Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°930 (2024-30)
mardi
23 juillet 2024
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Courvières
(Haut-Doubs), Au lever du jour... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 1er juin 2024 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 1er juin 2024 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 1er juin 2024
Vu de l'affût !
Au 400 mm...Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 1er juin 2024 <image au téléphone portable> Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 1er juin 2024 De dos Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 1er juin 2024
De face Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 1er juin 2024
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 1er juin 2024
La loge
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 1er juin 2024 Au lever du jour...
Géranium découpé
Colombine panachée Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 8 juin 2024 Bleuet - Centaurée des montagnes Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 8 juin 2024 Renouée bistorte
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 8 juin 2024 La loge
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 8 juin 2024 Au lever du jour... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 Bergeronnette grise Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024
Chardonneret élégant Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 Nettoyage du bec Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 Trèfle des prés Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 Géranium découpé
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 Salsifis des prés Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 Rhinanthe velu Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 Benoite commune
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 Silène enflé Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 Marguerite Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 Pisaure admirable Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 Cercope sanguin
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 Panorpe - Mouche-scorpion Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 La loge Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 9 juin 2024 [à suivre...]
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"Il n’y a
peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si
pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans
les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré.
Tout ce qui, semblait-il, les remplissait pour les autres,
et que nous écartions comme un obstacle vulgaire à un
plaisir divin : le jeu pour lequel un ami venait nous
chercher au passage le plus intéressant, l’abeille ou le
rayon de soleil gênants qui nous forçaient à lever les yeux
de la page ou à changer de place, les provisions de goûter
qu’on nous avait fait emporter et que nous laissions à côté
de nous sur le banc, sans y toucher, tandis que, au-dessus
de notre tête, le soleil diminuait de force dans le ciel
bleu, le dîner pour lequel il avait fallu rentrer et où nous
ne pensions qu’à monter finir, tout de suite après, le
chapitre interrompu, tout cela, dont la lecture aurait dû
nous empêcher de percevoir autre chose que l’importunité,
elle en gravait au contraire en nous un souvenir tellement
doux (tellement plus précieux à notre jugement actuel que ce
que nous lisions alors avec tant d’amour,) que, s’il nous
arrive encore aujourd’hui de feuilleter ces livres
d’autrefois, ce n’est plus que comme les seuls calendriers
que nous ayons gardés des jours enfuis, et avec l’espoir de
voir reflétés sur leurs pages les demeures et les étangs qui
n’existent plus. Qui ne se souvient comme moi de ces
lectures faites au temps des vacances, qu’on allait cacher
successivement dans toutes celles des heures du jour qui
étaient assez paisibles et assez inviolables pour pouvoir
leur donner asile. Le matin, en rentrant du parc, quand tout
le monde était parti « faire une promenade », je me glissais
dans la salle à manger, où, jusqu’à l’heure encore lointaine
du déjeuner, personne n’entrerait que la vieille Félicie
relativement silencieuse, et où je n’aurais pour compagnons,
très respectueux de la lecture, que les assiettes peintes
accrochées au mur, le calendrier dont la feuille de la
veille avait été fraîchement arrachée, la pendule et le feu
qui parlent sans demander qu’on leur réponde et dont les
doux propos vides de sens ne viennent pas, comme les paroles
des hommes, en substituer un différent à celui des mots que
vous lisez. Je m’installais sur une chaise, près du petit
feu de bois, dont, pendant le déjeuner, l’oncle matinal et
jardinier dirait : « Il ne fait pas de mal ! On supporte
très bien un peu de feu ; je vous assure qu’à six heures il
faisait joliment froid dans le potager. Et dire que c’est
dans huit jours Pâques ! » Avant le déjeuner qui, hélas !
mettrait fin à la lecture, on avait encore deux grandes
heures. De temps en temps, on entendait le bruit de la pompe
d’où l’eau allait découler et qui vous faisait lever les
yeux vers elle et la regarder à travers la fenêtre fermée,
là, tout près, dans l’unique allée du jardinet qui bordait
de briques et de faïences en demi-lunes ses plates-bandes de
pensées : des pensées cueillies, semblait-il, dans ces ciels
trop beaux, ces ciels versicolores et comme reflétés des
vitraux de l’église qu’on voyait parfois entre les toits du
village, ciels tristes qui apparaissaient avant les orages,
ou après, trop tard, quand la journée allait finir.
Malheureusement la cuisinière venait longtemps d’avance
mettre le couvert ; si encore elle l’avait mis sans parler !
Mais elle croyait devoir dire : « Vous n’êtes pas bien comme
cela ; si je vous approchais une table ? » Et rien que pour
répondre : « Non, merci bien », il fallait arrêter net et
ramener de loin sa voix qui, en dedans des lèvres, répétait
sans bruit, en courant, tous les mots que les yeux avaient
lus ; il fallait l’arrêter, la faire sortir, et, pour dire
convenablement : « Non, merci bien », lui donner une
apparence de vie ordinaire, une intonation de réponse,
qu’elle avait perdues. L’heure passait ; souvent, longtemps
avant le déjeuner, commençaient à arriver dans la salle à
manger ceux qui, étant fatigués, avaient abrégé la
promenade, avaient « pris par Méséglise », ou ceux qui
n’étaient pas sortis ce matin-là, « ayant à écrire ». Ils
disaient bien : « Je ne veux pas te déranger », mais
commençaient aussitôt à s’approcher du feu, à consulter
l’heure, à déclarer que le déjeuner ne serait pas mal
accueilli. On entourait d’une particulière déférence celui
ou celle qui était « restée à écrire » et on lui disait : «
Vous avez fait votre petite correspondance » avec un sourire
où il y avait du respect, du mystère, de la paillardise et
des ménagements, comme si cette « petite correspondance »
avait été à la fois un secret d’État, une prérogative, une
bonne fortune et une indisposition. Quelques-uns, sans plus
attendre, s’asseyaient d’avance à table, à leurs places.
Cela, c’était la désolation, car ce serait d’un mauvais
exemple pour les autres arrivants, aller faire croire qu’il
était déjà midi, et prononcer trop tôt à mes parents la
parole fatale : « Allons, ferme ton livre, on va déjeuner. »
Tout était prêt, le couvert était entièrement mis sur la
nappe où manquait seulement ce qu’on n’apportait qu’à la fin
du repas, l’appareil en verre où l’oncle horticulteur et
cuisinier faisait lui-même le café à table, tubulaire et
compliqué comme un instrument de physique qui aurait senti
bon et où c’était si agréable de voir monter dans la cloche
de verre l’ébullition soudaine qui laissait ensuite aux
parois embuées une cendre odorante et brune ; et aussi la
crème et les fraises que le même oncle mêlait, dans des
proportions toujours identiques, s’arrêtant juste au rose
qu’il fallait avec l’expérience d’un coloriste et la
divination d’un gourmand. Que le déjeuner me paraissait long
! Ma grand’tante ne faisait que goûter aux plats pour donner
son avis avec une douceur qui supportait, mais n’admettait
pas la contradiction. Pour un roman, pour des vers, choses
où elle se connaissait très bien, elle s’en remettait
toujours, avec une humilité de femme, à l’avis de plus
compétents. Elle pensait que c’était là le domaine flottant
du caprice où le goût d’un seul ne peut pas fixer la vérité.
Mais sur les choses dont les règles et les principes lui
avaient été enseignés par sa mère, sur la manière de faire
certains plats, de jouer les sonates de Beethoven et de
recevoir avec amabilité, elle était certaine d’avoir une
idée juste de la perfection et de discerner si les autres
s’en rapprochaient plus ou moins. Pour les trois choses,
d’ailleurs, la perfection était presque la même : c’était
une sorte de simplicité dans les moyens, de sobriété et de
charme. Elle repoussait avec horreur qu’on mît des épices
dans les plats qui n’en exigent pas absolument, qu’on jouât
avec affectation et abus de pédales, qu’en « recevant » on
sortît d’un naturel parfait et parlât de soi avec
exagération. Dès la première bouchée, aux premières notes,
sur un simple billet, elle avait la prétention de savoir si
elle avait affaire à une bonne cuisinière, à un vrai
musicien, à une femme bien élevée. « Elle peut avoir
beaucoup plus de doigts que moi, mais elle manque de goût en
jouant avec tant d’emphase cet andante si simple. » « Ce
peut être une femme très brillante et remplie de qualités,
mais c’est un manque de tact de parler de soi en cette
circonstance. » « Ce peut être une cuisinière très savante,
mais elle ne sait pas faire le bifteck aux pommes. » Le
bifteck aux pommes ! morceau de concours idéal, difficile
par sa simplicité même, sorte de « Sonate pathétique » de la
cuisine, équivalent gastronomique de ce qu’est dans la vie
sociale la visite de la dame qui vient vous demander des
renseignements sur un domestique et qui, dans un acte si
simple, peut à tel point faire preuve, ou manquer, de tact
et d’éducation. Mon grand-père avait tant d’amour-propre
qu’il aurait voulu que tous les plats fussent réussis, et
s’y connaissait trop peu en cuisine pour jamais savoir quand
ils étaient manqués. Il voulait bien admettre qu’ils le
fussent parfois, très rarement d’ailleurs, mais seulement
par un pur effet du hasard. Les critiques toujours motivées
de ma grand’tante impliquant au contraire que la cuisinière
n’avait pas su faire tel plat, ne pouvaient manquer de
paraître particulièrement intolérables à mon grand-père.
Souvent, pour éviter des discussions avec lui, ma
grand’tante, après avoir goûté du bout des lèvres, ne
donnait pas son avis, ce qui, d’ailleurs, nous faisait
connaître immédiatement qu’il était défavorable. Elle se
taisait, mais nous lisions dans ses yeux doux une
désapprobation inébranlable et réfléchie qui avait le don de
mettre mon grand-père en fureur. Il la priait ironiquement
de donner son avis, s’impatientait de son silence, la
pressait de questions, s’emportait, mais on sentait qu’on
l’aurait conduite au martyre plutôt que de lui faire
confesser la croyance de mon grand-père : que l’entremets
n’était pas trop sucré..." |
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