Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°891 (2023-40)
mardi
24 octobre 2023
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Nouveau poster pour la "Margotte" ! Eté et Automne 2023 à la Loge n° 5 |
Chamois femelle La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 7 octobre 2023 La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 7 octobre 2023
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 7 octobre 2023
Cabri La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 7 octobre 2023
Portrait d'un cabri La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 7 octobre 2023
Portrait d'un cabri La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 7 octobre 2023
Les églantiers...
refleurissent !!
(fleurs et fruits sur le même arbuste) La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 7 octobre 2023
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"Chapitre premier LA NATURE
Pour s'isoler l'homme a autant besoin de se retirer de son cabinet que de la société. Je ne suis pas seul quand je lis ou écris, bien que personne ne soit à mes côtés. Pour qu'un homme soit complètement seul, il faut qu'il contemple les étoiles. On pourrait croire que la transparence a été donnée à l’atmosphère afi n de ménager à l’homme, dans le spectacle des corps célestes, la perpétuelle présence du sublime. Vues de la rue combien ces étoiles sont déjà splendides ! Mais si elles n’apparaissaient qu’une nuit tous les mille ans, comme les hommes se prosterneraient devant elles et les adoreraient, en conservant pendant plusieurs générations le souvenir de l’apparition de la cité de Dieu ! Mais, toutes les nuits, se montrent ces prêcheurs de la beauté, éclairant l’univers de leur sourire ! Les étoiles, néanmoins, imposent à l’esprit un certain respect, parce que, quoique toujours visibles pour nous, elles sont inaccessibles ; mais tous les objets de la nature produisent une impression analogue, dès que l’esprit est ouvert à leur influence. La nature ne se révèle jamais à demi ; mais le plus savant de tous les hommes ne tire jamais d’elle tous ses secrets et use sa curiosité à découvrir toutes ses perfections. L’homme sage n’a jamais traité la nature comme une bagatelle. Les fleurs, les animaux, les montagnes ont illuminé son esprit à ses meilleures heures, comme ils ont été la joie de son innocente enfance. Quand nous parlons de la nature de cette façon, nous avons dans l’esprit un sentiment très clair et très poétique. Nous exprimons l’ensemble des impressions que nous tirons des diverses œuvres de la nature. C’est là ce qui marque une distinction entre la pièce de bois que taille le charpentier et l’arbre du poète. Le charmant paysage que je vis ce matin est certainement un composé de vingt ou trente fermes. Ce champ appartient à Miller, celui- ci à Locke, et ce bois voisin appartient à Woodland. Mais ce qui n’appartient à aucun d’eux, c’est le paysage. Il y a une propriété à l’horizon qui n’appartient qu’à celui dont les yeux peuvent en embrasser toutes les parties – celui- là c’est le poète. À vrai dire, peu de personnes adultes savent voir la nature. La plupart des hommes ne voient pas le soleil. En un mot, ils ont une vue superfi cielle. Le soleil n’illumine que l’œil chez l’homme fait, mais il rayonne dans l’œil et dans le cœur de l’enfant. L’amant de la nature est celui dont les sentiments intérieurs et extérieurs s’accordent véritablement entre eux ; celui qui, dans sa maturité, a conservé le caractère de l’en fant même. Ses rapports avec le ciel et la terre deviennent une part de sa nourriture quotidienne. En présence de la nature, la joie envahit l’homme, en dépit même de ses chagrins réels. La nature dit : « Il est ma créature ; et, malgré ses chagrins intolérables, il sera heureux avec moi. » Ce n’est pas seulement le soleil, ce n’est pas seulement l’été qui nous apportent leur tribut de joie ; c’est chaque heure du jour, c’est chaque saison – car chaque heure et chaque changement de saison correspond à un état de notre âme et aide à ses modifi cations –, depuis le midi le plus torride jusqu’à la nuit la plus fraîche. La nature est un théâtre où se jouent aussi bien des pièces comiques que des pièces larmoyantes. Quand vous êtes en bonne santé, l’air est pour vous un cordial d’une suprême vertu. J’ai traversé des marais, j’ai pataugé dans la neige, à la brume, sous un ciel couvert de nuages, sans espoir dans mon âme d’une meilleure fortune, et cependant je me suis senti gai et parfaitement heureux. Je crains presque de songer à mon bonheur. Un homme qui passe ses années dans les bois, comme un serpent lové dans sa fange, à quelque époque que ce soit de sa vie, peut se croire toujours un enfant. Les bois portent avec eux une éternelle jeunesse. Au milieu de cette végétation du bon Dieu, règnent toujours un décorum et je ne sais quelle sainteté ; c’est une fête perpétuelle, et l’hôte ne voit pas comment il en sortira avant mille ans. Au milieu des bois nous revenons à la raison et à la foi. Là, je sens que rien ne troublera ma vie, qu’il n’est pas de disgrâce ou de calamité (pourvu que mes yeux me restent) que la nature ne puisse réparer. Étendu sur la terre,- ma tête baignant dans l'air pur, et le regard égaré dans l'espace,- je sens s'évanouir tout égoïsme. Mon œil devient un globe transparent. Je ne suis rien. Je vois tout. Les courants de l'Etre universel circulent en moi : je suis une partie ou une particule de Dieu. Le nom du plus voisin de mes amis résonne à mon oreille comme un nom étranger ou comme un nom que j'entends par hasard. - Etre des frères ou de simples connaissances, être maître ou domestique, devient une bagatelle. - Je suis l'amant d'une beauté expansive et immortelle. - Dans les forêts sauvages, je trouve quelque chose de plus attachant et de plus insinuant que dans les rues ou dans les villages. - Dans les paysages tranquilles, et surtout dans les lignes d'un lointain horizon, l'homme voit quelque chose d'aussi beau que sa propre nature. La plus grande satisfaction que les champs et les bois puissent donner, est l'idée d'un mystérieux rapport entre soi et la végétation. Je ne suis pas seul là, ni un inconnu. Les plantes s'attachent à moi et je m'attache à elles. L'agitation des branches pendant un orage est chose nouvelle et vieille en même temps pour moi. Cela me surprend, et cependant cela ne m'est pas inconnu. - Cela produit sur moi l'effet d'une pensée plus grande ou d'une émotion meilleure, m'arrivant au moment où je coryais penser très juste et agir très droit. Il
est certain, cependant, que le don de produire cette
satisfaction
réside non dans la nature, mais dans l'homme lui-même, ou
plutôt
dans une harmonie de tous les deux, car la nature n'est pas
toujours
en habits de fête, et telle scène qui, hier, était tout
parfum et
souriante comme pour la fête des nymphes, est toute sombre
aujourd'hui. La nature revêt toujours les couleurs de
l'esprit. Pour
un homme courbé sous le malheur, la flamme de son feu est
chargée
de cendres. Le plus beau paysage est dédaigné par qui vient
de
perdre un ami cher. Le ciel est d'autant moins vaste qu'il
écrase
les moins dignes parmi la population..."
Ralph Waldo EMERSON - La
Nature
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