Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°872 (2023-21)
mardi
6 juin 2023
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre :
[ici]
ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement,
cliquez [ici]
Pour regarder et écouter,
|
Cercope sanguin Languimberg (Moselle) jeudi 18 mai 2023 Rhodes (Moselle), parc animalier de Sainte-Croix vendredi 19 mai 2023 Loup gris (Europe) Rhodes (Moselle), parc animalier de Sainte-Croix vendredi 19 mai 2023 Cigogne noire Rhodes (Moselle), parc animalier de Sainte-Croix vendredi 19 mai 2023
Rhodes (Moselle), parc animalier de Sainte-Croix vendredi 19 mai 2023 Cerfs et biches Rhodes (Moselle), parc animalier de Sainte-Croix vendredi 19 mai 2023
Rhodes (Moselle), parc animalier de Sainte-Croix vendredi 19 mai 2023
Paon bleu mâle chantant Rhodes (Moselle), parc animalier de Sainte-Croix vendredi 19 mai 2023 Rhodes (Moselle), parc animalier de Sainte-Croix vendredi 19 mai 2023
Paon bleu mâle Rhodes (Moselle), parc animalier de Sainte-Croix vendredi 19 mai 2023
Loup gris (Europe) Rhodes (Moselle), parc animalier de Sainte-Croix vendredi 19 mai 2023 Loup noir (Amérique du nord)
Troupe de Cerfs et de Mouflons |
" I MES PREMIERES EXPERIENCES : EPITRE DE LUIGI ROSSI SUR LES BASILICS, LES DRAGONS ET L'INCREDULITE DU COMTE DE LACEPEDE
Il y a parmi nous beaucoup d'animaux – qui ne sont pas tous politiques – dont l'étrangeté viens moins de leur propre nature que du climat précieux et arbitraire de la vie italienne. Qui a jamais vu une salamandre, un basilic, un dragon, un caméléon ? Le souvenir s'en serait même perdu, si de temps à autre les honnêtes gens, qui ont en commun avec ces curieux animaux la rareté, n'en rencontraient quelque exemplaire et n'étaient en mesure d'en rendre témoignage. Hasards admirables ! Et pourtant les chroniques, sinon les fables, sont pleines de ces admirables hasards. Quand je suivais les cours de latin et de grec au collège Cicognini de Prato, ville de Toscane où je suis né, j'eus plusieurs fois l'occasion de rencontrer ces rares espèces d'animaux, et Dieu sait quelle innocence il me fallut pour n'en point tirer vanité. Les premières rencontres, comme il arrive souvent, furent d'une nature essentiellement littéraire, puisque l'expérience de la vie commence chez nous à travers les lettres, surtout en Toscane, où tout, vertu, vice, passion est littérature. En bon citoyen de Prato, ce qui veut dire trois fois toscan, j'ai toujours tenu en honneur les lettres et les animaux, peut-être par amitié pour le bon fabuliste, Agnolo Firenzuola, qui de ma cité fut grand admirateur et citoyen, sans y être né. Mais la première notion que j'eus des salamandres me laissa fort peu convaincu du bonheur que peuvent apporter semblables connaissances. Cela m'arriva en lisant ce passage de la vie de Benvenuto Cellini, où il est question d'un salamandre et d'une gifle fameuse. La cuisson de cette gifle me resta sur le visage jusqu'au jour où je lus dans Pétrarque ces deux vers surprenants :
Etrange aliment et merveilleuse salamandre
Le feu prit à quelques branches, le vent aussitôt dispersa la flamme et en peu d'instants fit flamber la colline. J'avais arraché près de là un cep de vigne avec lequel je fouillais entre les tisons, frappais à grands coups les buissons en flammes, tout curieux de voir surgir une de ces salamandres dont Benvenuto Cellini m'avait, de façon si convaincante, révélé l'existence. Dieu sait combien de temps je serais resté là, avec mon bâton, à poursuivre l'incendie, si je n'avais vu venir à moi un petit serpent, semblable à ceux qui, l'été, sifflent sous les pierres à en rendre jalouses les cigales. Heureusement pour moi, je pris rapidement la course vers les Sacca, car, déjà, les paysans de Fossombrone, armés de bêches et de pioches, montaient de tous côtés en courant derrière les chiens qui aboyaient au secours. S'ils m'avaient pris, ils m'auraient certainement fait passer mon désir de salamandre et je ne me serais pas mis, quelques mois plus tard à chasser les dragons et les basilics à la suite de la lecture que je fis de la curieuse dissertation épistolaire de Luigi Bossi sur l'incrédulité du comte de Lacépède. Il avait vécu, ce Luigi Bossi, bien longtemps avant que je fusse né, c'est-à-dire dans la seconde moitié du XVIIIème siècle ; mais d'être né si en avance sur le siècle du progrès, ne diminuait en rien son autorité de praticien, docteur collégial et chanoine ordinaire de l'Eglise métropolitaine de Milan, membre de l'académie royale des sciences et belles-lettres de Mantoue, de l'Académie des géorgophiles de Florence et de l'Académie étrusque de Cortone. A mon respect pour les académiciens, s'ajoutait, à l'égard de Bossi, la satisfaction que me donnaient les choses plaisantes et malicieuses qu'il disait du comte de Lacépède, célèbre naturaliste français et continuateur de Buffon, dans son épître de 1790 sur les Basilics, dragons et autres animaux dits fabuleux, écrite dans la solitude de Fagnano à Son Excellence le comte et commandeur Gian Rinaldo Carli, et imprimée à Milan en 1792 sur les presses de Luigi Valadini à Contrada Nuova. Cette curieuse et désormais très rare épître de Bossi, dont un exemplaire encore en bon état se trouve, sans figurer au catalogue, dans la bibliothèque du palais communal de Montepulciano, m'avait été donnée à l'occasion de ma troisième année de latin par le chanoine de la bibliothèque Roncioniana de Prato ; et Dieu sait combien cette minutieuse et docte dissertation a soutenu l'espoir que je nourrissais de pouvoir, un jour, rencontrer quelques-uns de ces très étranges animaux. J'avais pris parti, naturellement, pour l'illustre académicien de l'Eglise métropolitaine de Milan contre le présomptueux Lacépède : « Votre Excellence sait que M. le comte de Lacépède continue avec beaucoup de bonheur l'Histoire naturelle des animaux menée presque à sa fin par le comte de Buffon. Il a paru jusqu'à présent quelques volumes contenant l'Histoire des quadrupèdes ovipares et des serpents. Je suis en train de les lire durant mon involontaire séjour à la campagne. Or, voyez maintenant ce qui me tombe sous les yeux. Dans la série de ces animaux, le hasard veut qu'on rencontre deux lézards, auxquels la capricieuse manie des nomenclateurs a donné les noms pompeux de basilic et de dragon. A propos de ces méprisables animalicules, à peine dignes d'être mantionnés parmi la chaîne des êtres, le naturaliste français parle des basilics et des dragons connus, célébrés, vénérés et redoutés depuis l'antiquité la plus ancienne, passe rapidement avec un air de supériorité méprisante et dédaigneuse, et tourne le tout en ridicule comme s'il n'y avait jamais eu d'autres basilics et dragons que les seuls lézards identifiés sous ce nom par les plus récents naturalistes-zoologistes. Comment peut-il se féliciter de cette manière de dire ? Moi qui, de l'antiquité, goûte jusqu'à son fabuleux, moi, qui suis intimement persuadé que les inventions, même les plus absurdes, et les croyances populaires, ont été basées dans les temps les plus anciens sur des principes solides et réels, je trouve qu'une telle façon de s'exprimer est non seulement légère et erronée mais aussi injurieuse et insultante. Bien qu'il n'y ait rien à redire du reste, qui est excellent, ni des mérites propres de l'écrivain. Que Votre Excellence daigne avec moi porter un instant son regard sur ces monstres horribles, et elle verra que je n'ai pas tort de regretter cette arrogance gallicane. » Ah, ce comte de Lacépède ! Comme il est facile de comprendre la profonde gratitude que je nourrissais pour l'illustre académicien Bossi, défenseur honnête, convaincu et désintéressé des fables antiques, et même des erreurs des anciens, contre la morgue et la suffisance de l'incrédule et irrespectueux Français. J'eux beau lire et relire
la dissertation épistolaire de Bossi, confronter les animaux
qu'il y décrit avec les lézards du jardin familial, il ne me
fut jamais donné de rencontrer un seul basilic, un seul
misérable dragon. Le comte de Lacépède aurait-il eu
raison ? La vie nous enseigne à éprouver la vanité des
fables : cette expérience fut pour moi la première de
cette espèce. Depuis ce jour, je me suis toujours méfié de
l'autorité des anciens, jusqu'à être certain qu'il y a des
hommes, des animaux et des peuples sans antiquité, donc sans
autorité. Même la population de Prato m'apparut, depuis ce
jour, semblable à Mahomet qui, disait Pascal, était un
prophète sans autorité parce qu'il manquait de traditions
prophétiques. Des animaux dont j'avais alors connaissance
dans ma ville, à l'intérieur ou hors des murs, j'étais
arrivé à croire que tous étaient de l'espèce domestique, et,
naturellement, bons citoyens de Prato..."
Curzio MALAPARTE - Monsieur
Caméléon
|
|