Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°920 (2024-20)
mardi
14 mai 2024
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Les lumières de Courvières et le lever de la lune Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 5 avril 2024 Bergeronnette grise Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 5 avril 2024
Chardonneret élégant Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 5 avril 2024 Chardonneret élégant (couple) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 5 avril 2024 Drave printanière
Drave printanière et
MousseCourvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 5 avril 2024 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 5 avril 2024
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 5 avril 2024
Ficaire fausse-renoncule Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 5 avril 2024 Tussilage Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 5 avril 2024
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 6 avril 2024
Matériau pour le nid ??
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 7 avril 2024 A la chasse... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 7 avril 2024 <image recadrée>
... une chenille !
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 7 avril 2024 <image recadrée>
<image recadrée> <image recadrée>
Mésange charbonnière Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 7 avril 2024 Barbarea vulgaire - Herbe de Sainte Barbe Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 7 avril 2024 Lamier pourpre
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 7 avril 2024 Anémone sylvie (fleur rose) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 7 avril 2024 La loge Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 7 avril 2024 [A suivre...] |
"J'ai six ans. Ma mère me lit la légende du Joueur de flûte de Hamelin dans ma chambre. Sa voix devient un instrument magique, je m'endors en voyant défiler, sous mes paupières, le cortège des enfants et des rats. Ma mère aime beaucoup cette histoire. Je la lui réclame soir après soir. Quand elle renferme le livre, je lui demande où est allé le Joueur de flûte, ensuite, avec tous ces enfants qui le suivaient en direction de l'horizon. J'aimerais bien savoir où ils ont disparu. Elle répond qu'elle ne le sait pas. Dans la version de l'histoire qu'elle possède, leur destination n'est pas précisée. Ma mère se lève, éteint la lumière et s'en va. A douze ans, je me suis tout naturellement transformé en tueur de rats. Le système de chauffage à l'énergie solaire ayant fait patate, les habitants du dôme s'étaient dispersés, écoeurés de devoir fendre à la main quinze cordes de bois par année. Ayant hérité d'un petit pécule, ma mère avait quitté l'arrière-pays gaspésien pour louer une maisonnette au bord de la mer. Les goélands au vol désordonné, plongeant en piqué les jours de grand vent. Les crabes crevés retournés après la tempête, avec leurs carapaces couleur de rouille pâle. La pourpre gélatineuse des méduses affalés sur les galets. L'odeur d'iode et de pourriture d'algues, encore dans mes narines toutes ces années après. Nos voisins étaient, d'un côté, une beurrerie, de l'autre une maison abandonnée. Les rats habitaient la maison abandonnée. Tous les jours ils passaient au bout du terrain, énormes, gras et impunis, pour aller vers la beurrerie. Ma mère m'acheta une carabine à plombs et m'adouba preneur de rats. Je les canardais au passage, rechargeant à toute vitesse, comme un personnage de Hemingway. Ma mère, elle, arpentait la plage en quête d'agates et lisait du André Breton. La première fois que je lui ai rapporté un trophée, elle a failli piquer une crise de nerfs. A ma grande surprise, j'avais atteint le gros rongeur en pleine tête et il s'était écrasé dans l'herbe, sa queue écailleuse et nue fouettant les graminées. Je suis retourné sur mes pas et l'ai balancé dans la baie. Je mis ensuite au point ma propre recette raticide : un biscuit Ritz tartiné de beurre d'arachide, auquel j'agglutinais un morceau de cheddar recouvert d'un autre Ritz tartiné, le tout généreusement additionné de mort-aux-rats. Je livrais mes sandwichs dans tous les lieux fréquentés par l'ennemi.
Après notre déménagement à Laval, les choses ont nettement dégénéré. Avec les années, je suis devenu tondeur de pelouses, planteur d'arbustes, assembleur de rocailles et charrieur de ciment, puis nettoyeur de piscines et entreteneur de courts de tennis. Sur ces derniers, il m'arrivait de croiser, certains après-midi, Mike Bossy en chemisette rose et le Rocket Richard en polo blanc et short assorti. J'ai aussi fait partie d'une équipe volante vouée aux menus travaux ménagers, récurant des pavillons de banlieue, repeignant des cabanons, parfois traité aux petits oignons par une épouse délaissée qui jouait à la fausse blonde, son bronzage excessif et sa cellulite moulés dans un ravissant bikini blanc. C'est ainsi que je fus déniaisé, évaché dans une chaise longue, un coktail bien dosé posé à portée de main, sur un patio dallé de rose au bord de la piscine creusée. A l'âge de vingt-cinq ans, sur la foi d'obscures études que j'étais censé poursuivre, je me présentai à une entrevue en affichant tous les signes d'une éclatante gueule de bois et fus catapulté chargé de projet en environnement. On m'imprima même une carte d'affaires ! On aurait aussi bien pu me nommer président des Etats-Unis ! Les cinq premiers mois, j'allais être rémunéré en vertu d'un programme gouvernemental baptisé Jeunesse à l'ouvrage, mis sur pied pour permettre à une poignée d'exclus du système d'accéder à la dignité du Chômage officiel. En accord avec cette conjoncture, j'acquis deux droits démocratiques concomitants : être payé au salaire minimum, et fermer ma gueule. Au DSC, mon boulot consistait, en gros, à dresser la cartographie des sources de pollution touchant l'ensemble du territoire de l'île de Montréal, d'une superficie environ équivalente à la moitié de la Belgique. J'avais une mission. Sur le
terrain, je respirai du styrène en écoutant le directeur des
relations publiques de la Monsanto, un crétin qualifié, me
débiter, casque protecteur sur la tête et grosses lunettes
en plastique sur le nez, ses statistiques en forme de délire
pétrochimique. Rentré au bureau, je décrochais le téléphone
et demandais à parler au directeur général des Services
d'assainissement de la CUM, un homme d'une grande
disponibilité, et qui devait beaucoup s'ennuyer, car sa
secrétaire me le passait toujours sans barguigner. Nous
discutions le bout de gras, lui et moi. J'évitais de lui
parler de la nouvelle supercentrale d'épuration récemment
mise en service, qui rejetait, venait-on de découvrir,
directement dans le fleuve (ou était-ce la rivière des
Prairies?) les boues toxiques accumulées dans ses
réservoirs, faute de terrain où les entreposer. Avec mon
tact habituel, je devinais que ce sujet aurait risqué
d'indisposer le brave homme. Le sens des convenances me
faisait retrouver, d'instinct, ma sinuosité morale et ma
très grande flexibilité. C'est une qualité comme une autre à
cultiver. Lui, le ton paternel : Vous vous êtes attaqué
à une tâche pratiquement impossible, mon jeune ami. Il
promettait de m'envoyer le plan général des égouts de la
métropole, et je raccrochais, assez ému. Entre grands
hommes, on pouvait toujours se parler..."
Louis HAMELIN - Le
joueur de flûte
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