Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°906 (2024-06)
mardi
6 février 2024
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Etourneau sansonnet Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot dimanche 24 décembre 2023 Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot dimanche 24 décembre 2023
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot dimanche 24 décembre 2023
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot lundi 25 décembre 2023 Etourneau sansonnet Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot lundi 25 décembre 2023 Etourneau sansonnet, fermant sa "membrane nictitante" Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot lundi 25 décembre 2023 <image recadrée> Etourneau sansonnet chantant Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot lundi 25 décembre 2023 <image recadrée>
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot lundi 25 décembre 2023
Etourneau sansonnet Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot lundi 25 décembre 2023
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot samedi 30 décembre 2023
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Renoncule des glaciers - Col de la Bonnette, Alpes de Haute-Provence (3 000 m) - juin 2002 "La renoncule des glaciers Ranunculus glacialis LA BELLE ET LA PENTE Dans la langue scientifique, les renoncules ont une parenté étymologique avec les... grenouilles ! En effet, ces dernières, en Europe, appartiennent en bonne partie au genre Rana. Les renoncules, quant à elles, portent le nom latin Ranunculus, qui signifie littéralement « petites grenouilles ». Il semble plutôt incongru et contradictoire d'appeler une plante « petite grenouille des glaciers » (Ranunculus glacialis), car même si la grenouille rousse (Rana temporaria) se rencontre à d'impressionnantes altitudes, elle ne va pas encore jusqu'à s'aventurer sur des glaciers. La raison de cette bizarrerie est très prosaïque : les premières renoncules nommées par la science étaient des plantes de marais, colocataires des grenouilles. Et puis il s'est avéré que des plantes bien éloignées des amphibiens appartenaient elles aussi à ce genre botanique. Les « petites grenouilles » ont donc gagné les sommets ! La renoncule des glaciers a longtemps été considérée comme la plante poussant aux plus hautes altitudes dans les Alpes. Si plusieurs autres espèces l'ont détrônée ces dernières années, elle n'en demeure pas moins un être étonnant à bien des égards : nécessitant l'entremise de petites mouches pour assurer sa pollinisation, elle déploie pour les attirer une grande fleur blanche. C'est même la plus grande en diamètre, de toutes les plantes alpines rencontrées à plus de 3 000 mètres d'altitude. Et comme les pollinisateurs, à de telles élévations, sont peu efficaces – difficultés de trouver des fleurs ; températures souvent léthargiques ; faibles adaptations au transport de pollen-, la renoncule des glaciers recourt à de superbes artifices : ses fleurs s'épanouissent d'autant plus longuement que l'altitude est élevée, et les cellules de ses pétales sont constellées de petites structures gorgées d'amidon, appelées amyloplastes, qui assurent la diffraction de la lumière solaire (UV inclus), elle la transforme en un chatoiement particulièrement attractif pour les insectes. Et pour ne pas épuiser ces derniers, ces mêmes pétales se referment sur eux-mêmes une fois la pollinisation réalisée. Ce mécanisme fait fortement chuter la réflexion de la lumière et évite ainsi au pollinisateur potentiel de perdre du temps dans une fleur déjà « satisfaite ». C'est à se demander qui fait vraiment preuve d'intelligence dans cette histoire : la mouche ou la renoncule ? Lorsque l'on grimpe la voie
normale de la Meije (3 983 mètres), sommet mythique du
massif des Ecrins, il arrive un moment saisissant où il faut
rejoindre, quasiment à l'horizontale, un glacier suspendu
appelé glacier Carré. Généralement, les cordées contournent
ce passage par une sorte de cheminée assez étroite mais
sécurisante, puis redescendent vers le glacier. Mais le
cheminement le plus direct est tout à fait
spectaculaire : une vire d'une trentaine de centimètre
de large, bordée d'un mur à gauche et de plusieurs centaines
de mètres de vide à droite. Ainsi engagé, on a vaguement
l'impression de marcher sur les bords des fenêtres d'un
gratte-ciel ! Sans que la difficulté soit extrême –
après tout, on marche plus ou moins à l'horizontale-, le
lieu est impressionnant, l'attention totale. A la sortie du
passage, avec Sébastien Lavergne, chercheur en biologie de
l'évolution (et vieil acolyte!), nous avons découvert, en
2012, une écume de fleurs blanches venant buter sur le
glacier Carré. Encore un peu groggy du fait de l'extrême
concentration, nous réalisons que cette vague blanche est
une magnifique population de renoncules des glaciers. Nous
sommes à presque 3 700 mètres d'altitude, au bord d'un
glacier. Ce « jardin » fleuri a quelque chose de
surréaliste. Nous décidons alors d'y retourner l'année
suivante, de rejouer le chemin du « presque
gratte-ciel », et d'installer des capteurs de
température pour mieux comprendre l'écologie de cet
écosystème atypique. En 2018, c'est à cet endroit qu'un
important (et inattendu!) effondrement aura lieu. Pendant
l'été, les températures étaient montées à plusieurs reprises
à 40°C ! Les renoncules se sont un peu fait
« raboter » par les tonnes de roches déversées,
mais elles sont encore là, sentinelles inoxydables du vivant
dans un lieu que seuls les humains voient comme un désert.
Un peu comme des princes qui ne devineraient pas, dans les
grenouilles, les sublimes princesses cachées..." Bérardie laineuse - Crôts, Hautes-Alpes (3 000 m) - juin 2002 "La bérardie laineuse Berardia lanuginosa UNE VIEILLE DAME A TETE D'ARTICHAUT La bérardie laineuse fait partie des plantes auréolées d'un mystère tenace. Son aspect d'abord : membre de la grande famille des pissenlits et autres laitues (les composées ou Astéracées), la bérardie ressemble à un petit artichaut jaune pâle, posé au sommet de feuilles larges, épaisses, velues grisâtres et appliquées au sol. Ce que le botaniste haut-alpin Edouard Chas compare astucieusement à de la peau d'éléphant ! Assurément, de près ou de loin, rien ne lui ressemble. Et pour cause : parfaitement unique en son genre, cette espèce s'est séparée de ses plus proches cousines il y a environ 25 millions d'années ! De quoi donner le tournis... D'autres lignées de plantes ont divergé il y a aussi longtemps, comme les chardons appelés « carlines » (Carlina) de ceux appelés « oursins » (Echinops), mais ces groupes se sont grandement diversifiés : plusieurs espèces sont apparues depuis cette séparation antédiluvienne. Pour la bérardie, il n'en est rien : c'est la seule et unique espèce de cette lignée apparue lors de la période géologique dite de l'oligocène (- 33,9 à – 23 millions d'années). Pour donner un repère, l'écrasante majorité de notre végétation actuelle s'est forgée lors du myocène (- 23 à – 5,3 millions d'années). La bérardie est donc une espèce particulièrement âgée en comparaison des autres plantes montagnardes. Et si d'autres espèces de bérardies dans l'histoire du vivant ont existé, aucun fossile n'en a jamais témoigné. Il s'agit ainsi d'une vieille et vénérable habitante des austères rocailles calcaires des Alpes du Sud. On la désigne comme paléoendémique, terme barbare signifiant que la bérardie a connu un très long cheminement évolutif, amorcé bien avant les grandes glaciations quaternaires, et qui a abouti à son endémisme actuel. Sa lignée est apparue à une époque où le climat était tropical, en un lieu où les Alpes étaient encore au stade de préadolescentes (elles n'avaient pas fini de grandir!). Elle faisait partie d'une flore qui a été en grande partie éradiquée par les glaciations, il y a quelques deux millions d'années. Dans ce jeu de massacre à grande échelle, la bérardie a au contraire tiré profit de ces changements. Appréciant les rocailles très peu végétalisées, avec un sol squelettique, elle en a trouvé de grandes surfaces au sud des Alpes, trop chaudes pour l'installation des glaciers mais trop froides et pauvres pour celle d'autres espèces végétales. C'est ainsi que contre toute attente, cette lignée née sous climat tropical s'est non seulement adaptée aux rigueurs des glaciations mais s'y est faite, en quelque sorte, une place au soleil. Cette plante étonnante, aboutissement d'une évolution singulière sur plusieurs millions d'années, est à l'heure actuelle protégée sur tout le territoire français. Même si son aire d'occupation est restreinte, elle reste encore assez substantielle. Une recherche récente a toutefois montré que le réchauffement climatique est – comme pour beaucoup d'autres espèces – trop rapide pour assurer à la bérardie le temps de l'adaptation. Son aire géographique se contracterait ainsi de manière continue sous l'effet de l'augmentation des températures. Il ne suffit donc pas d'avoir une très lointaine origine tropicale pour pouvoir faire face à un tel réchauffement. Si la bérardie n'est pas à ce jour menacée, elle incarne ce témoin silencieux de l'effondrement en cours de la biodiversité, de cette rupture avec le vivant que nous n'arrêtons plus de consommer..."
Cédric DENTANT - Botanique
des cîmes
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