Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°893 (2023-42)
mardi
7 novembre 2023
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Au lever du jour... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 16 septembre 2023 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 16 septembre 2023
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Rougequeue noir
femelleCourvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 16 septembre 2023 Rougequeue noir femelle Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 16 septembre 2023
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Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 23 septembre 2023
Corneille noire Laitue serriole Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 24 septembre 2023 Rosée Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 24 septembre 2023 Génisses Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 24 septembre 2023
Gomphocerippus rufus
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 30 septembre 2023
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mardi 28
janvier 2020 |
"9 Si se raconter des histoires est le propre de l'espèce humaine, le besoin d'un recoin où nicher, lui, nous ramène à notre animalité. Tout comme l'envie d'hiberner qui nous saisit par temps froids ou la manière archaïque dont nos poils, munis chacun d'un muscle minuscule, se dressent encore pour isoler la peau. Nos canines et nos ongles, le cri rauque d'une femme en train de mettre au monde, nos organes et notre rythme biologique devraient nous le rappeler : nous sommes aussi des mammifères. Dominique Fortier, dans son merveilleux livre sur Emily Dickinson, les Villes de papier, me permet d'étendre l'analogie animale aux espaces aériens avec ce petit bijou d'extrait dans lequel les filles s'interrogent mutuellement : « Comment appelle-t-on un groupe de faisans ? Demanda Anna.
Isobel hésite. Sans lever les yeux de son livre, Emily répond à sa place :
Elle les observe, tailles fines, tabliers blancs, cheveux attachés, non pareilles et pourtant mystérieusement semblables dans leur jeunesse. Et pour nommer un groupe d'élèves de séminaire, un soir d'hiver, comment dit-on ? Elles sont tout cela à la fois, bien sûr : exaltation, parlement, flamboyance, kaléidoscope, murmure. » Si beaucoup d'animaux vivent en groupe pour augmenter leurs chances de survie, il existe de nombreuses exceptions ; le jaguar, la loutre, le panda géant, le chat forestier, la baleine bleue et l'orang-outan, pour ne citer qu'eux, sont des êtres solitaires. Et même les meutes et les hardes connaissent leur mavericks, des individus blessés ou malades qui se désolidarisent du groupe et vont s'isoler et se cacher – non pour mourir, comme on l'entend souvent, mais pour tenter de survivre dans un buisson ou une infractuosité. Le Centre national de ressources textuelles et lexicales du CNRS, que je ne remercierai jamais assez, définit le terrier comme un « abri, gîte que certains animaux creusent dans le sol. », mais aussi comme un « lieu retiré, retraite, refuge ». C'est dans ce même dictionnaire que j'avais découvert en 2022 le terme de sauvagière, un hapax, c'est-à-dire un terme dont il n'existerait alors qu'une occurrence dans l'ensemble du corpus littéraire. A partir de cette unique apparition dans un roman empli de saisonnalités agricoles d'Henri Bosco, Le Mas Théotime, paru en 1945, une sauvagière a été définie comme un lieu où l'on se retire pour se mettre à l'abri de tout contact humain. Même les adeptes les plus acharnés des luttes collectives en ont parfois besoin, ne serait-ce que pour prendre du recul, du repos, s'écouter dans le silence et regarder le monde de plus loin. De mes nombreuses lectures du confinement m'est restée une phrase de Sandra Lucbert à propos du Decameron, recueil de nouvelles de l'Italien Baccace au XIVè siècle. Elle y évoque « le liminaire qui est peut-être le vrai lieu de la littérature – cet en-dehors qui est à la limite de l'au-dedans. Le liminaire : une maison retirée qui n'est pas faite pour se retirer du monde – mais pour l'examiner depuis ses confins. » Un terrier donc, est de la fiction : nous avons toutes et tous besoin d'une cabane à soi, dont la charpente serait faite de récits et de bois. Dans l'album jeunesse Ma vallée, que j'ai beaucoup lu à voix haute il y a des années, Claude Ponti imagine un arbre-maison. Tout en haut, au niveau de la canopée, il y a placé une bibliothèque attenante à la chambre des étoiles. Peut-être y a-t-il là un espace où il devient possible de retisser l'humain à l'ensemble du vivant. Ce lien est critique, on le sait. Partout dans le monde, on vit de plus en plus loin des campagnes et des forêts. En France, la zone naturelle la plus proche se situe en moyenne à 16 kilomètres de chez soi. Et la représentation de la nature elle aussi s'éloigne, des films et des livres pour enfants notamment. Les termes liés à la nature dans les romans, les paroles de chanson et les films déclinent depuis 1950, la plupart des auteurs vivent eux-mêmes en ville. Je l'ai souvent dit et
écrit, on ne défend pourtant bien que ce qu'on a appris à
aimer. Ce qu'on côtoie, ce qu'on habite, ce à quoi on
s'attache et se lie. Avec cet éloignement croissant, que
deviendront la perception, l'affect lié au vivant, au
sauvage, aux espaces encore préservés ? Plus que jamais
je suis convaincue qu'il nous faut redoubler de créations
empreintes de ces tendresses qu'on éprouve pour d'autres que
soi, et offrir des fictions tissées de rêves d'humanité et
d'animalité mêlées en joie..."
Corinne MOREL DARLEUX - Alors
nous irons trouver la beauté ailleurs
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