Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°925 (2024-25)

mardi 18 juin 2024

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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La Lue - Le nom des oiseaux

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Essai d'installation du printemps...

Episode VI

Sous le soleil !

Courvières (Haut-Doubs)
loge n° 5
mai 2024

2 matins



Au lever du soleil...
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
mercredi 8 mai 2024


Bergeronnette grise
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
mercredi 8 mai 2024


<image recadrée>

Bergeronnette grise
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
mercredi 8 mai 2024



Brocard
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
mercredi 8 mai 2024




Toilette
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
mercredi 8 mai 2024


Chardonneret élégant
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
mercredi 8 mai 2024



La loge
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
mercredi 8 mai 2024



Alchemille
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
mercredi 8 mai 2024



Orchis mâle
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
mercredi 8 mai 2024



Gentiane printanière
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
mercredi 8 mai 2024

Erodium cicutarium (à feuille de ciguë)
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
mercredi 8 mai 2024



Au lever du soleil...
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024



Pissenlits
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024



Buse variable
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024



Serin cini
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024



ça gratte !
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024



Parade
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024




... mais pas d'accouplement...
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024













Renard
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024








Chardonneret élégant (2)
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024



<image recadrée>






Pissenlit
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024





Coccinelle
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024









Abeille domestique sur une fleur de Pissenlit
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024









Orchis bouffon (morio)
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024






La loge et les génisses
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
jeudi 9 mai 2024

[à suivre...]




Suggestion de lecture :

"I

Une porosité au bonheur ou quelque chose comme ça.

Sinon qui peut expliquer l’inattendu ?

Les rencontres décidées à embellir notre vie surgissent aux mornes journées, c’est ainsi, rien ne les annonce. Nous naviguons à vue dans la banalité d’un jour, sombre à la fois pâle, n’attendant rien que demain, trop conscients des lacunes du monde, si peu de notre sort enviable et là, une joyeuse veine dit qu’il est notre tour, drôle de pendule liant l’ampleur d’une histoire à l’improbabilité de sa survenue.

Ce n’est pas très élégant, une galerie marchande de centre commercial. Celle du Carrefour de Sallanches n’échappe pas au principe. D’abord on nous assomme : un plafond bas de carrés gris comme si le ciel n’existait pas et sans nous manquer plus que cela. Puis on nous opère, partout une lumière blanche, tout d’un trépan, au début ça perce et on ne sent plus rien. Enfin, du bruit, beaucoup, notre époque n’en veut pas du silence, quelqu’un, de nulle part, hurle les recettes d’une vie meilleure, les mêmes pour tous ; on peut errer, se cacher ou s’en fiche, il nous retrouve. Tous les dix pas, des choses clignotent. Autour, les gens habitués et j’en suis. Ces endroits où l’homme a cédé tout projet de grâce dont l’un de ses plus fidèles atours, la retenue. Ces endroits sans véritablement d’âme et où la mienne pour toujours va s’épaissir.

Le bar s’appelle Le Pénalty, c’eût pu être Le Corner, sur ses vitres fond vert salade, un but, un grand brun en bleu un peu dégarni, on dirait Zidane et des ballons dessinés au tipex. On peut y boire cent breuvages, jouer au tiercé, au loto et acheter du tabac, c’est un trésor d’assuétudes et rien ne s’oppose à les cumuler. On vous sert un café charbonné que les Français disent exquis et une cacahuète cacao dans sa housse plastique. Au zinc, on parle fort, il est question d’une géopolitique nuancée ; pouvoir tout expliquer en désignant un seul coupable semble rendre la vie confortable.

J’attrape un journal. Seul, dans les lieux publics et pour masquer de l’être, on se saisit de la première babiole et l’on joue à la vie dense. En 2003, il existe encore ces maigres journaux d’annonces locales au titre du département, ici le 74. Dans les coins, de précédents lecteurs ont gribouillé des dessins qui ne parlent qu’à eux et qui ont dû leur faire du bien. Dans ces quelques pages, on fait l’article de tout, essentiellement de rien. Je m’y évade, c’est dire l’ambition du jour. Certaines annonces débordent de la Haute-Savoie et s’aventurent au-delà.

Je lis sans vraiment de plan, je saute beaucoup de lignes, du coq à l’âne pour 300, j’accepte le tout-venant sans chercher plus que ça des histoires aimables. Et il jaillit. Page 6, en haut à gauche, sous une petite tache d’eau qui fait baver les mots, tout proche d’un J5 seconde main CT OK à débattre et de Marc, lui aussi ancien sur le marché et qui cherche un JH intrépide, ensemble s’ébattre. Page 6 donc, des mécaniques usées, des hommes en feu et lui, là, patiemment immobile, sourd aux agitations, déjà placide. Un chien. Là, parmi douze frères à peu près semblables sauf l’ordre d’arrivée sur cette terre, tous nés le 4 octobre 2003, dans notre monde, tout commence par une naissance ; les apparitions, c’est autre chose. Douze bouviers bernois, pauvre leur mère, un été de canicule, douze dont 6M et 6F mais ici-bas comme ailleurs, le masculin l’emporte. Douze d’un coup, ce que l’on nomme une portée et qui, chez les bâtisseurs, dit la charge supportable. Je commande un second café. Au bar, une dame rose tient dans son avant-bras une sorte de pékinois dont j’ignore toujours s’il sait marcher.

Pensant m’isoler du bruit, je m’extrais du bar vers l’allée centrale, seule varie la rumeur. En face, une affiche pleine de sable blanc, d’un bleu insolite, d’une jeune femme réchauffée et qui court à pleines dents : il est écrit « Ne rêvez plus votre vie, vivez vos rêves », on fait crédit de tout. Sans savoir pourquoi, tu parles, je compose le numéro inscrit au bas de l’annonce. Un appel, un élan, quelque chose qui tire à la fois pousse, un peu repousse. On croit à des coups de tête mais ils germinent en sourdine depuis tant d’années, vous connaissent à ce point qu’aussitôt on leur redonne de l’air, ils surgissent, déguisés en immédiate pulsion ou en vérité venue d’ailleurs.

Mme Château, c’est son nom, répond avec la promptitude de ceux sachant pourquoi ça sonne. Elle me dit que les chiots sont disponibles sauf un déjà mais qu’à n’en pas douter, ils vont partir vite. Ça m’agace un peu, je n’en veux pas, je n’en veux plus de cette sommation incessante de vitesse, pas à cet instant dont le projet est qu’il soit savouré. Sauf que ce rien là est le mien alors il emplit ce qui lui chante et dictera tous les empressements qu’il veut. Je lui réponds qu’âgés d’un mois et marchant avec peine, ils sont un peu jeunes pour partir vite, de ces lourdeurs dégainées par les malhabiles en société et qui se défendent de la réalité par l’usage, pensent-ils à propos, de l’humour. Elle me répond par une muette indifférence validant s’il le fallait mon à-côté. Mais je crois la comprendre, elle joue son rôle à merveille, elle est venue son heure de créditer des nuits à veiller sur une femelle gestante, en tête et par cœur le numéro du vétérinaire de garde ; venu le jour de capitaliser les doux sentiments que l’homme éprouve pour le chien. On peut sans vergogne faire commerce de l’amour, c’est même chose aisée tant il n’est d’aucun prix. Je lui dis que je passerai sûrement dans le week-end, pour voir, si cela lui convient. Il est farceur ce mot, sûrement, on aimerait qu’il susurre peut-être et il hurle l’évidence. Pour voir, aussi, n’a pas surgi de nulle part, on dirait cette sentence claquée aux tables de poker lorsqu’il est réclamé du destin qu’il penche, s’il lui plaît, du côté favorable de notre existence.

Raccrochant, je regagne mon guéridon bancal en faux marbre gris, ici on voudrait que Sartre et Platini discutent. Un vertige m’y attend, de ceux que les évidences contraires de l’élan et du frein creusent à merveille. Je sais ce que signifie aller là-bas, du côté de Mâcon. Ça n’est pas rendre visite. Ni piocher un élément supplémentaire de réflexion. Ni ajourner. C’est provoquer. Faire se rencontrer deux êtres vivants et joindre leurs histoires pour des milliers de jours. On ne ment pas aux amours naissantes. Si mon fourgon blanc prend la direction de là-bas, ce ne sera pas pour voir si ce n’est pourvoir un réel déjà bien garni de ses bonheurs et de ses manques. Et j’en serai l’unique responsable, elle ou lui, que je sache, n’a formulé aucune demande.


  

J’ai déjà « eu » un chien. Ïko, une merveille de compagnon, un labrador beige du corps et foncé des oreilles, que ses précédents propriétaires (c’est l’idée que se font certains de leur lien à cet objet mouvant, il y a maître aussi mais que dire ?) avaient baptisé Ivoire puis lâchement abandonné, leur joujou à l’image de son nom n’était qu’une matière prisée, arrachée, exhibée et dont on se lasse. Un matin d’avril, je suis entré à la SPA de Brignais et j’ai libéré une cage, cent autres étaient pleines. Il était si peu ivoire qu’il ne répondait pas à ce doux nom des convoitises. Ïko collait mieux à notre goût des tribus. Ce fut le début d’une histoire lumineuse dont je ne songeais pas à supposer la fin, joie constante, dans l’eau, la neige, les forêts, au coin du feu, près de la vie et pile en marge, un ravissement équilibré mais faiblement durable ; un jour, sans qu’il ne s’en plaigne, sa mâchoire gonfla de sang, je pris la voiture de mes parents, la grosse, la fiable, jusqu’à l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, seule structure pouvant réaliser un scanner, cet examen essentiel ou indécent selon la place allouée aux bestioles dans sa propre vision d’un monde utile. La vétérinaire me dit qu’il ne lui restait que quelques mois à vivre, les chiens imitent les hommes jusqu’au cancer partout. La suite lui donna affreusement raison, les vétérinaires, c’est leur tort, se trompent peu. Au retour, la tristesse me prit au collet, j’ai pleuré quatre heures de rang sur l’A6 jusqu’à ce que mon corps s’assèche. Il faut pleurer me disait ma grand-mère, les larmes du dedans font autrement plus mal et pourrissent les os. Ïko dormait sur la banquette arrière et je me persuadais qu’il n’avait rien compris, que les chiens n’avaient pas conscience de leur finitude ; les bêtes, on jure à leur clairvoyance ou à leur ignorance, selon ce qui protège notre cœur. Un matin, après mille ajournements égoïstes, l’amour l’emporta sur l’attachement. Il fallut décrocher le téléphone pour prendre un rendez-vous qui pique une vie, se rendre chez notre vétérinaire, le sien, le mien et en repartir seul, détroussé, un collier et une poignée de poils comme uniques talismans. En quelques centilitres d’une seringue, l’après s’éteint et rien ne revient. Je crois qu’Ïko se plaisait sur notre terre, nous avions d’innombrables projets, pourtant nous le savions, attendre n’est jamais préférable.

Depuis, son absence escorte chacun de mes jours et je ne trouve pas tout à fait normal que la vie continue. Alors je sais. De quelle entreprise affective il s’agit. J’ai déjà pleuré, une médaille au creux de la main. Prendre un chien, c’est accueillir un amour immarcescible, on ne se sépare jamais, la vie s’en charge, les déclins sont illusoires et les fins insoutenables. Prendre un chien, c’est se saisir d’un être de passage, s’engager pour une vie ample, certainement heureuse, irrémédiablement triste, économe en rien. L’issue de cette union ne fait aucun mystère, s’abandonner à la refuser ou n’entreprendre que de l’envisager, dans les deux cas, la tristesse rôde, rudoie et c’est une drôle de danse, roulis de chaque jour, pour que la joie prenne le pas, relègue cette évidence et l’étouffe. La biologie, science de la vie dit-on, s’entiche peu des idylles croisées. Si votre amour de parent se porte sur un enfant de votre espèce, l’usage du temps fait qu’il vous survivra et vous n’aurez pas à ravager votre existence que la sienne s’achève. Lorsque votre amour se déporte sur un vivant d’une autre catégorie et à la durée de vie moyenne, en toute implacable logique pointera cette date où le nouveau-né rattrapera votre âge, l’excédera et mourra. C’est d’un illogisme absolu, ultime paradoxe et pas des plus aimables : la mort d’un chien est contre nature. C’est à savoir, ce bonheur a ses dates de péremption, vous aurez beau vous employer chaque jour au ralentissement de sa vie ou à l’accélération de la vôtre, c’est ainsi, on ne négocie pas avec la chronobiologie, les chiens fanent. Les amateurs du gris du Gabon l’ont bien compris et s’assèchent moins de la cornée. Surfiler son existence de la présence d’un chien, c’est entendre que le bonheur façonne la tristesse, c’est mesurer comme le manque est mal soluble dans les mémoires aussi vastes et heureuses soient-elles, c’est accepter que chaque minute volatile soit vécue sept fois plus intensément qu’à l’habitude, c’est se cogner à ce séduisant et vertigineux projet de ne saboter aucun instant et de célébrer la vie de manière forcenée. Pour cette réalité et le cran requis à son acceptation, je porte à tout être adoptant un chien de façon loyale une admiration immédiate et définitive.

En sortant du Pénalty, pénétré de cette idée, je songe qu’il est venu le temps de remettre dans ma vie un peu de cette audace d’aimer. J’y retourne brièvement pour m’acheter une de ces choses à gratter, mon horoscope étant médiocre, c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour orienter cette journée une bonne fois pour toutes en ma faveur.

 

À l’extérieur du centre commercial, il fait beau, qui pouvait savoir.

Je rappelle Mme Château qui décroche aussi vite. Pour finir, je passerai aujourd’hui samedi, après tout, elle a le droit comme chacun à son repos dominical. Avant de démarrer mon fourgon entre les tôles duquel un gros chien ne serait pas à l’étroit, j’observe les montagnes. Du parking, la chaîne du Mont-Blanc resplendit, celle des Fiz intimide, toutes deux invitent à la hardiesse. Je laisse mon esprit divaguer mais craignant qu’il s’ordonne, je lui souffle d’aller voir du côté des rêves.

Puis je me reprends, j’use de toutes les acrobaties intellectuelles pour fendiller le dessein incontesté de ce trajet, c’est une joute bien inégale. Je pioche dans la raison, la craignant d’ordinaire. Je me dis que le samedi est une très mauvaise journée pour prendre d’importantes décisions susceptibles de dessiner la vie d’après. C’est un jour de vulnérabilité économique et symbolique. Pour un peu que la semaine ait été pesante, on réclame son dû de légèreté, son rabiot d’après tout, souvent plus qu’il n’en faut et l’on balance jusqu’à l’extravagant. J’ose même convoquer les problématiques identitaires ; depuis 2002 et Le Pen au second tour, les questionnements autour d’êtres nativement supérieurs à d’autres et de frontières étanches sont en verve, des extrêmes de tous bords sont parvenus à nous imposer leurs thématiques au prisme desquelles le monde doit être lu et je crains que les Français aient envie d’essayer. Un bouvier bernois de Mâcon, en voilà une allogène imposture ! Moi bercé de mythologie alpine depuis mon enfance, saint-bernard, Rébuffat et les inatteignables edelweiss, rendre visite à l’icône des vachers de Berne aux plats replis de la Saône-et-Loire, il y a là comme du rêve en solde et qui déshonore la souche, l’orné Zermatt eût été plus étincelant. Et le pendule revient, je me persuade du contraire. Qu’une distance aux rigidités de la Suisse alémanique s’invite à l’affaire ne ternira pas la vie baroque que pourrait embrasser ce chien. Le cours du franc suisse et mon goût des confluences finit de me rallier aux charmes bourguignons. Comme la vie est orientable.

 

Je jette un œil sur la carte. Confrançon. A40. D1079.

C’est moins loin qu’il n’y paraît. Et qui sait, à ma portée..."

Cédric Sapin-Defour - Son odeur après la pluie

L'émission de France-Inter "La Terre au Carré"du 31 mai dernier
était consacrée à
Cedric Sapin-Défour,

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