Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°916 (2024-16)
mardi
16 avril 2024
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Pinson des arbres femelle Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot samedi 2 mars 2024 Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot samedi 2 mars 2024
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot dimanche 10 mars 2024
Bois-gentil Courvières (Haut-Doubs) samedi 16 mars 2024 <Samsung A15, 16/9ème> Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot dimanche 17 mars 2024 Verdier d'Europe Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot dimanche 17 mars 2024 Crocus (blanc), sous le givre Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot mercredi 20 mars 2024 Crocus (blanc), sous le givre Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot mercredi 20 mars 2024
Cicindèle champêtre dans le jardin... Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot mercredi 20 mars 2024
Gabo Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot lundi 1er avril 2024 |
"LES OIES DES NEIGES ARRIVENT ! Le lendemain matin, la une de l'Aberdeen American News annonçait que plus de trois cent quarante mille oies des neiges étaient arrivées au Sand Lake National Wildlife Refuge, un parc naturel national, au cours des dernières vingt-quatre à quarante-huit heures. Je n'en revenais pas : j'étais arrivé dans le Dakota du Sud le même jour que les oies ! Sand Lake n'était guère qu'à une petite cinquantaine de kilomètres d'Aberdeen, directement au nord de l'autre côté de la plaine du Dakota, le long d'une route paisible et vide, bordée de plates étendues de terrain, avec des deux côtés des prairies d'aspect desséché et des champs couverts de chaume, ainsi que les ronds d'un blanc bleuté de petits lacs profonds, semblables à des doublons éparpillés à travers la prairie ; pas de vert en vue, uniquement des bruns, des fauves, des beiges, des gris et la surface bleuâtre et inégale de la glace. Des faucons des moineaux, les plus petits faucons américains, étaient perchés sur les fils télégraphiques, compacts et douillets, blottis dans la couette de leurs propres plumes grises et couleur de rouille. Des volées de merles aux ailes rouges, occupés à glaner, parcouraient les champs couverts de chaume comme les ombres géantes de plantes flétries emportées par le vent. Je n'avais jamais prêté une telle attention aux oiseaux. J'avais toujours à portée de main, sur le siège à côté de moi, un guide d'ornithologie et mes jumelles d'observation. Je guettais les oies des neiges. Je ne pouvais pas m'arrêter de penser à elles. Trois cent quarante mille oies des neiges. Sand Lake, autrement dit le lac sablonneux, était une longue portion de la James River, tout près de la limite avec le Dakota du Nord. J'ai garé la Topaz à côté de deux pick-up blancs, sur les portières desquelles figurait l'écusson de l'US Fish and Wildlife Service, un organisme chargé de veiller sur la faune sauvage. J'ai boutonné jusqu'au menton ma doudoune en duvet et passé la courroie de mes jumelles autour de mon cou. Il faisait un froid de loup. Il y avait des bosquets de peupliers noirs et d'ormes, des rangées protectrices de frênes rouges et d'oliviers de Bohême, et aussi des saules drapés, dans les parcelles marécageuses. Le ciel, d'un bleu profond, démesuré, paraissait suivre la courbe de la terre à chaque extrémité. Des nuages qui ressemblaient à des perruques de juge dérivaient sur ce fond azuré. J'entendais, au loin, un son faible et familier, une foule de terriers en train de japper presque hors de portée d'oreille. Tout excité, j'ai commencé à marcher vers le nord, le long de la piste en terre battue, parsemée de pierres, qui couvrait les quelques kilomètres séparant l'entrée de la réserve du barrage Houghton. Des fourrés de massette et de phragmite formaient une ceinture dorée autour du lac, leurs tiges prises dans la glace tantôt au niveau des tibias, tantôt à celui des chevilles. Des graines brunes et raides comme des cigares pointaient à l'extrémité des massettes. Quelquefois, des pick-up conduits par des chasseurs en tenue de camouflage me dépassaient sur la piste et le sillage de chaque véhicule agitait les massettes et les phragmites. Les jappements se sont transformés en bourdonnement continu. Je suis passé devant une petite ferme, puis j'ai contourné un promontoire, marchant de plus en plus vite vers la source du bruit. J'ai vu apparaître des oies des neiges, comme une promesse tenue. Des milliers d'oiseaux de phases bleue et blanche étaient massés sur la glace au milieu du lac, formant un gigantesque dessin en amande qui s'effilait à ses extrémités nord et sud. Leurs têtes étaient levées bien haut, leurs cous tendus, perpendiculaires à la glace. De près, le bruit n'était plus qu'un vacarme sauvage et universel, les appels se propageaient sur la glace comme des billes roulant sur une plaque métallique. Je me suis immobilisé, respirant à fond, à demi caché derrière une massette. Un pick-up du Fish and Wildlife Service est venu s'arrêter à ma hauteur et un homme sanglé dans l'uniforme des gardiens s'est penché à la vitre. Il avait une cinquantaine d'années, portait des lunettes cerclées de métal, derrière lesquelles je pouvais voir deux épais sourcils pleins d'emphase et deux yeux d'un gris-vert transparent. Ses cheveux taillés court grisonnaient, on aurait dit un mélange d'oies de phase bleue et blanche. « ça vaut le coup d'oeil, pas vrai ? m'a-t-il dit.
Michael a coupé son moteur et il est venu me rejoindre sur la hauteur qui dominait le lac. Il était grand, plus d'un mètre quatre-vingts, ses bottes noires étaient aussi bien astiquées que celles d'un soldat, son ceinturon était déformé par le poids d'outils professionnels : revolver, menottes, spray au poivre, matraque télescopique. Nous avons contemplé les oies, élevant la voix par-dessus leur vacarme. « Vous vous intéressez aux oies ? A demandé Michael.
Je lui ai demandé s'il y avait un rapport avec la quantité d'oies des neiges. « Bien sûr. Les pygargues serrent les oies de près. Ils s'en prennent aux malades. Les oies infirmes se réunissent dans les derniers coins d'eau courante qui restent. J'en ai vu qui plongeaient pour échapper à un pygargue et j'ai vu le pygargue bel et bien s'enfoncer dans l'eau comme un balbuzard pêcheur, pour les prendre dans ses serres et les remonter sur la glace. Les pygargues ne peuvent pas s'envoler tout de suite parce que leurs plumes sont gorgées d'eau. Ils se secouent sur la glace, sans lâcher l'oie qui se débat de toutes ses forces, puis ils lissent leurs plumes un bref instant, et ensuite ils passent aux choses sérieuses et mangent leur oie. Et ils attrapent des poissons aussi. Les aigles et les goélands argentés arrivent très tôt pour le massacre des poissons. La glace fait soixante centimètres d'épaisseur, mais un poisson mort dessous fait une tache noire qui absorbe davantage de chaleur et remonte donc à la surface, et c'est comme ça que les goélands et les aigles les chopent. » Il s'est interrompu ;
une franche pagaille régnait parmi les oies. Leurs appels se
sont faits plus forts, plus pressants. Tout à coup, comme si
quelqu'un avait appuyé sur une détente, la bande entière
s'est envolée. Trente mille oies ont quitté la surface
glacée devant nous, les battements d'ailes tambourinaient
dans l'air, les couinements des volatiles se transformaient
en hurlements scandés et métalliques – le bruit que l'on
entend quand un morceau d'acier est martelé sur une enclume,
dans une caverne. La glace vibrait et chantait à l'unisson.
Le troupeau éparpillé remplissait notre champ de vision,
c'était un blizzard d'oies. La plupart d'entre elles
décrivaient des cercles à faible distance du sol, mais
certaines sont retournées se poser presque aussitôt, tandis
que d'autres ont continué à s'élever. Des bourrasques d'oies
fendaient l'air, derrière ou à travers d'autres
bourrasques ; le troupeau continuait de tourner en
rond, inlassablement, bouillonnant de tourbillons et de
mouvements contraires, un chaos poivre et sel de phases
bleue et blanche, qu'éclairaient de brèves étincelles
argentées de dos d'ailes blancs prenant soudain la lumière
du soleil. Des rubans entiers de volatiles viraient au noir
quand ils nous apparaissaient de côté, tandis que d'autres
lançaient des éclairs blancs chaque fois qu'ils changeaient
de direction, le poitrail face à la lumière. Et puis
lentement, une oie après l'autre, le troupeau s'est
reposé : la masse en amande s'est reformée ; le
tapage invraisemblable s'est atténué ; le bourdonnement
régulier a repris. Un bref instant, j'avais oublié de
respirer..."
William FIENNES - Les
oies des neiges
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