Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°882 (2023-31)
mardi
22 août 2023
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Grillon champêtre Courvières (Haut-Doubs) mercredi 31 mai 2023 Salsifis sp. Courvières (Haut-Doubs) mercredi 31 mai 2023
Courvières (Haut-Doubs) jeudi 8 juin 2023
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Courvières (Haut-Doubs) jeudi 8 juin 2023 Feuille de Cardère Courvières (Haut-Doubs) jeudi 8 juin 2023
Minotaure Besançon (Doubs) vendredi 7 juillet 2023 Besançon (Doubs) vendredi 7 juillet 2023
Cardère (juste avant la floraison) Courvières (Haut-Doubs) dimanche 16 juillet 2023 Lepture tachetée Courvières (Haut-Doubs) dimanche 16 juillet 2023
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 16 juillet 2023
Abeille domestique
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 23 juillet 2023
Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 23 juillet 2023 |
"1 Il fait nuit, un peu froid. Debout devant la fenêtre qu’elle vient d’ouvrir, une femme prend une profonde inspiration et contemple la pleine lune qui brille au-dessus des toits hérissés d’antennes et de cheminées. Pas le moindre souffle de vent ne joue dans sa longue chevelure. Savourant la quiétude du moment, elle écarte lentement les bras, telle une prêtresse antique s’adonnant à un rituel secret. Appel aux dieux ou sacrifice ? Ce même geste, accompli quelque temps plus tôt, aurait pu laisser craindre qu’elle saute dans le vide. Mais après ce qu’elle a surmonté, alors que s’esquisse enfin la promesse d’un futur, il a tout d’une ouverture au monde. Elle est désormais capable d’en capter les énergies dont elle a si longtemps été privée. Une renaissance. Le panorama sombre et bleuté qui s’étend devant elle ressemble à sa propre existence : des ténèbres dont une aube nouvelle finira par triompher. En attendant, la soirée qui s’annonce va changer sa vie. Quoi qu’il advienne. Elle se retourne et inspecte chaque détail de la table romantique dressée pour deux. La voilà qui allume la bougie, rectifie la position d’une fourchette et tire légèrement sur l’angle de la nappe pour lisser un pli. Tout doit être parfait. Évaluant le résultat, elle est tentée de sourire mais se ravise : elle ne s’autorise pas encore à croire que la chance lui a finalement donné rendez-vous. Attendre le bonheur chez soi ? Quelle drôle d’idée ! Comme s’il pouvait être livré à domicile… Pourtant, c’est bien lui qu’elle attend. Elle traverse le salon en esquissant un pas de danse. Encore une aptitude oubliée qui ressurgit en elle. Il n’y a pas mieux que l’espoir pour réveiller les talents endormis. Devant la chaîne, elle passe en revue quelques albums, hésite à mettre de la musique, puis se ravise. Rien ne doit la distraire des mots qui vont s’échanger ce soir. Un carillon déchire soudain le silence. On sonne à la porte de l’appartement. Prise de court, elle consulte sa montre. Il est en avance, mais qu’importe, l’essentiel est qu’il soit là. On ne reproche pas au bonheur d’avoir une demi-heure d’avance.
En quelques enjambées aériennes, elle passe devant le miroir, retouche rapidement sa coiffure, ajuste son décolleté et tente de contrôler ses mouvements trop vifs qui trahissent son exaltation. Par la fenêtre toujours béante, la lune grésille. Elle ouvre. Son sourire éclatant s’efface à la seconde où elle découvre l’homme qui se tient sur le pas de sa porte. Instinctivement, elle recule. Ce n’est pas du tout celui qu’elle attendait. C’est même le dernier qu’elle aurait voulu voir, et il entre sans se gêner.
Face à cette muflerie qui ne la surprend pas, elle garde son calme et se borne à demander :
Il se permet de rire puis se fige en découvrant la table d’amoureux. Il émet alors un sifflement aussi admiratif qu’ironique.
Au plus profond de son être, la colère s’insinue, exactement là où elle avait fait de la place pour accueillir le plaisir. Certaines personnes sont de véritables polluants, capables d’empoisonner le plus pur des paradis. Elle vérifie l’heure. L’homme qu’elle espère ne devrait plus tarder, et celui qui l’a tellement fait souffrir ne doit en aucun cas gâcher ce moment-là. Il ne l’a que trop fait.
Elle tend la main et déplace un bibelot qui n’en a pas besoin – prétexte pour éviter son regard – et lance :
La lune grésille à nouveau. Cette fois, la femme ne se détourne pas. Elle est au pied du mur. Plus question de baisser les yeux ou de refuser l’obstacle. Il est temps d’affronter. Tendue mais décidée, elle se lance dans une tirade qui ne laisse à son ancien compagnon aucune chance de répondre. Le ton est posé, mais chaque mot est martelé. Ce réquisitoire, elle l’a construit pendant d’innombrables insomnies, mûri au long d’interminables solitudes, peaufiné au fil des épreuves endurées. Ses larmes sont devenues l’encre d’un acte de justice qu’elle s’autorise enfin. Implacablement, elle égrène les moments honteux de ces années durant lesquelles il jouait double jeu alors qu’elle lui donnait tout. Voilà si longtemps qu’elle attendait de lui servir ses quatre vérités. Elle n’était pas la seule à être impatiente de ce moment : le public aussi n’aspirait qu’à cela depuis près d’une heure, suspendu à ses lèvres et emporté par les péripéties de sa vie dans laquelle chacun plongeait sans pudeur. Dans la salle, alors qu’elle vide son sac, les spectateurs jubilent. Devant eux, ce n’est plus une renaissance qui se joue, mais une résurrection. Celle qui a tant subi se redresse. Après avoir été scandaleusement manipulée, elle prend enfin son destin en main. Il tente de répondre mais ni son ex, ni l’auditoire ne tolèrent plus ses raisonnements fumeux. Plus personne ne supporte sa mauvaise foi désormais révélée au grand jour. Il est cerné, côté cour et côté jardin. Chaque fois qu’il se permet de prendre les spectateurs à témoin, une rumeur d’indignation parcourt la salle. Tout le monde voit clair dans son jeu. Même si la première concernée a été la dernière à comprendre, comme souvent dans la vie, elle ne craint plus de le juger. Elle n’a plus peur. Elle avance ses arguments comme autant de charges, avec une conviction si forte qu’il est physiquement obligé de reculer dans l’angle du décor. Sur la scène, le combat déloyal des premiers actes est oublié, et l’on se régale des escarmouches précédant la mise à mort du méchant. Après la douleur, la revanche. Après l’écrasement, l’envol. Tout va rentrer dans l’ordre. Justice idéale d’un monde parfaitement écrit où nos espoirs déçus peuvent reprendre vie. Eugénie connaît la pièce par cœur. Elle assiste à chacune des représentations depuis que Cœur à retardement est programmé, voilà bientôt trois semaines. Comme chaque soir, elle a pris place en hauteur, sur le côté, dans une loge que personne ne réserve jamais parce que la vue est loin d’y être bonne. Elle ne s’installe pas là par hasard. De sa niche douillette, protégée par la pénombre, elle voit peut-être la scène en biais et les comédiens se soustraient à sa vue sur un quart du plateau, mais elle bénéficie par contre d’une vue plongeante sur le parterre, ce qui lui permet d’observer les spectateurs. Son champ de vision embrasse les deux univers, celui de la vie et celui de la comédie. De là, elle aperçoit même Karim, le pompier de service, qui, depuis les coulisses, assiste lui aussi à la représentation. Il est tellement absorbé par ce qui se joue qu’il ne remarquerait même pas un début d’incendie s’il se déclarait à ses pieds. Quand c’est émouvant, il essuie discrètement une larme en prenant soin de vérifier que personne ne l’a aperçu. Lorsque c’est amusant, il s’esclaffe avec le public. Eugénie le trouve touchant. Parfois, elle entrevoit aussi les machinistes qui se mettent en place avant les changements de tableaux. Il faudra vraiment que les électros vérifient le branchement de cette satanée lune qui n’arrête pas de grésiller. Un soir, elle explosera au beau milieu du spectacle. Top régie. La sonnerie de l’appartement résonne une nouvelle fois. Le public retient son souffle. Pourtant, personne n’a de doute sur l’identité de celui qui s’annonce, et tout le monde l’attend avec gourmandise. La porte s’ouvre sur une exclamation de la salle. L’arrivée est si vive qu’elle fait onduler tout le fond du décor. Comme espéré, c’est bien le
bonheur qui entre. Il dépose un bouquet de roses rouges aux
pieds de celle qui, désormais, rayonne. Lorsque le
sympathique prétendant aperçoit l’infâme ex, il ne se
démonte pas. L’homérique combat des mâles pour les yeux de
la belle commence. Les codes sont respectés, la mise en
scène est simple mais réglée au cordeau, les comédiens se
déplacent selon un ballet parfaitement maîtrisé. Les piques
rythment l’affrontement, les répliques s’échangent comme des
coups de poing ou des tirs de snipers. Celui qui aime d’un
amour sincère enchaîne les réflexions qui déclenchent des
cascades de rires dans les rangs. « On dit que l’amour est
aveugle, mais quand j’entends votre voix perfide, je suppose
qu’il doit aussi être sourd » ; « Ne bougez plus, vous êtes
parfait ! Sous cet angle, vous pourriez jouer le traître
dans n’importe quelle mauvaise série… »..."
Gilles LEGARDINIER - Une
fois dans ma vie
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