Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°923 (2024-23)
mardi
4 juin 2024
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre :
[ici]
ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement,
cliquez [ici]
Pour regarder et écouter,
|
Le soleil se lève... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 avril 2024 Pinson des arbres mâle Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 avril 2024 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 avril 2024
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 avril 2024 Bergeronnette grise Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 avril 2024 Potentille sp. Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 avril 2024
Cardamine des prés Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 avril 2024
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 avril 2024
Gentiane printanière Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 avril 2024
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 avril 2024
Devant une
génisse...
Loge n° 5 Au lever du soleil
: sous les nuages
Depuis l'affût
Loge n°5
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 jeudi 2 mai 2024 [à suivre...] |
"1 « Qui t'a appris à voler ? » ai-je demandé à Hawk, mon mari. Dans cet autre monde où nous sommes à présent, derrière le monde mort que nous avons quitté à l'automne, nous longions la rivière à cheval en quête d'un peu de gibier. Par une belle matinée de printemps, le soleil levant dissipait la fraîcheur nocturne. « Ma mère, m'a-t-il répondu.
Il m'a regardée en riant avec cette expression désarmante qui me fait fondre. « Je ne comprends toujours pas.
2 Ici les dates n'existent pas, les jours de la semaine n'ont pas de nom et, comme les années ne sont pas numérotés. Tels nos frères les animaux, nous nous conformons à l'horloge fluide de la nature. Bien sûr, les saisons ont différentes appellations dans les langues des diverses tribus, mais elles ne sont pas circonscrites. Elles ne commencent ni ne finissent par un jour déterminé, et nous ne suivons aucun calendrier. Comme partout ailleurs, le printemps revient en avance ou pas, lentement ou brusquement, et, léger ou intense, il dure autant qu'il veut ; c'est notre mère la Terre qui en décide, souvent capricieuse et imprévisible, comme elle en a souverainement le droit. Depuis l'arrivée du beau temps, les marchands français redescendent du Canada pour proposer des articles qu'ils nous échangent contre nos peaux et fourrures. Comme il ne nous en reste plus guère, nous devons recourir au crédit et nous les rembourserons lorsqu'ils reviendront à l'automne, une fois la saison de chasse terminée. Je me suis liée d'amitié avec un certain Jacques Babie, un homme avenant, barbu, costaud et singulièrement érudit. « Vous m'appellerez baby, madame, comme tout le monde », a-t-il suggéré lors de notre première rencontre. Son air vaguement résigné m'a fait rire. « Mon nom est Molly McGill Hawk, lui ai-je répondu, et, sans vouloir vous vexer, vous êtes le lus gros bébé barbu que j'aie jamais vu. Cela vous gênerait-il beaucoup que je vous appelle Jacques ?
Il m'a procuré deux carnets – non plus les registres des comptoirs que nous avons largement utilisés jusque-là, mais de vrais carnets de notes – et toute une provision de crayons de couleur dont nos compagnons indiens se serviront pour leurs illustrations. Quelle joie de pouvoir à nouveau coucher mes pensées sur le papier... à mon seul profit, toutefois. Les marchands troquent d'autres produits, le café étant l'un des plus convoités, mais aussi de la farine, du sucre et du tabac, ce dernier généralement réservé aux cérémonies et aux pow-wows ; et encore des couvertures de laine, des tissus imprimés, que nous-mêmes et les Indiennes apprécions beaucoup. Suivant modestement les modes, nous les arrangeons avec coquetterie. Quel plaisir de créer un vêtement sans avoir besoin de tuer un animal qu'il faut ensuite dépouiller pour en tanner la peau ! Les ambulants nous fournissent également des ustensiles de cuisine, poêles, casseroles, etc. ; enfin des perles, des pièces et autres brillants pour orner nos cheveux, porter autour du cou, coudre sur nos vêtements ou nouer sur la crinière et la queue des chevaux. Si l'on en croit Jacques Babie, les contrées dont ils proviennent, lui et les autres marchands, représentent la partie civilisée du « Monde véritable derrière le monde mort » - comme le veut l'expression du mythe qui fonde ceux-ci. Selon Jacques, on pratique aussi chez lui des jeux guerriers, sans pour autant se livrer à de vrais guerres ; hommes et femmes défoulent leur agressivité grâce à un éventail de compétitions sportives, et tous vivent en paix sans jamais tuer personne... en tout cas pas volontairement. Des accidents peuvent survenir pendant les jeux, comme au cours de toute vie normale. Il arrive parfois que des couples ne s'entendent plus ; des disputes opposent maris et femmes, des querelles éclatent dans une famille, et il existe la même forme de divorce que chez les natifs du « monde mort » : il implique, tout simplement, que l'épouse quitte la loge conjugale et retourne dans sa famille. Mais les violences physiques sont inexistantes et aucun enfant n'est maltraité. Ces choses-là sont ici taboues... je ne devrais peut-être pas employer ce terme... disons qu'elles sont à la fois innommables et inimaginables. Si je n'ai as vraiment réussi à comprendre et à accepter cette réalité, des forces aussi étranges qu'inexplicables semblent en exclure la fureur et la cruauté, ces faiblesses bien humaines qui conduisent à la brutalité et au meurtre. Des horreurs dont je peux malheureusement témoigner, hantée que je suis par ma petite fille morte sous les coups de son père... que j'ai lui-même tué ensuite dans un accès de rage. Un acte que je ne regrette en rien, sinon qu'il m'a valu une peine de prison à vie, à Sing Sing, au lieu de la pendaison que j'espérais. Elle aurait fait disparaître l'image cauchemardesque du corps meurtri de mon enfant. Toute ma vie, celle-ci restera imprimée dans ma conscience, quel que soit le monde que je suis censée habiter. Les personnes de notre groupe qui ont choisi de rester ici paraissent mystérieusement obéir à cette force pacifique, comme si nous avions été purifiés par la tempête qui nous a transportés d'un univers à l'autre. Bien sûr, nous n'abordons pas ce sujet avec celles que nous rencontrons à présent, puisque c'est le seul monde qu'elles connaissent... jusqu'à ce que nous fassions irruption dans le leur. Je sais combien tout cela
est irrationnel, que mes griffonnages incertains
s'apparentent aux divagations d'une folle – une folle qui,
cependant, garde son calme et parle posément. J'ai la
curieuse impression d'avoir pris pied dans une sorte de
fable, d'être le jouet d'un marionnettiste qui, pour
l'instant, n'a pas professé sa morale. J'écris donc pour
essayer de trouver un sens à ce qui m'entoure, pour définir
et comprendre ce qui, après tout, ne peut l'être. Enfin...
mon mari vole comme un faucon, du moins le croit-il... et
m'emporte sur son dos dans mes rêves érotiques. Si ce sont
bien des rêves..."
Jim FERGUS - Le monde
véritable
|
|