapait une chose, la regardait, puis la remettait à sa place, et je l'imitais. J'étudiais ce que j'avais entre les pattes à toute vitesse, parce que mon frère était déjà passé à un autre objet, et je ne voulais pas être à la traîne. Sans cesse, notre mère nous repoussait. Elle se comportait comme si nous n'étions pas dans la pièce. Quand elle se décidait à nous allaiter, nous accourions tous en sautant sur le lit. Otis, par chance, avait déjà eu quelques secondes pour téter un peu. « Tu me fais mal », soufflait-elle, irritée, quand l'un de nous se montrait trop fougueux. Et si cela ne suffisait pas à nous calmer, elle nous donnait un coup de patte, sans griffes, avant de lancer un juron. A la faim s'ajoutait le froid. Certains jours, nous ne descendions pas du lit et restions sous les couvertures, serrés les uns contre les autres, à combattre nos crampes d'estomac. Une fois, Leroy me réveilla :
Je passai ma langue sur les petites dents qui étaient en train de me pousser dans la bouche. Je ne dis rien.
Notre mère entra dans la
tanière avant que mon frère ait eu le temps de me répondre.
D'une certaine façon, je me demandais si ma lâcheté ne
l'avait pas offensé, et pendant un temps, même après avoir
mangé, je ne parvins pas à trouver le sommeil. C'est à
partir de ce moment-là que je compris qu'il existait, entre
Leroy et moi, une légère et horrible différence : il
était plus animal que moi. Je redoutais qu'il s'en soit
rendu compte lui aussi. Mais aucun de nous deux ne mangea
Otis. Et Leroy ne me mangea pas..."
Bernardo ZANNONI - Mes
désirs futiles
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