Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°874 (2023-23)
mardi
20 juin 2023
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Pinson des arbres mâle Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot jeudi 20 avril 2023 (dernières images prises avec l'EOS 7DII) Pinson des arbres mâle Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot jeudi 20 avril 2023 Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot sur mon compost... jeudi 27 avril 2023, matin (dernières images prises avec l'EOS 7DII)
Bergeronnette grise adulte
Bergeronnette grise
adulteCourvières (Haut-Doubs), Champ-Margot jeudi 27 avril 2023, matin (dernières images prises avec l'EOS 7DII) Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot jeudi 27 avril 2023, matin (dernières images prises avec l'EOS 7DII)
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot jeudi 27 avril 2023, après-midi (premières images prises avec l'EOS R7, boitier "hybride")
Bergeronnette grise adulte Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot lundi 1er mai 2023 Bergeronnette grise adulte Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot lundi 1er mai 2023
Bergeronnette grise adulte, s'étirant |
"Il
ne
peut y avoir pour l'esprit humain Albert CAMUS Aimer un étranger comme
soi-même Simone WEIL Laissez la beauté de ce que
vous aimez RUMI
Le phare des Héaux de Bréhat ponctue la nuit tel un métronome les doigts d'un pianiste sur son clavier. Contre les flancs de la Gabinière, le ressac de l'océan marque un autre temps.Parfois l'un et l'autre se confondent, éphémère synchronicité du temps des hommes et de celui des mers. A marée haute, la Gabinière devient une île. « Jamais personne ne me retrouvera ici », m'avait dit Vadim en débarquant l'hiver dernier.Y ai-je cru moi-même durant toute cette année passée à ses côtés ? Une année à le regarder écrire dans la vieille bibliothèque aux larges baies vitrées tournées vers l'Orient. Pour qui écrivait-il ? Pour lui ? Pour elle ? Pour les pages arrachées de l'histoire du monde ?Pour que je puisse à mon tour raconter son histoire ? Il écrivait parfois à en griffer le papier, avec la rage d'un indigné ou de celui qui sait trop bien que le dernier jour d'une vie est peut-être celui qui vient. A d'autres moments, son visage était apaisé. Sa respiration ralentissait. Je savais alors qu'elle était là. Certains jours, nous partions en mer. Il aimait la vieille goélette que je restaurais et sa voile rouge garance usée par le sel telle la vareuse d'un marin. Dans l'archipel de Bréhat, puis entre Fréhel et Port-Blanc, je lui ai appris à naviguer le long de cette côte où chaque îlot peut devenir un écueil et où vent et courants ne laissent aucun répit à qui tient la barre. « Naviguer, c'est finalement comme jouer aux échecs, m'avait-il dit un jour, sauf que l'océan a toujours un coup d'avance et ne cherche pas à gagner. En mer, le seul à tout risquer, c'est le marin. »
Chapitre I Soixante-quatre cases Vadim naquit à Barvikha, la banlieue de Moscou qui regroupe l'élite russe des affaires, de l'armée et de l'Eglise orthodoxe. Un village gagné sur la grande forêt où se succèdent de luxueuses datchas ceintes de hauts murs. Il est le fils du général Sédov qui confia à Paul d'Ingrincourt, un jeune polytechnicien français, sa formation. Pour de nombreuses familles russes, l'éducation à la française constitue une référence. C'est ainsi que, dès l'âge de 5 ans, le jeune Vadim apprit la langue de Baudelaire en déchiffrant ses poèmes, et les mathématiques de Descartes avec l'ambition pour le général Sédov que son fils n'oublie jamais que l'homme doit être maître et possesseur de la nature. Avec Paul, Vadim apprit également à monter à cheval ainsi que le maniement des armes blanches : le sabre, l'épée et le couteau. Invariablement, les matins étaient consacrés aux enseignements intellectuels et les après-midi débutaient par l'équitation pour s'achever dans la salle d'armes de la villa. Vadim était un rêve d'enfant, s'appliquant à recevoir tout ce qui lui était donné avec une curiosité insatiable. A chaque leçon, Paul s'asseyait en face de son petit bureau et Vadim, ses beaux yeux bleus légèrement cachés par ses boucles blondes, prenait un cahier de couleur différente et écrivait consciencieusement. Paul devait marquer la fin de l'enseignement car l'enfant avait toujours une question nouvelle. « Dis-moi encore... », disait-il à Paul. Et Paul racontait la naissance des mathématiques, la découverte des Indes, la légende d'Ulysse, les débuts de l'univers ou comment la fleur devient un fruit... Et, de tout son petit être, l'enfant était fasciné par l'histoire comme par les sciences, par la poésie comme par la géographie.
Vadim aimait profondément sa mère, Donatella. Elle le réveillait le matin et ils partageaient le petit déjeuner, le repas de midi et l'heure du thé à l'issue de la séance en salle d'armes avec Paul. Par-dessus tout, le garçon aimait la douceur de ce moment. Passionnée de littérature française, elle lui faisait découvrir Les Contes de Perrault ou d'Andersen, Les fables de La Fontaine, puis, plus tard, Victor Hugo, Lamartine, Saint-Exupéry... Livre après livre, chapitre après chapitre, elle commentait les mots des écrivains et questionnait son fils sur la façon dont il les recevait, quelles images naissaient en lui, encourageant son imagination. Et Vadim était pris dans la musique des mots de sa mère. Souvent, il posait sa tête sur ses genoux et fermait les yeux. Intime moment de tendresse accompagné par la main de Donatella dans ses cheveux. « Que ta vie soit la plus belle des histoires, mon enfant ! » disait-elle parfois avec une pointe de nostalgie. Quand Vadim retrouvait sa mère, Paul quittait la datcha et rejoignait Moscou. Lorsque le jeune garçon fut en âge de poser des questions à son précepteur sur sa vie, il comprit que les enseignements prodigués étaient validés dans leur moindre détail par le général et qu'il n'était pas autorisé à répondre aux questions posées par l'enfant en dehors de ce cadre. Vadim comprit vite qu'il en
était de même avec sa mère dont il aurait aimé connaître les
souvenirs d'enfance. Mais les réponses restèrent toujours
évasives, très souvent neutres et faites de peu de
mots : « Une enfance normale », « Il n'y
a pas grand-chose à en dire », « Comme tous les
enfants », « Rien de très intéressant »..."
Eric DE KERMEL - La
traversée des lumières
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