Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°915 (2024-15)
mardi
8 avril 2024
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Etourneau sansonnet Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot vendredi 8 mars 2024 Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot vendredi 8 mars 2024
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Etourneau sansonnet
Etourneau sansonnetCourvières (Haut-Doubs), Champ-Margot vendredi 8 mars 2024 Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot vendredi 8 mars 2024
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot dimanche 10 mars 2024
Moineau domestique
femelle
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot dimanche 31 mars 2024
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"1
J'avais du mal à obtenir une réponse claire de la part du petit-fils et de son épouse : pour quelle raison leur grand-père s'était-il retrouvé attaché au bout d'une corde de nylon de 35 mètres de long au pare-chocs arrière de l'Oldsmobile Toronado de 1968 ? Je
regardai
fixement le klaxon et posai mon front sur le bord de
mon volant. - Alors, lorsque vous avez freiné au stop, il s'est écrasé contre l'arrière de la voiture ? C'était le genre d'hiver qui éprouvait durement même les âmes les plus résistantes; depuis octobre, nous n'avions eu que des blizzards, des cataclysmes neigeux, des brouillards givrants et des vagues de froid qui avaient empêché la température de dépasser la barre des -25 °C. Nous n'avions eu qu'un seul répit, un chinook qui avait duré juste assez longtemps pour tout transformer en une infâme gadoue, et la totalité du comté s'était ensuite retrouvée sous un carcan de glace d'une quinzaine de centimètres d'épaisseur lorsque avait sévi la gelée suivante. C'était
le
genre d'hiver où les bêtes qui se couchaient avaient
peu de chance de se relever un jour - mortes de froid
et de faim, ou inversement.
Nous
étions
tous assis dans la cabine de mon pick-up dont la barre
d'avertisseurs lumineux était allumée pour signaler
aux automobilistes que la chaussée était verglacée. La
route, ou, plus exactement, la fine couche de glace
qui la recouvrait, était probablement ce qui avait
sauvé la vie de Geo Stewart ; s'il n'y avait pas eu
les nombreux appels au 911 récupérés par Ruby, ma
standardiste, et provenant d'automobilistes qui
passaient par là, et le panneau stop sur la route 16,
le vieux monsieur de soixante-douze ans aurait fait
l'entrée la plus incroyable que la ville de Durant,
Wyoming ait jamais connue. Je contemplai le rouge à lèvres rose bonbon qui bordait son ultime cigarette. Je lui avais demandé trois fois de ne pas fumer dans mon camion et j'essayais d'ignorer les vagues effluves de marijuana émis par le couple. Elle en était peut-être à sa dernière cigarette, mais il me semblait, à l'odeur, qu'ils recelaient encore des stocks d'une autre substance.
Nous écoutâmes tous les parasites et appels débridés émanant des autorités du nord de l'État sur mon Motorola, et je cessai de gribouiller dans mon livre de bord.
Je regardai Duane, mais il n’avait pour l’instant rien émis de plus que des grognements approbateurs chaque fois que Gina avait parlé.
Je les observai tous les deux et pensai à poser une nouvelle fois ma tête sur mon volant.
Elle secoua la tête dans sa capuche et sortit la cigarette encore intacte de sa bouche.
Le silence retomba. Je visualisai le domaine de la famille Stewart, composé d’une maison victorienne et d’un certain nombre de mobile homes de simple et double largeur.
Elle repoussa le bord de sa capuche qui tombait sur son visage ; grâce au chauffage du camion, la température de l’habitacle commençait à dépasser celle d’une ère glaciaire. Pour la première fois, je remarquai qu’elle avait de grands yeux bruns et un charmant visage en forme de cœur. Il était gâché par des cheveux d’un blond sale, mais elle était mignonne, avec ses traits prématurément tirés. Elle avait appris que, pour fasciner les hommes, il fallait leur accorder la plus grande attention. Cela ne faisait que dix minutes que j’étais avec Gina dans le camion et j’avais déjà la tête qui tournait; cela dit, la raison en était peut-être les vapeurs bien peu orthodoxes qui se dégageaient de mes deux passagers. Elle regarda Duane, et je fis de même, décidant probablement que c’était à lui de raconter le reste de l’histoire. Duane Stewart avait quitté l’école à l’âge de quatorze ans avec l’accord de ses parents, parce qu’il avait un don dans le domaine de la combustion interne ; quel que soit le type de véhicule motorisé fabriqué avant 1972 que vous possédiez, Duane pouvait le réparer. Son oncle Morris et lui avaient un atelier de mécanique délabré situé sur la route de la casse, l’autre entreprise familiale en activité. D’ossature épaisse, il avait sur le visage quelques boutons qui me rappelaient à quel point il était jeune – il devait avoir à peine vingt ans. Son regard chercha le mien un instant, puis il renonça et s’éclaircit la voix.
Je contemplai les lueurs rouges et bleues émises par mon camion qui se mêlaient aux lumières jaunes de l’ambulance garée derrière nous et qui balayaient les collines.
Je pris une grande inspiration et m’appuyai contre le dossier de mon siège.
Le jeune homme repoussa sur sa tête la visière de sa casquette tachée d’huile de moteur. J’y lus hemi.
Il se prit au jeu de son histoire et commença à agiter les deux mains, dont les ongles et la pulpe des doigts portaient les traces de son art.
Craig JOHNSON - Molosses
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