Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°864 (2023-13)
mardi
28 mars 2023
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Moineau domestique mâle Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 29 janvier 2023 Pinson des arbres mâle Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 29 janvier 2023 Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) mardi 7 février 2023
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) jeudi 16 février 2023 Sous les nuages... Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 19 février 2023
Sous les nuages...
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 19 février 2023
Courvières,
Champ-Margot (Haut-Doubs) Pas de [TN] la semaine prochaine !! en vacances ! A bientôt |
"CONCORD RIVER
Au pied des collines, dans cette vaste étendue Où notre rivière indienne à l'envi sinue Sans des sannup ni des squaws se soucier, Dont le soc déterre souvent flèches et calumets, Ici, dans ces maisons de sapins fraîchement abattus, Habitent les fermiers qui supplantèrent la tribu.
EMERSON
Bien qu'elle soit sans doute aussi vieille que le Nil ou l'Euphrate, la Musketaquid, ou Rivière Herbeuse, n'a commencé à occuper une place dans l'histoire de la civilisation qu'à partir du moment où ses prairies verdoyantes et ses poissons ont été connus et ont attiré des colons d'Angleterre, en 1635, date à laquelle elle fut rebaptisée CONCORD – nom on ne peut plus approprié – par la première colonie installée sur ses rives dans un esprit de paix et d'harmonie. Elle sera la Rivière Herbeuse aussi longtemps que l'herbe poussera et que l'eau coulera ici ; elle ne sera la Concord River que tant que les hommes mèneront une vie paisible sur ses berges. Pour les représentants d'une race aujourd'hui disparue, ce fut un pays verdoyant où ils chassaient et pêchaient, et il le demeure pour les fermiers de Concord, propriétaires des Grandes Prairies, viennent y faucher le foin chaque année. « L'un des embranchements » de la rivière, d'après l'historien de Concord, car j'aime citer quelqu'un qui fasse autorité, « remonte dans la partie sud de Hopkinton, et un autre prend sa source dans une mare et un vaste marais de cèdres à Westborough ». Puis elle coule entre Hopkinton et Southborough, traverse Framingham, et passe entre Sudbury et Wayland, où on l'appelle parfois Sudbury River avant d'entrer dans Concord, au sud de la ville et, après que la North, ou Assabet River, qui a sa source un peu plus au nord-ouest, s'est jetée dedans ; elle ressort de la ville au nord-est, serpente entre Bedford et Carlisle, traverse Billerica, avant de se jeter dans le Merrimack, à Lowell. A Concord, l'été, elle fait de quatre à quinze pieds de profondeur et de cent à trois cent pieds de large, mais au début du printemps, quand elle déborde, elle fait par endroit près d'un mile de large. C'est entre Sudbury et Wayland que s'étendent les plus vastes prairies et, lorsqu'elles se retrouvent sous les eaux, elles forment une jolie chaîne de petits lacs vernaux où viennent nicher goélands et canards. C'est juste au-dessus de Sherman's Bridge qu'elle est la plus large, et quand un vent frais souffle par une journée frileuse de mars, agitant la surface de vaguelettes sombres et calmes ou bien d'une houle régulière, comme elle est jalonnée un peu plus loin par des marais d'aulnes et des érables fuligineux, on dirait un petit lac Huron, sur lequel il est très agréable et excitant de pagayer ou de voguer. Les fermes, le long de la rive de Sudbury qui atteint une hauteur assez importante, offrent de belles perspectives aquatiques en cette saison. La berge est plus plate du côté de Wayland, et cette ville est la grande perdante au moment des crues. Ses fermiers m'ont expliqué que des milliers d'acres sont désormais inondés, depuis que des barrages ont été érigés, là où ils se souviennent d'avoir vu pousser naguère le chèvrefeuille blanc ou le trèfle, et ils ne peuvent passer à sec qu'en été. Aujourd'hui, il n'y a plus que le calamagrostide, la laîche et la léersie qui aient les pieds dans l'eau toute l'année. Pendant longtemps, ils passaient le plus clair de la saison sèche à faner le foin, travaillant parfois de neuf heures du matin jusqu'à la nui, étêtant assidûment avec leurs faux, au crépuscule, les tertres laissés par la glace. Mais aujourd'hui, quand ils peuvent avoir accès aux plaines, la fenaison n'est plus rentable et ils regardent tristement bosquets et plateaux comme leur ultime recours. Un voyage sur cette rivière
est des plus intéressants, si l'on ne va pas plus loin que
Sudbury, ne serait-ce que pour découvrir toutes ces
terres : de grandes collines et une centaine de
ruisseau, de fermes, de granges et de meules de foin qu'on
n'avait jamais vus auparavant, et la présence humaine
partout. Les hommes de Sudbury, autrement dit ceux de
Southborough, de Wayland, de Nine-Acre-Corner et Bound Rock,
où quatre villages se partagent un rocher au milieu de la
rivière (Lincoln, Wayland, Sudbury et Concord). Là-bas, le
vent fait se soulever de nombreuses vagues, maintenant ainsi
la nature au frais. Les embruns vous fouettent le visage,
les roseaux et les joncs ondoient. Les canards par
centaines, dérangés par la houle, sous le vent cinglant,
s'envolent à grand bruit, en sifflant comme des gréeurs,
tout droit pour le Labrador, luttant contre les rudes
bourrasques, les ailes plaquées contre le corps ou bien
dessinant des cercles au-dessus de la surface agitée de
l'eau, en battant des pattes à plein régime, comme pour nous
faire un signe avant de quitter ces parages. Les goélands
tournoient au-dessus de nos têtes, les rats musqués se
sauvent à la nage, trempés et refroidis, sans le moindre feu
auprès duquel se réchauffer, leurs maisons sophistiquées
s'élevant ici et là comme des meules de foin, sans parler
des innombrables souris, taupes et autres mésanges sur le
rivage ensoleillé et venteux, des canneberges ballottées par
les flots, se soulevant sur la berge, leurs petits esquifs
rouges venant heurter les aulnes. Toute cette saine
cacophonie naturelle prouve que le dernier jour n'est pas
encore près d'arriver. Et tout autour se dressent aulnes,
bouleaux, chênes et érables, gorgés de sève et d'allégresse,
empêchant leurs bourgeons de sortir tant que les eaux n'ont
pas baissé. On ira peut-être gambader au sec sur l'Ile aux
Canneberges, avec quelques tiges de prêle de l'année
précédente qui flottent sur l'eau pour signaler le danger,
et y attraper un bon rhume comme partout ailleurs sur la
côte Nord-Ouest. Je n'ai jamais voyagé aussi loin de toute
ma vie. On verra des hommes dont on n'a jamais entendu
parler auparavant et dont on ne connaît pas le nom, qui
descendent dans les prés avec de longues canardières,
chassés de bottes montant jusqu'aux cuisses, marchant dans
le pâturin des marais, sur des rivages hivernaux et
lointains battus par les vents, munis de fusils avec cran de
sûreté. Et ils verront des sarcelles – aux ailes bleues ou
vertes -, des harles bièvres, des garrots à œil d'or, des
canards noirs, des orfraies et bien d'autres choses
merveilleuses et sauvages avant la nuit, dont ceux qui
restent assis dans les salons n'ont jamais rêvé..."
Henry-David THOREAU - Sept
jours sur le fleuve
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