Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°878 (2023-27)
mardi
25 juillet 2023
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Nouvelle affiche pour la "Margotte" ! Il y a exactement 10 ans (!!), je commençais une série d'affût autour de la Loge n°5. Ces deux images sont prises à 10 ans d'intervalle !, soit en juillet 2013 (le Renardeau) et le 22 juillet 2023 (le Rougegorge). N'hésitez pas à me contacter pour visiter la Margotte. Pour voir d'autres images de la Margotte, cliquez [ici] |
Foins, au lever du soleil Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 27 mai 2023 <image prise au 16/9ème - Samsung Galaxy A50> Chevrette Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 27 mai 2023 Chevrette : elle ne va pas tarder... à faire son petit. Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 27 mai 2023 Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 27 mai 2023 <image recadrée> Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 27 mai 2023
Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 27 mai 2023
Trèfle blanc
Chénopode Bon-HenriCourvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 27 mai 2023 Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 27 mai 2023
Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 samedi 27 mai 2023
Foins en andins, au lever du soleil Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 dimanche 28 mai 2023 <image prise au 16/9ème - Samsung Galaxy A50>
Brocard
Compagnon
rouge La loge n° 5
Courvières (Haut-Doubs), loge n°5 lundi 29 mai 2023 <image prise au 16/9ème - Samsung Galaxy A50> |
"APPRENDRE A DANSER Une fois descendus du pick-up dans un vent glacial, nous étudiâmes la carte qu'un ami avait dessinée au dos d'une enveloppe. Il n'y avait ni numéros de route ni noms de lieux, juste des lignes et le nombre de kilomètres – au cas où, nous avait dit notre ami, la carte tomberait entre de mauvaises mains. Bien. Encore un kilomètre et demi sur une route gravillonnée, puis à droite, puis cinq kilomètres sur un chemin de terre. Nous finîmes par arriver devant un panneau tout rouillé qui se dressait entre des armoises, au milieu d'un carré de gravillons nus. FIN DE LA ROUTE, lut-on. Pour parvenir à cet endroit, Frank, Jonathan et moi avions traversé les montagnes depuis la vallée de la Willamette jusqu'au désert de l'Oregon, cinq heures de route éprouvantes. Le paysage qui s'étendait devant nous était désolé – pas de genévriers, pas de poteaux téléphoniques, pas le moindre ranch, pas la moindre clôture dans quelque direction que ce soit, rien que des armoises, régulièrement espacées. On apercevait une coulée de neige sur les montagnes à l'horizon du côté nord, et ce qui semblait être de la pluie ou de la neige fondue tombant de biais des nuages au sud. Le seul autre élément nous permettant de nous orienter était le vent, qui soufflait fort de l'ouest. Sans arbres se dressant sous lui, le ciel tournait lentement dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, un motif compliqué de nuages de pluie et de nuages lenticulaires et de longues traînées de cirrus, et une bande jaune à l'horizon ouest où le soleil s'apprêtait à se coucher. Comme nous avions une heure à attendre, nous en profitâmes pour planter la tente sur les gravillons entre le panneau et le pick-up. Je fis bouillir de l'eau sur le réchaud, servis une tasse de thé à Jonathan, une autre à Frank, et enroulai mes mains autour de la mienne. Blottie contre le pick-up, sous le vent, j'étais contente d'avoir au moins l'illusion d'une colline dans mon dos – n'importe quoi pour briser les ondulations des prairies. Dans la lumière qui faiblissait, nous enfilâmes des vêtements chauds puis parcourûmes un peu moins de cinq cents mètres sur le chemin de terre, passant devant un étang d'élevage à sec avant de déboucher sur les armoises. Là, nous nous accroupîmes derrière un muret en rondins de bois. Le vent, qui s'était chargé d'humidité et de fraîcheur hivernale en soufflant sur une centaine de kilomètres ininterrompus de terres hautes, souleva le bord de mon coupe-vent et satura l'air de bruit. Je m'emmitouflai davantage dans ma veste, portai les jumelles à mes yeux et balayai l'espace devant moi. Pour tenter de se réchauffer, Jonathan faisait peser le poids de son corps d'un pied à l'autre, balançant légèrement les genoux de haut en bas comme une marionnette. Frank scrutait les prairies avec de lourdes jumelles de campagne. Sauf erreur de ma part, il n'y avait rien à voir que des armoises et du sable jusqu'aux confins arrondis de la planète. Puis, comme si un chef d'orchestre avait levé sa baguette, le vent se tut. Un bruant des armoises, puis un choeur de passeraux entonnèrent un madrigal qui emplit l'air d'un léger chant filé. A l'est, une alouette hausse-col lança un tsiii-tsi-tsi. La lumière s'atténua et tout-à-coup un tétras des armoises apparut. Il se tint, raide et fier, avec sa collerette d'un blanc éclatant autour du cou. Puis il se dressa jusqu'à atteindre une taille imposante, déploya les plumes de son cou en un parfait flamboiement de blanc, et gonfla deux sacs jaunes à la hauteur de sa poitrine. Les sacs grossirent puis se dégonflèrent dans les plumes, en produisant un bruit retentissant comme un son de timbales. Puis, là où il n'y avait pas eu d'oiseau, un autre tétras surgit brusquement et fit face au premier. Sa queue formait un fuseau de pointes rigides déployées en éventail contre son croupion, et mouchetées de taches blanches éclatantes. Les deux tétras bombèrent la poitrine et se pavanèrent sur leur arène de danse, le lek, l'endroit pour lequel nous étions venus de si loin. Un lek consiste en quelques mètres carrés de désert – des armoises tordues par le vent, des gravillons nus, des brins d'herbe sèche ne présentant aucun intérêt. Pourtant, depuis des générations, c'était cet endroit, précisément, que les tétras avaient choisi, parcourant de longues distances pour danser sur cette aire en particulier. Des quatre coins de l'horizon, des silhouettes sombres arrivaient, ailes tendues. Une douzaine d'autres tétras surgirent alors de nulle part, déployant des collerettes blanches puis les repliant sous des plumes mouchetées devenues, au fil des générations, la couleur même de la terre végétale. Ils apparaissaient et disparaissaient comme si un projecteur balayait le paysage, les éclairant à tour de rôle. Se faisant face à quelques pas de distance, ils se dressaient pour se grandir et écartaient leurs plumes au prix d'efforts si grands que, même à quinze mètres d'eux, je pouvais les voir qui tremblaient. J'essayai de tous les suivre tandis qu'ils se pavanaient autour du lek, mais ils arrivaient à toute vitesse et disparaissaient pour réapparaître ailleurs, me laissant m'énerver avec mes jumelles. Lorsque je ne parvins plus à les différencier des buissons, je renonçai aux jumelles et observai leurs silhouettes dans la lueur du crépuscule. Alors, les derniers oiseaux finirent par s'évanouir. Nous restâmes assis longtemps, euphoriques et silencieux, et peut-être un peu confus d'avoir assisté, sans avoir été invités, à une danse aussi subtile et intense. De retour au pick-up, nous nous tînmes le dos courbé contre le vent et avalâmes des cuillerées de ragoût, nos manches rabattues jusque sur nos mains. Le lendemain, nous retournions au lek pour l'inspecter en plein jour. Tout à coup, le vent
tourna, soufflant de l'ouest vers le nord, et il se mit à
neiger à gros flocons. Nous empilâmes la vaisselle sale
contre la roue du pick-up de sorte à pouvoir la retrouver le
lendemain matin et nous rentrâmes à quatre pattes dans la
tente. Frank tapa contre la toile pour en chasser la neige
et nous nous glissâmes dans nos sacs de couchage. Le sommeil
ne tarda pas à venir. Pendant la nuit, je fus réveiller par
le bruit plus doux de la neige sèche qui glissait le long
des parois de la tente, et j'en conclus que la température
baissait et que le vent était tombé..."
Kathleen DEAN MOORE - Sur
quoi repose le monde
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