Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°887 (2023-36)
mardi
26 septembre 2023
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre :
[ici]
ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement,
cliquez [ici]
Pour regarder et écouter,
|
Au lever du jour Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 jeudi 3 août 2023 <image prise au 16/9ème, Samsung A50> Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 jeudi 3 août 2023
Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 jeudi 3 août 2023
Coucher de la lune,
derrière les nuages
Flou-filé de
Rougequeue noir
Dans l'ombreCourvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 5 août 2023 Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 5 août 2023
Au lever du jour
Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 12 août 2023 <image prise au 16/9ème, Samsung A50>
Rougequeue noir Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 12 août 2023
Rougequeue noir
Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 12 août 2023 Rougequeue noir
Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 12 août 2023 <image recadrée>
La loge
Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 12 août 2023 <image prise au 16/9ème, Samsung A50>
Jeune Boeuf Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 12 août 2023
Laitue serriole
Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 dimanche 13 août 2023
Millepertuis
Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 dimanche 13 août 2023
La loge
Courvières
(Haut-Doubs), loge n°5
dimanche 13 août 2023 <image prise au 16/9ème, Samsung A50> Lever du jour Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 mardi 15 août 2023 <image prise au 16/9ème, Samsung A50>
|
"1945 Le blizzard faisait rage sur le glacier. Il ne voyait rien devant lui, parvenait tout juste à distinguer la boussole au creux de sa main. Même s’il l’avait voulu, impossible de faire demi-tour. La tempête lui cinglait le visage, criblant sa peau de flocons durs et froids venus de toutes les directions. Une épaisse croûte de neige s’était formée sur ses vêtements et, à chaque pas, il s’enfonçait jusqu’aux genoux. Il avait perdu toute notion du temps. Depuis combien d’heures marchait-il ? Il n’en avait aucune idée. Dans cette obscurité impénétrable qui l’enveloppait depuis son départ, il ne savait même plus si c’était le jour ou la nuit. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il était à bout de force. Il progressait de quelques pas, reprenait son souffle, puis repartait. Cinq pas supplémentaires. Il s’arrêtait. Encore trois pas. Il s’arrêtait. Deux pas. Il s’arrêtait. Un pas. Il était sorti à peu près indemne du crash. D’autres avaient eu moins de chance. Dans une éruption de bruit, l’avion avait raclé la surface du glacier. L’un des moteurs avait pris feu, avant de disparaître brusquement quand l’aile s’était décrochée, tourbillonnant dans les ténèbres enneigées. Presque aussitôt, l’autre aile s’était déchirée dans une pluie d’étincelles, et le fuselage amputé avait fusé comme une torpille sur la glace. Le pilote, lui et trois autres hommes étaient attachés sur leurs sièges quand l’avion avait décroché, mais deux des passagers, pris d’une crise d’hystérie, s’étaient levés d’un bond et précipités vers le cockpit. Le choc les avait envoyés ricocher comme des balles aux quatre coins de la cabine. Recroquevillé sur son siège, il les avait regardés s’écraser contre le plafond et rebondir sur les parois, avant d’être catapultés au-dessus de lui jusqu’au fond de l’avion où leurs hurlements furent réduits au silence. L’épave laboura le glacier, soulevant un nuage de neige et de glace, puis elle perdit peu à peu de la vitesse et, finalement, s’immobilisa. Alors, il n’y eut plus aucun bruit, rien que les hurlements du vent. Il était le seul, de tous les passagers, à vouloir braver le blizzard pour regagner la civilisation. Les autres recommandaient d’attendre, dans l’espoir que la tempête finirait par se calmer. Ils estimaient qu’il valait mieux rester ensemble, mais personne ne le retiendrait. Il n’avait pas envie de se retrouver pris au piège dans cet avion ; l’idée qu’il puisse devenir son cercueil lui était insupportable. Avec leur aide, il s’emmitoufla autant que possible pour cette expédition, mais il n’eut pas à marcher longtemps dans ces conditions implacables pour comprendre qu’il aurait mieux fait de rester à l’abri dans l’avion avec les autres. À présent, il était trop tard. Il s’efforçait de suivre un cap sud-est. L’espace d’une fraction de seconde, juste avant que le bombardier ne s’écrase, il avait aperçu les lumières de ce qui ressemblait à des maisons, et maintenant il suivait ce qu’il croyait être cette direction. Il était glacé jusqu’aux os, et son pas se faisait de plus en plus lourd. Loin de se calmer, la tempête semblait au contraire gagner en intensité. Il progressait péniblement, ses forces l’abandonnant à chaque pas. Il repensa à la situation désespérée des autres, restés dans l’avion. Quand il les avait laissés, des congères commençaient déjà à recouvrir la carlingue, et la cicatrice dessinée par sa progression sur la glace se comblait rapidement. Ils avaient des lampes à pétrole, mais le combustible ne durerait pas très longtemps, et il régnait sur ce glacier un froid inimaginable. S’ils laissaient la porte de l’avion ouverte, la cabine se remplirait de neige. Ils étaient sans doute déjà coincés à l’intérieur. Ils savaient qu’ils allaient mourir de froid, qu’ils restent dans l’appareil ou s’aventurent sur la glace. Ils avaient débattu des différentes options – elles étaient plus que limitées. Il leur avait dit qu’il ne pouvait pas rester assis là à attendre la mort. La chaîne cliquetait. Le poids de la valise lui arrachait le bras. Elle était accrochée à son poignet par une paire de menottes. Il ne tenait plus la poignée, laissant la valise traîner derrière lui au bout de sa chaîne. Le bracelet des menottes lui cisaillait le poignet, mais il n’y prêtait aucune attention. Tout lui était égal, à présent. Ils l’entendirent bien avant qu’il ne passe en trombe au-dessus d’eux, en direction de l’ouest. Ils l’entendirent approcher dans les hurlements de la tempête, mais quand ils levèrent les yeux, il n’y avait rien à voir que l’obscurité de l’hiver et ces flocons projetés par le vent, qui leur poignardaient le visage. C’était juste avant onze heures du soir. Un avion, pensèrent-ils aussitôt. La guerre donnait lieu à un trafic aérien assez intense dans la région, car les Britanniques possédaient une base dans la baie de Hornafjördur, si bien qu’ils savaient désormais reconnaître les appareils britanniques et américains au son de leurs moteurs. Mais ils n’avaient jamais rien entendu de semblable. Et le rugissement n’avait jamais été si proche, comme si l’avion piquait droit sur leur ferme. Ils sortirent sur le perron et restèrent plantés là pendant un long moment, jusqu’à ce que le vrombissement des moteurs atteigne son paroxysme. Se couvrant les oreilles de leurs mains, ils suivirent le bruit qui s’éloignait vers le glacier. Ils entraperçurent un instant la silhouette sombre au-dessus d’eux, puis l’appareil disparut à nouveau dans la nuit. Nez pointé vers le haut, il semblait essayer de reprendre de l’altitude. Le vrombissement s’estompa peu à peu audessus du glacier, avant de disparaître. Ils pensèrent tous deux la même chose. Cet avion allait s’écraser. Il volait trop bas. La visibilité était nulle dans cet effroyable blizzard, et le glacier happerait l’appareil d’ici quelques minutes. Même s’il parvenait à reprendre un peu d’altitude, ce serait trop tard. La calotte glaciaire était trop proche. Ils restèrent debout sur le porche pendant de longues minutes après que le bruit eut disparu, scrutant le blizzard, l’oreille aux aguets. Aucun son ne leur parvenait. Ils rentrèrent. Ils ne pouvaient pas alerter les autorités ni leur transmettre la position de l’avion, car le téléphone ne fonctionnait plus depuis qu’une autre tempête avait fait tomber les lignes. On n’avait pas eu le temps de les reconnecter. Un désagrément coutumier. Maintenant, un autre blizzard s’était levé, deux fois pire. Tandis qu’ils s’apprêtaient à se coucher, ils se dirent qu’ils pourraient essayer de se rendre à cheval jusqu’à Höfn, dans la baie de Hornafjördur, afin de signaler l’incident, une fois que la tempête se serait calmée. Ce n’est que quatre jours plus tard que les conditions finirent par s’améliorer, et ils partirent vers Höfn. De profondes congères ralentissaient leur progression. Ils étaient frères et vivaient seuls à la ferme ; leurs parents étaient morts, et ni l’un ni l’autre ne s’était marié. Ils firent halte dans une première ferme, en chemin, pour se reposer, et passèrent la nuit dans une autre, où ils racontèrent l’histoire de l’avion, et leurs craintes d’une issue funeste. Personne, parmi leurs hôtes, n’avait entendu quoi que ce soit. Une fois arrivés à Höfn, les deux frères avertirent le fonctionnaire municipal, qui contacta immédiatement les autorités de Reykjavik et les informa qu’un avion avait été aperçu au sud du glacier Vatnajökull et s’était probablement écrasé sur la glace. Les contrôleurs aériens de la base américaine de Reykjavik, qui surveillaient tous les appareils survolant l’Islande et l’Atlantique Nord, n’avaient eu connaissance d’aucun vol dans cette région au moment de l’incident – les conditions météorologiques avaient réduit le trafic aérien au strict minimum. Plus tard, ce jour-là, le fonctionnaire municipal de Höfn reçut un télégramme du quartier général américain. L’US Army se chargeait de l’enquête et allait envoyer une équipe de secours sur le glacier. Pour les Islandais, l’affaire était donc close. En outre, les militaires américains interdisaient tout déplacement aux environs de l’endroit où l’avion avait dû s’écraser. Ils ne fournissaient aucune explication. Quatre jours plus tard, douze camions militaires entrèrent en grondant dans les rues de Höfn, avec à leur bord deux cents soldats. Les Américains n’avaient pas pu utiliser la piste d’atterrissage de la base de Hornafjördur, fermée durant les mois les plus sombres de l’hiver, et Höfn était coupée de la capitale, plus à l’ouest, par les torrents glaciaires dénués de ponts traversant la plaine alluviale du Skeidharasandur. L’expédition américaine avait donc dû faire le tour complet de l’île avec ces véhicules à six roues, équipés de chaînes, roulant d’abord plein nord avant d’obliquer vers le sud le long des fjords de l’Est, pour atteindre Höfn. Le trajet vers le nord avait été difficile, car la route principale n’était guère plus qu’une piste de terre, et les membres de l’expédition avaient été contraints de tailler leur chemin à coups de pelles à travers les épaisses congères qui recouvraient, d’un bout à l’autre, le désert de Modhrudalur. Ces soldats appartenaient au 10 e Régiment d’infanterie et au 46 e Bataillon d’artillerie, sous le commandement du général Charles H. Bonesteel, chef des forces d’occupation américaines. Une partie de ces hommes avaient participé aux manœuvres organisées sur le glacier d’Eiriksjökull, au cours de l’hiver précédent. Mais, dans la pratique, peu d’entre eux savaient même skier. L’expédition était dirigée par un certain colonel Miller. Ses hommes installèrent leur campement aux abords de Höfn, dans des baraquements construits par l’armée d’occupation britannique au début de la guerre. De là, ils continuèrent vers le glacier. Quand les soldats atteignirent la ferme des deux frères, dix jours s’étaient écoulés depuis que ces derniers avaient entendu l’avion, dix jours durant lesquels il avait neigé sans discontinuer. Les soldats établirent leur base dans la ferme, et les frères acceptèrent de leur servir de guides sur la calotte glaciaire. Ils ne parlaient pas un mot d’anglais mais, en ayant recours à une combinaison de gestes et de langage des signes, ils parvinrent à montrer à Miller et ses hommes la direction que l’avion avait prise, et à les avertir que les chances de le retrouver sur le glacier ou à proximité de celui-ci, au plus fort de l’hiver, étaient bien minces. “Le Vatnajökull est le plus
grand glacier d’Europe, expliquèrent-ils en secouant la
tête. C’est comme chercher une aiguille dans une botte de
foin.” Et le fait que la neige aurait à présent effacé toute
trace d’un atterrissage en catastrophe n’arrangeait rien..."
Arnaldur INDRIDASON - Opération
Napoléon
|
|