Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°865 (2023-14)
mardi
11 avril 2023
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Etourneau
sansonnet Etourneau sansonnet Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 12 février 2023 Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 12 février 2023 <image recadrée> dimanche 12 février 2023
Etourneau sansonnet Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 12 février 2023 <image recadrée> Etourneau sansonnet Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 12 février 2023 Etourneau sansonnet Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 12 février 2023 Etourneau sansonnet Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 12 février 2023
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 12 février 2023
dimanche 26 février 2023
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"1 - Okta Elsa
filait
sans se retourner. Le dos droit, concentrée pour
trouver la bonne cadence, elle regardait ses skis afin
de les maintenir dans les traces. Il faisait sans
doute un peu trop sombre pour sortir, mais elle
trépignait d'impatience. Ses bras forts lui permettaient de pousser sur ses bâtons, de se propulser en avant. Elle savait que sa maison ne serait bientôt plus qu'un petit point au loin, derrière elle. Après le lac venait la forêt, mais elle n'avait pas peur. Elle n'avait jamais peur car elle savait se repérer, elle retrouvait toujours son chemin. A vrai dire, elle ne s'aventurait pas au-delà du lac, d'habitude. Mais elle était grande désormais. Début janvier, le soleil leur revenait, mais à peine s'était-il levé qu'il entamait sa course dans l'autre sens, ne laissant derrière lui qu'une lueur rosée. Aujourd'hui les nuages absorbaient la lumière plus vite qu'elle ne l'aurait cru, mais la nuit ne tomberait pas tout de suite. Elle aurait le temps d'arriver à destination. La neige alourdissait les branches des sapins et des bouleaux. Comme s'ils s'inclinaient sur son passage. Saluaient son retour. Et dire qu'ils la reconnaissaient, en dépit de ses cheveux givrés, argentés, et de ses nouveaux skis ! Elle entendit les rennes et accéléra le rythme malgré la fatigue qui engourdissait ses cuisses. Sa respiration se fit de plus en plus rapide, sa gorge lui brûlait. Ses lèvres étaient sèches mais elle ne devait surtout pas les lécher, sinon elles gerceraient, se fissureraient. Elle n'aimait pas le goût du sang. Il n'y avait encore personne là-bas. Elle le savait. Ses parents et Mattias étaient à la maison. Il n'était pas encore l'heure de nourrir les rennes. Elle voulait leur faire une surprise. Préparer les granulés, sortir les sacs, peut-être même entrer dans l'enclos pour verser du fourrage sur le sol. Arracher un peu de lichen pour les attirer, qu'ils se rassemblent autour d'elle, sans aucune défiance. Percevant le ronronnement d'une motoneige, elle s'immobilisa. Quelle déception ! Elle n'était pas la première arrivée. L'engin était arrêté, le moteur tournait à vide. Le plus silencieusement possible, elle poussa sur ses bâtons. S'agrippa à un tronc de pin et jeta un coup d'oeil furtif. C'était lui. Elle ne prononçait jamais son nom. Il tenait, entre ses lèvres pincées, un petit triangle duveteux. A la main, un couteau ensanglanté. Elsa serra ses bâtons de toutes ses forces. Si fort que ses articulations gelées lui faisaient mal. Il recracha le morceau d'oreille et le fourra dans la poche de son pantalon jaune crasseux. De ceux que portent les ouvriers routiers. Les larges bandes réfléchissantes scintillèrent quand il passa devant les phares de la motoneige. Le faon mort gisait près de la barrière, à l'extérieur de l'enclos. Il se pencha vers l'animal. Pour l'emporter ? Son renne à elle. Une petite femelle. Etait-ce bien elle ? Oui, Elsa reconnaissait la tache blanche au niveau du front. Nastegallu. Sa gorge laissa échapper un son. Il l'entendit. Scruta de son regard expert entre les arbres jusqu'à la trouver. Peut-être ne la reconnaissait-il pas avec ses cheveux argent ? Ses lèvres formèrent un juron. Il s'avança à pas lourds vers elle. Sa langue pressait son tabac sous sa lèvre supérieure, contre sa gencive. C'est alors qu'il esquissa un sourire mesquin. Il pointa l'index vers elle, le posa sur ses lèvres fines pour lui ordonner de garder le silence, puis le fit glisser sur son cou. Tu es morte. Voilà ce que cela signifiait, elle le savait. Il retourna vers la motoneige, tira de sa poche ses gants noirs et lança une jambe par-dessus le siège. Sans s'apercevoir qu'il n'avait pas sorti que ses gants. Une petite chose duveteuse virevolta avant d'atterrir dans la neige. Une oreille qui présentait des entailles spécifiques, preuves de l'appartenance du faon à leur troupeau. Il appuya sur l'accélérateur, laissant derrière lui une émanation de gaz d'échappement. Accompagnée d'une autre odeur, un effluve indéterminé. Elsa fronça le nez. Elle avança sur ses skis, les jambes chancelantes, retira ses gants et s'empara de l'oreille. Elle la frotta pour ôter la neige. Sa paume était tachée de sang. Ce n'était pas toute l'oreille, il n'en avait coupé que l'extrémité, là où se trouvait la marque. Elle lorgna vers le corps sans vie qui gisait au pied de la barrière, réticente à s'approcher, à vérifier qu'il s'agissait bien de son renne. Mais elle n'avait pas le choix. C'était
bien
Nastegallu. Même sans oreilles, Elsa en était certaine. La
tache blanche entre ses yeux, et ses pattes étonnamment
longues. Sa fourrure soyeuse était émaillée de gouttes de
sang. Son renne à elle, dépossédé des encoches qui
témoignaient de son appartenance. Elle ne pouvait pas
pleurer, pas crier. Mais dans sa tête montait un grondement
effrayant. L'idée qu'un jour, elle le tuerait..."
Ann-Helen LAESTADIUS - Stöld
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