Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°926 (2024-26)

mardi 25 juin 2024

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Light in Babylon - Kipur (
Shachar Avakshesha)

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Shachar Avakshesha

Poème du 11ème siècle d'Ibn Gabirol
(dit Avicebron),
poète juif andalou



Le printemps au jardin

Courvières (Haut-Doubs),
Champ-Margot
avril et mai 2024



Cardamine des prés
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
mercredi 10 avril 2024



Minous
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 21 avril 2024



Tarier des prés mâle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 21 avril 2024


Pie
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 21 avril 2024



Moineau domestique mâle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 21 avril 2024

Gabo
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 21 avril 2024

Renoncule
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
mercredi 24 avril 2024

Rougequeue noir mâle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
samedi 27 avril 2024



Rougequeue noir femelle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
mercredi 1er mai 2024

Rougequeue noir femelle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
mercredi 1er mai 2024

Rougequeue noir mâle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
mercredi 1er mai 2024




Moineau domestique femelle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
jeudi 2 mai 2024

Linotte mélodieuse mâle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 5 mai 2024

  Moineau domestique mâle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
lundi 6 mai 2024



Corneille noire

Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
lundi 6 mai 2024



Sur la porte de mon garage...
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
jeudi 9 mai 2024



La "Tutte"...
Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 9 mai 2024



... d'un Grillon champêtre
Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 9 mai 2024



Rougequeue noir mâle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
samedi 11 mai 2024



Rougequeue noir femelle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
samedi 11 mai 2024



<image recadrée>



Rougequeue noir femelle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
samedi 11 mai 2024



Rougequeue noir mâle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 12 mai 2024



Orage sur Courvières
Courvières (Haut-Doubs)
lundi 20 mai 2024



Mésange bleue au bain
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 26 mai 2024

Mésange bleue au bain
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 26 mai 2024






Suggestion de lecture :

"Prologue

N'y plus rien voir


Tout devint sombre. Ce fut comme un habit de deuil. Et puis, çà et là, des scintillements, à la façon des taches que produit le soleil quand les yeux le fixent en vain derrière les paupières serrées, de même qu'on serre le poing pour résister à la douleur ou à l'émotion.

Bien sûr, elle n'avait pas du tout décrit la chose ainsi. Dans la bouche d'une enfant de dix ans, fraîche et inquiète, la détresse se formule sèchement, sans fioriture ni lyrisme.

  • Maman, c'est tout noir !

Mona avait lancé ces mots d'une voix étranglée. Une plainte ? Oui, mais pas seulement. Elle y avait, malgré elle, glissé un accent de honte que sa mère, chaque fois qu'elle l'identifiait, prenait avec gravité. Car s'il était bien quelque chose que Mona ne feignait jamais, c'était la honte. A peine celle-ci se nichait-elle dans un mot, une attitude, une intonation, que le sort en était jeté : une vérité désagréable avait pénétré.

  • Maman, c'est tout noir !

Mona était aveugle.

L'effet semblait dépourvu de cause. Rien de particulier ne s'était passé ; elle travaillait sagement à ses mathématiques, un stylo dans la main droite, un cahier coincé sous la paume gauche, à l'angle de la table où sa mère truffait d'ail un rôti bien gras. Mona était en train de retirer délicatement de son cou un pendentif qui la gênait parce qu'il se balançait au-dessus de sa feuille d'exercices et qu'elle avait pris la mauvaise habitude de se voûter pour écrire. Elle sentit une ombre lourde s'abattre sur ses deux yeux, comme s'ils étaient punis d'être si bleus, si grands, si purs. L'ombre ne vint pas du dehors, ainsi qu'elle vient communément, quand la nuit tombe ou quand les lumières d'un théâtre baissent d'intensité ; l'ombre s'empara de sa vue depuis son propre corps, depuis l'intérieur. En elle-même s'était insinuée une nappe opaque qui l'avait coupé des polygones tracés sur son cahier d'écolière, de la table en bois brun, du rôti posé plus loin, de sa mère en tablier blanc, de la cuisine carrelée, de son père assis dans la pièce d'à côté, de l'appartement de Montreuil, du ciel grisé de l'automne qui surplombait les rues, du monde entier. L'enfant, par un sortilège, plongeait dans les ténèbres.

Fébrile, la mère de Mona téléphona au médecin de famille. Elle décrivit confusément les pupilles voilées de sa fille et précisa, parce que le docteur le lui demandait, qu'elle ne semblait souffrir d'aucun trouble du langage, ni de paralysie.

  • Cela ressemble à un AIT, lâcha-t-il, sans vouloir se prononcer davantage.

Il exigea dans l'immédiat de fortes doses d'aspirines et, surtout, l'acheminement en urgence de Mona à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu, où il appellerait un confrère pour une prise en charge instantanée. Il ne pensait pas à lui par hasard ; c'était un pédiatre formidable, réputé par ailleurs pour être un très bon ophtalmologue et, accessoirement, un hypnothérapeute de talent. Normalement, conclut-il, la cécité ne devrait pas excéder dix minutes, et il raccrocha. Il s'était déjà écoulé un bon quart d'heure depuis le premier cri d'alarme.

Dans la voiture, la fillette pleurait, se tapait les tempes. Sa mère lui tenait les coudes, mais, au fond d'elle-même, elle aurait elle aussi voulu taper sur cette petite tête rondelette et fragile, comme on cogne sur une machine en panne en espérant bêtement la faire redémarrer. Le père, au volant de sa vieille Volkswagen cahotante, souhaitait attraper le mal dont sa petite était victime. Il était fâché, persuadé qu'il s'était passé un événement dans la cuisine et qu'on le lui cachait. Il ressassait l'inventaire de toutes les causes possibles, depuis une bouffée de vapeur jusqu'à une mauvaise chute. Mais non, Mona le déclara cent fois :

  • C'est venu tout seuil !

Et le père n'en croyait rien :

  • On ne devient pas aveugle comme ça !

Pourtant, si : on devient aussi aveugle « comme ça », la preuve. Et on, aujourd'hui, c'était Mona, ses dix ans et ses larmes de peur coulant à grands flots – ces larmes dont elle attendait peut-être qu'elles lavent la suie qui s'était collée à ses pupilles, ce dimanche d'octobre, alors que tombait le soir. A peine arrivée au seuil de l'hôpital jouxtant Notre-Dame, sur l'île de la Cité, elle interrompit brusquement ses sanglots et se figea :

  • Maman, papa, ça revient !

Postée dans la rue, où soufflait un vent froid, elle balançait la nuque d'avant en arrière pour favoriser le reflux de sa perception. A la façon d'un store qui se hisse, le voile qui obstruait ses yeux se levait. Les lignes lui réapparurent, puis les arêtes des visages, les reliefs des objets proches, la texture des mures toutes les nuances des couleurs, des plus vives aux plus sombres. L'enfant retrouva la silhouette menue de sa mère, son grand cou de cygne et ses bras frêles, et celle, plus massive, de son père. Enfin, elle perçut au loin l'envol d'un pigeon gris, ce qui la combla de joie. La cécité avait saisi Mona, puis l'avait relâchée. Elle l'avait traversée, comme une balle troue la peau et ressort de l'autre côté du corps, faisant mal, certes, mais laissant toutefois à l'organisme le soin de cicatriser. « Un miracle », pensa son père, qui compta scrupuleusement le temps qu'avait duré la crise : soixante-trois minutes.

Au service ophtalmologie de l'Hôtel-Dieu, il ne fut pas question de laisser repartir la petite avant d'avoir réalisé une batterie d'examens, fourni un diagnostic et des prescriptions. L'angoisse se trouvait certes ajournée, mais pas tout à fait dissipée. Un infirmier indiqua une salle au premier étage du bâtiment. C'était le cabinet du pédiatre averti par le médecin de famille. Le Dr Van Orst était métis, et frappé d'une calvitie précoce. Sa grande blouse blanche, rayonnante, contrastait avec la verdeur maladive des murs. Son immense sourire, qui creusait dans son visage de petites rides joviales, le rendait sympathique ; il n'en était pas moins dépositaire de nombreux drames. Il s'avança :

  • Quel âge as-tu ? Demanda-t-il d'une voix éraillée par le tabac.


Mona avait dix ans. Elle était la fille unique de deux parents qui s'aimaient. Camille, la mère, approchait de la quarantaine. Elle était d'une taille modeste, arborait des cheveux courts et ébouriffés, avait dans la voix un reste lointain de gouaille des faubourgs. Son charme tenait à son côté « légèrement déglingue », disait son homme, mais soutenu par une détermination redoutable : en elle, l'anarchie se tressait sans cesse à l'autorité. Elle travaillait dans une agence d'intérim, en bonne employée, impliquée, zélée. Le matin, du moins. L'après-midi, c'était autre chose. Elle s'épuisait en bénévolat. Toutes les causes étaient bonnes, des vieillards isolés aux animaux battus. Quant à Paul, il avait passé les cinquante-sept ans. Camille était sa seconde femme. La première avait disparu avec son meilleur ami. Il portait une cravate pour faire oublier ses chemises au col élimé et besognait comme petit brocanteur, surtout passionné par la culture américaine des années 1950 : juke-box, flippers, affiches... Et puisque tout avait commencé dans son adolescence avec une collection de porte-clés en forme de cœur, il en possédait une impressionnante panoplie, qu'il ne souhaitait pas vendre et qui, de toute façon, n'aurait intéressé personne. Avec le développement d'Internet, sa boutique, perdue dans Montreuil, avait bien failli fermer ses portes. Alors il s'y était mis à son tour, avait fait valoir son expertise, avec un site web qu'il actualisait sans cesse et traduisait en anglais. Malgré un sens des affaires proche du néant, il pouvait compter sur une clientèle de collectionneurs attentifs qui le sauvait régulièrement de la ruine. L'été précédent, il avait réparé une édition du flipper Gottlieb « Wishing Well » de 1955 et en avait tiré la coquette somme de dix mille euros. Une transaction salutaire, après des mois de disette... Et puis, à nouveau, le néant. La crise, lui disait-on. Paul éclusait chaque jour à la boutique une bouteille de vin rouge puis la fichait, comme un trophée, sur un de ces égouttoirs en forme de hérisson qui avait fait la postérité de Marcel Duchamp. Il levait son verre seul sans trouver le moyen d'en vouloir à quiconque. Il trinquait dans sa tête à Mona. A sa santé..."

Thomas SCHLESSER - Les yeux de Mona


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