Un petit texte :
"Sous le soleil d'août, l'année tourne : la saison
de la croissance est achevée, celle de la maturité
commence. Les bandes de passereaux qui hantent déjà
les champs jaunis et les herbes folles des lisières
annoncent le temps des graines. Au bord du chemin,
une végétation désordonnée foisonne, envahie par la
poussière : grandes armoises rigides, ombellifères,
chardons élancés ou chicorées aux corolles d'azur.
Depuis quelques jours, une floraison nouvelle décore
les plantes poudreuses, une floraison d'oiseaux
brillants et bariolés, les Chardonnerets. Ils
s'affairent dès le matin à picorer les semences que
leur offre ce terrain délaissé. A tout instant,
comme pour se dégourdir, leur essaim s'envole avec
une explosion d'appels cliquetants, et c'est un
nuage d'ailes noir et or qui danse au-dessus des
champs ; mais ils reviennent bien vite à leur festin
d'akènes plumeuses et de graines encore molles.
L'élégance est affaire de goût et d'aucuns
trouveront que le Chardonneret porte une livrée
clinquante, un travesti de carnaval avec un masque
de clown, sans parler de la queue trop courte ou du
bec trop fort. Certes, nous n'avons guère d'oiseaux
aussi panachés et colorés, mais il faut remarquer
que ce bariolage si curieux camoufle assez bien les
formes et ne paraît pas nuire à la sécurité du
Chardonneret, au contraire. Sinon, il aurait disparu
depuis longtemps ou aurait appris à se cacher mieux
qu'il ne le fait.
L'oiseau est si connu et unique en son genre que son
identification est aisée. La grande bande jaune vif
sur l'aile noire est très caractéristique au vol ;
avec les cris, elle permet de reconnaître aussi les
jeunes. Ces derniers ne ressemblent pas du tout aux
parents, si ce n'est par ces traits ; leur plumage
gris brun finement rayé de brun noir est en effet
bien terne jusqu'à l'automne, et ce n'est qu'au
début d'octobre qu'ils acquièrent la face rouge
cramoisi.
Alerte et remuant, le Chardonneret est très
populaire, fort estimé pour l'agrément de son
plumage, de sa voix et de son caractère enjoué -
qualités qu'il paye souvent de sa liberté. Dans la
nature, il vit à découvert, aime se percher au
sommet des arbres, ne cherche pas à se dissimuler
dans les frondaisons. On le voit peu à terre, où il
sautille sans grâce. Il préfère évoluer sur les
branches élevées, sur les plantes, où il se suspend,
grimpe et s'aggripe aussi aisément qu'une Mésange ou
un Tarin. C'est un rôdeur impénitent, toujours prêt
à quelque balade lointaine, seul ou en compagnie de
camarades. Même au temps des nids, la sociabilité ne
perd jamais ses droits..."
Les Passereaux d'Europe - P.
Géroudet