Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°886 (2023-35)
mardi
19 septembre 2023
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre :
[ici]
ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement,
cliquez [ici]
Pour regarder et écouter,
|
Veaux Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 juillet 2023 Village Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 juillet 2023 Cette gale se développe suite à la piqure d'une petite guêpe (le Cynips). Ses larves s'y développent... Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 juillet 2023 Cirse laineux Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 juillet 2023
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 juillet 2023 Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 juillet 2023 <image prise au 16/9ème - Samsung A50>
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 juillet 2023
Oeillet Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 juillet 2023
Larve de Punaise verte (ou Punaise des bois)
Courvières (Haut-Doubs) samedi 5 août 2023 Scabieuse
Myrtil
sur une fleur de Séneçon jacobée
Courvières (Haut-Doubs) vendredi 25 août 2023 Orpin reprise - Sedum telephium Courvières (Haut-Doubs) vendredi 25 août 2023 Abeille
Courvières (Haut-Doubs) vendredi 25 août 2023 Courvières (Haut-Doubs) vendredi 25 août 2023 |
"En ces temps-là, le Val des Hiboux, qui s'appelle maintenant la Grâce-Dieu, était un lieu sinistre où l'Audeux roulait ses ondes torrentielles entre deux murs sombres de roc que gardaient d'immenses forêts s'étendant du Val de la Loue au coude du Doubs. Du ponant au levant, cette large bande touffue s'étalait dans son ampleur royale, sombre en été, rousse en automne et, sous le mystère ondoyant de ses frondaisons, abritait les tribus innombrables des bêtes : vieux solitaires au dur boutoir, madrés goupils à longue traîne, lièvres malins et rapides, et les hardes de cerfs et de chevreuils, et des familles de loups, des assemblées d'écureuils, et des clans sombres de corbeaux, des caravanes de ramiers et de geais et des choeurs de pinsons qui faisaient de cette immense cité libre un paradis de chansons, d'amour et de batailles. La sève alors, généreuse et débordante, s'épanouissait en chênes géants, en hêtres colossaux, en bouquets puissants de charmes, en poiriers trapus, en bouleaux énormes dont les fûts blancs semblaient être les piliers épars soutenant la gigantesque et verte voûte d'une architecture fantastique, et tous mêlaient dans l'air vif, sans cesse rénové par les vents des hauteurs, leurs ramures épaisses, lourd vêtues de feuilles, que baisait le soleil et que giflait la pluie. La terre, vierge et neuve, gardait derrière cet écran sombre une température presque égale : tiède en été, fraîche en hiver, et dans les taillis touffus où craquaient les branches mortes, les bêtes pouvaient, selon leur caprice et selon le temps, choisir l'abri qui leur convenait le mieux : la tanière propice, le terrier calme, le gîte sec, le retrait tranquille où elles vivaient intensément leur existence de combat et d'angoisse dans le bonheur de la lutte perpétuelle, des périls déjoués et des instincts satisfaits. Des ondes embaumées montaient des immenses et nombreuses clairières où la faux flamboyante de la foudre, alignant ses andains de feu, avait abattu et tranché et brûlé sur son passage les troncs des géants séculaires qui narguaient sa puissance indomptée. Au creux des combes boisées, d'immenses étangs étalaient leurs faces calmes, ulcérées çà et là d'îlots herbeux ; des joncs aux plumets guerriers massaient leurs vertes cohortes en carrés menaçant sur les rives ; des feuilles de sagittaires trouaient la surface de l'eau comme un suprême appel de mains de naufragés à demi engloutis, et sur toutes les feuilles flottantes de nénuphar et par les taillis aquatiques de mousses des bandes coassantes ou plongeantes de grenouilles vivaient et s'agitaient et emplissaient d'un tumulte éphémère, vite étouffé sous des remous, les grandes cités humides perdues aux plis mystérieux des bois. Une fraîcheur puissante émanait des multiples sources d'eau vive fleuries de pétales multicolores en été, de feuilles mortes en automne, qui dévalaient les coteaux comme des serpents d'argent avant de mêler leurs flots turbulents à la majesté tranquille des grands lacs immobiles. Des exhalaisons humides, des émanations putrides de ces immenses nécropoles végétales s'élevaient avec les soleils d'été et, dans les plis des vents, rayonnaient tout alentour en mystère alanguissant et morbide qui attirait sur leurs bords des escadres de libellules bleues et vertes, des choeurs d'éphémères, des nuées de mouches et des volées d'autres insectes. Le soir, en longues théories, des vols d'oiseaux s'abattaient sur les rives, puis s'enlevaient à grand fracas d'ailes pour disparaître bientôt, tandis qu'en prudents cortèges, s'espaçant par groupes, chacun à sa place favorite, les cerfs et les chevreuils s'alignaient aux plages des berges. De longs meuglements s'élevaient, se succédaient, se répondaient, puis l'heure indécise du crépuscule ramenait le silence bourdonnant qui se mariait peu à peu aux vibrations des branches, aux ululements du vent, aux cris des fauves traquant leur proie, au bruit des rameaux cassant sous les foulées sauvages du sanglier et du chevreuil. Durant les nuits d'été, les écureuils, au clair de lune, donnaient parmi les branches des fêtes cabriolantes et joyeuses, tandis qu'en hiver les puissants hurlements des loups propageaient autour de la grande partie sylvestre la crainte salutaire des blancs crocs d'ivoire, aiguisés de froid et pleins de faim, qui éloignait, le coeur chavirant, tous les humains dont les incursions possibles eussent troublé cette belle quiétude sauvage. Et quand un vaincu tombait sous la dent d'une bête carnassière ou la serre d'un vorace ailé, rien n'ébranlait chez ses frères de race, soumis à la loi commune, inéluctable et terrible, leur sereine et farouche confiance en la vie.
* Il y avait cependant, pour la forêt, des jours d'effroyable angoisse. Ils revenaient après les grandes chaleurs, par les clairs matins d'automne. Rien ne les laissait présager au dehors, mais la conscience obscure qui veille au coeur des bêtes les étreignait douloureusement quand le cours des soleils et des lunes ramenait la saison terrible. Tout était calme dans la forêt et les bêtes rôdaient par leurs invisibles chemins, quand, tout d'un coup, en amont ou en aval de la grande voie déserte et sombre qui va du Cusancin au Dessoubre, un son de trompe ou de corne éveillait, comme des génies malfaisants, les échos mystérieux qui sommeillent au creux des roches ou dorment aux plis des combes. A ce signal trop bien connu, une frayeur sans nom s'emparait du taillis ; les cerfs brandissaient leurs andouillers menaçants, l'oeil plein de feu ; les chevreuils et les biches dressaient l'oreille, prêts à la fuite ; les renards précipitamment regagnaient leurs terriers, les marcassins leurs bauges, et les grands loups eux-mêmes, seigneurs incontestés du domaine, tremblant sur leurs pattes inlassables et leurs jarrets de fer, rassemblaient au fond des halliers, près de leurs rudes femelles aux yeux jaunes, les portées trottantes et joyeuses des petits qui regardaient, inquiets subitement, les vieux mâles claquer des mâchoires, prêts à la mort pour défendre leur géniture en péril. Les lièvres, tapis dès l'aurore, se boulaient dans leurs gîtes ; les grands corbeaux, rassemblés, échangeaient de cime en cime de brefs mots d'ordre mystérieux ; les bandes de geais se concertaient en piaulements, les agaces filaient à grands cris ; les grives et les merles, après quelques sifflements d'entente, se taisaient, tandis que les écureuils curieux, moins apeurés que surpris, grimpaient tout de même au faîte de leurs arbres et, dissimulés derrière des boucliers de feuilles, scrutaient attentivement leur horizon déserté qui s'alourdissait de silence. Et bientôt le vent seul, le grand vent (dont les ondes, telles des vagues invisibles qui passent, courbent les têtes majestueuses des vétérans feuillus) disait et portait au loin la terreur de la grande cité forestière que la chasse du seigneur accompagné de ses valets et de ses chiens allait ravager de cris, de hurlements et de meurtres. Chaque canton, à tour de rôle, payait à l'homme ce tribut redoutable. Derrière le chevreuil ou le sanglier débuché, un jaillissement d'abois s'élevait, roulait, s'enflait, montait, grondait, passait en rafale, courbant et cassant les branches, éventrant le taillis, piétinant le sol. Le martèlement des sabots, la respiration des chevaux faisaient, dans ce fauve concert, un sinistre bourdonnement de basse, tandis que les notes violentes des trompes et des cors et les hennissements des étalons, insultant aux mélodies du vent, scandaient la chevauchée sur un rythme infernal. Malheur à celle-là qui avait son gîte ou son abri sur le passage de ce tourbillon vivant de hurlements et de haines ! Éventrée par les limiers, déchirée par les crocs de la meute, dévorée en quelques bouchées ou écrasée sous les pieds des chevaux pour être emportée par les valets, la bête, surprise, voyait la mort se dresser d'un seul coup devant elle sans qu'il lui fût possible d'engager la lutte ou d'espérer la fuite. Aussi, quand la brise, soufflant des lointains, apportait aux réfugiés d'un canton tranquille les voix d'enfer de cet orchestre barbare, les grands corbeaux, pèlerins des hauteurs, et les vieux aigles suspendus dans la nue pouvaient voir, en indescriptible panique, toutes les bêtes, d'un même élan, fuir et disparaître devant la chasse comme des nuages affolés devant le vent de l'orage. La terreur de l'homme
survivait à ses incursions et, bien après la saison de
chasse, quand il s'abstenait de toute invasion meurtrière,
les bêtes le fuyaient encore et le haïssaient, et qu'il
fût sire au riche manteau ou serf au sayon grossier,
nulle, même les grands loups dont les mâchoires claquantes
étaient pourtant de formidables défis, n'osait résister à
sa marche envahissante et à la menace de son regard..."
Louis PERGAUD - Le
miracle de Saint-Hubert
|
|