Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°907 (2024-07)
mardi
13 février 2024
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre :
[ici]
ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement,
cliquez [ici]
Pour regarder et écouter,
|
Canard colvert mâle La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 28 janvier 2024 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 28 janvier 2024 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 28 janvier 2024
Cygne tuberculé La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 28 janvier 2024
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 28 janvier 2024 Troupe de Fuligule morillon La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 28 janvier 2024 Etirement La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 28 janvier 2024
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 28 janvier 2024
Repos La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 28 janvier 2024 Etirement La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 28 janvier 2024
Canard colvert mâle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 28 janvier 2024
Canard colvert mâle
s'étirant
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 28 janvier 2024
|
"Les mésanges ont-elles une culture ? Les ornithologues, tant amateurs que professionnels, sont des gens formidables. Leur capacité à détecter rapidement la présence d'une espèce dans un endroit où elle ne se trouve pas normalement est exceptionnelle, grâce à leurs listes d'observations exhaustives et à leur habilité à reconnaître les espèces les plus rares. En 2001, j'ai été invité à prononcer une conférence sur les innovations au congrès de l'Association québécoise des groupes d'ornithologues (aujourd'hui le Regroupement QuébecOiseaux). A la fin du repas, on a organisé un concours d'identification d'espèces basé sur des images très fragmentaires de bouts de plumage. A ma table, trois personnes ont obtenu un score parfait, identifiant l'espèce sur chacune des douze images partielles présentées. Moi, mon score a été de moins 3, car on pénalisait les erreurs. J'étais assez gêné quand on m'a appelé au micro pour le début de ma conférence... C'est donc aux amoureux des oiseaux et à leurs publications que je me fie, car ma capacité de reconnaissance des espèces en nature est très limitée. Je distingue la sittelle de la mésange parce qu'une des deux, la sittelle, je crois, se perche la tête en bas sur les troncs d'arbres... L'ornithologie est une des dernières sciences où les non-professionnels peuvent publier leurs découvertes dans des revues sérieuses. Jusqu'au Xxè siècle, c'était le cas de toutes les sciences, mais on imagine difficilement aujourd'hui des recherches avancées en physique ou en chimie faites en dehors d'un laboratoire universitaire ou industriel. En ornithologie, ce sont souvent les amateurs qui sont les plus calés. Il existe parmi eux une concurrence internationale pour le plus grand nombre d'espèces d'oiseaux observées par la même personne en une année : le record actuel est détenu par le Néerlandais Arjan Dwarshuis, avec un total de 6852, soit plus des deux tiers de toutes les espèces qui existent. Un autre record : le 9 mai 2020, plus de 50 000 amateurs ont fourni en une seule journée 2,1 millions d'observations sur 6 479 espèces d'oiseaux au Laboratoire d'ornithologie de l'Université Cornell. C'est sur cette expertise que se base depuis 1900 la société Audubon pour organiser chaque année son décompte de Noël, qui utilise les talents de milliers d'ornithologues amateurs pour quantifier les populations d'oiseaux. Au fil du temps, ce qu'on appelle la « science citoyenne », l'implication du public dans la prise de données scientifiques, a fait des petits chez les amoureux des oiseaux : le Relevé des oiseaux nicheurs de l'Amérique du Nord utilise les données d'observateurs bénévoles au Canada, aux Etats-Unis et au Mexique, alors que le projet FeederWatch, coordonné lui aussi par l'Université Cornell, recueille les observations des gens qui ont des mangeoires pour oiseaux installées chez eux. Au Brésil, le site WikiAves héberge plus de 4 millions de photos fournies par des amateurs d'oiseaux. Il faut dire que les oiseaux font tout pour faciliter nos observations. Beaucoup de mammifères sont nocturnes, silencieux et de couleur neutre, donc difficiles à observer. Au contraire, les oiseaux sont colorés, bruyants et presque tous diurnes. La beauté de leur plumage, leur vol et leur chant encouragent les gens à les attirer avec des mangeoires et des jardins de fruits et de fleurs, de même qu'à organiser des clubs d'observation. On trouverait bizarre qu'une association se donne rendez-vous dans un dépotoir ou un égout au coucher du soleil pour observer à la jumelle infrarouge les allées et venues de rats... Mais il nous semble tout à fait normal qu'une telle réunion ait lieu à l'aube près d'un marais ou d'un boisé et que le sujet soit les oiseaux. En Angleterre et dans le reste de l'Europe, les mésanges sont parmi les oiseaux les plus populaires auprès des observateurs ; cela a certainement facilité la cueillette de données sur l'origine et l'expansion géographique de l'ouverture des bouteilles de lait. Les mésanges sont aussi les espèces les plus étudiées par les scientifiques. Il existe en biologie un moteur de recherche appelé The Zoological Record qui catalogue tous les articles publiés chaque année dans les revues scientifiques sur toutes les espèces animales. Le nombre d'articles publiés au cours d'une période donnée est facile à extraire et permet de comparer l'effort de recherche consacré à chaque type d'oiseau. Ainsi, le moineau domestique est l'espèce qui a le nombre le plus élevé d'innovations, mais c'est aussi la sixième espèce la plus étudiée, selon le Zoological Record, parmi les quelque 10 000 qui existent. Ce détail est important : il est beaucoup moins probable de voir une innovation chez une espèce que personne n'étudie (c'est le cas d'un cinquième des 10 000 espèces) que chez une espèce populaire, nombreuse et qui habite des régions faciles d'accès, comme le sont l'étourneau, le goéland argenté et le canard colvert, tous trois parmi les dix oiseaux les plus étudiés. Dans nos analyses, mes collaborateurs et moi ajoutons toujours l'effort de recherche pour enlever de nos calculs cette source de biais. Les mésanges qui ont innové en ouvrant des bouteilles de lait sont des oiseaux curieux et faciles d'approche. Quand on installe de nouvelles mangeoires en ville ou en forêt, la mésange charbonnière est la première à les découvrir. Elle est aussi l'un des oiseaux les plus étudiés au monde, arrivant au 5è rang sur les quelques 10 000 existantes ; sa cousine la mésange bleue arrive au 19è rang. En Angleterre, dès les années 1940, William Thorpe, professeur d'éthologie à l'Université de Cambridge, a recensé et analysé pour la revue British Birds une foule d'expérience faites par des amateurs sur les mésanges qui visitaient leurs mangeoires. La plupart des tests étaient basés sur l'épreuve de la corde : une nourriture est placée au bout d'une ficelle qui pend d'un perchoir et exige de l'oiseau qu'il en tire l'autre bout avec son bec, fixe ce bout contre le perchoir avec sa patte pour ne pas qu'il retombe, puis répète ces opérations jusqu'à ce que la nourriture arrive jusqu'à lui. La réussite de ce test a souvent été considérée comme une preuve d'intelligence, parce qu'elle implique une séquence d'opérations combinant plusieurs actions (tirer, fixer, tirer encore, enfin fixer) et suppose une certaine compréhension des relations de cause à effet (si je lâche le bout de corde que je viens de tirer, la nourriture retombe). Le chardonneret du célèbre tableau néerlandais (et des romans et film américains du même nom) est connu depuis des siècles pour son habilité à tirer dans sa cage un dé à coudre rempli d'eau. Le cas le plus spectaculaire du test de la corde en nature a été vu en Suède : des corneilles mantelées ont volé les poissons que des pêcheurs avaient attrapés au moyen d'une ligne placée sous la glace d'un lac ; en coopérant, les corneilles ont tiré sur la ligne à la sortie du trou, puis, en marchant sur la ligne pour ne pas qu'elle retombe sous la glace, elles sont retournées au trou pour en tirer une deuxième longueur et ainsi de suite jusqu'à ce que les poissons soient sortis. Certaines des expériences en nature recueillies par Thorpe étaient encore plus ingénieuses, voire bizarres. Dans les années 1940, un certain Brooks-King a inventé pour les mésanges de son jardin l'équivalent d'une machine à boules. Des trous étaient percés sur cinq rangées dans une plaque verticale en plexiglas, chacun obturé par un bout de bois amovible. Une noix était placée dans un des trous de la rangée supérieure. L'oiseau devait enlever le bout de bois qui obturait le trou où se trouvait la noix, ce qui la faisait tomber dans la deuxième rangée, où il fallait ensuite enlever le bout de bois qui obturait ce trou-là, ce qui libérait la noix vers un trou de la troisième rangée et ainsi de suite jusqu'à ce que la noix tombe dans un réceptacle ouvert à la base de l'appareil. Il ne manquait que les lance-billes à ressort, les leviers, les lampes et les sons de cloche pour faire de l'appareil de Brooks-King une machine à boules digne d'un vieux film américain ou d'un opéra rock. Plusieurs espèces de mésanges ont exploré l'appareil et réussi le test, la mésange bleue devançant toutes les autres. Et ce ne sont pas que les mangeoires emberlificotés de Brooks-King qui attirent les mésanges, mais toutes sortes d'objets. En 1949, les oiseaux furent pris d'une sorte de folie exploratrice : ils envahirent les maisons anglaises et se mirent à picorer et à arracher tout ce qu'ils trouvaient. Comme pour la prolifération des sites d'ouverture de bouteilles, la très sérieuse revue British Birds mena son enquête. Cette fois, le détective fut le très méticuleux colonel WM Logan Home, qui documenta dans un inventaire détaillé l'épidémie d'arrachage de cette année-là. Le décompte fait par Logan Home est un peu fastidieux, mais il vaut la peine d'être cité au complet tant il est précis et, avouons-le, digne d'un sketch des Monty Python... Au cours du seul automne 1949, nota le colonel, les mésanges anglaises s'attaquèrent à 1564 surfaces de papier peint, 199 journaux et magazines, 114 couvertures de livres, 110 cartes d'identification sur des portes, 106 abat-jour de papier ou de soie, 36 lettres, 36 passe-partout, 34 cartons, 25 paquets de graines dans des serres, 22 petites boites d'allumettes ou de cigarettes, 18 rouleaux de papier toilette, 18 bandes de glu sur des arbres fruitiers, 10 avis fixés sous des porches d'église, 7 bouts de papier séparant des épingles sur des cordes à linge, 7 papiers d'enrobage sur des fruits (sans que le fruit soit entamé, précise le colonel), 6 étiquettes sur des bouteilles, 4 couvercles de pots de confiture, 3 billets de 10 shillings provenant d'un livret de laitier, 4 timbres arrachés sur des lettres, 3 boîtes (vides) de feux d'artifice et, enfin, une étiquette sur une clé que se sont disputée deux mésanges. Et ce n'est pas fini ! Vient ensuite la liste des bouts de tissu volés par les oiseaux : 54 vêtements sur des cordes à linge, 9 morceaux de cuir sur des horloges ou des selles, le rembourrage de 5 coussins et de 4 chaises, 3 broderies de rideaux, 3 boutons, 2 gants, 2 pelotes de laine, un chapeau, et même le stuc d'un plafond d'église et un tapis d'escalier... A la fois essoufflant de
précision et crucial, le travail de Logan Home a permis de
constater que s'il est arrivé à toutes ces mésanges
anglaises d'explorer cette année-là plus de 2400 objets
inusités, les bouteilles de lait n'avaient peut-être rien de
spécial pour elles. Surtout, leur ouverture ne nécessiterait
pas d'observer et de copier un autre oiseau, mais simplement
d'appliquer à un objet parmi tant d'autres la curiosité qui
leur permettait d'arracher tous ces bouts de papier et de
tissu. Un argument, donc, contre la transmission culturelle
par imitation et pour l'explication beaucoup plus simple de
l'exploration individuelle..."
Louis LEFEBVRE - Têtes
de Linotte ?
|
|