Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°861 (2023-10)
mardi
7 mars 2023
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Regards
croisés Aubépine et clochers Boujailles (Haut-Doubs) dimanche 29 janvier 2023
Boujailles (Haut-Doubs) dimanche 29 janvier 2023
Au soleil couchant Boujailles (Haut-Doubs) dimanche 29 janvier 2023 <image prise avec le Samsung A50 : format
16/9ème>
NeigeBoujailles (Haut-Doubs) dimanche 29 janvier 2023 Coucher du soleil
Boujailles (Haut-Doubs) dimanche 29 janvier 2023
Boujailles (Haut-Doubs) dimanche 12 février 2023
Boujailles (Haut-Doubs) dimanche 12 février 2023
Frasne (Haut-Doubs) vendredi 24 février 2023
Hermine : plus blanche (un autre individu) Frasne (Haut-Doubs) dimanche 26 février 2023 Hermine Frasne (Haut-Doubs) dimanche 26 février 2023 Frasne
(Haut-Doubs)
dimanche 26 février 2023 |
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mars 2022 |
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"Tableau III Au Bec Hellouin, c'est tout près de chez moi. Vallée étroite entre les forêts et les collines, bout du monde tout proche où marchent lentement les moines et les moniales en noir et blanc par les après-midi de soleil doux – la route suit nonchalamment les méandres de la rivière. Les gens s'arrêtent à l'abbaye, à l'auberge normande, aux boutiques d'artisanat. Mais empruntez un peu plus loin la route qui ne mène à rien, dépassez le lavoir inutile et charmant, sous son toit d'un autre âge – Vincent y fait toujours nager des bateaux de papier, puis traverse la route et les voit s'échapper, déjà demi noyés dans les turbulences de la rivière. Vous atteignez bientôt un terre-plein, près de l'ancienne gare abandonnée. Un sillage un peu courbe aux creux de la colline dessine le trajet de la voie ferrée d'autrefois. Juste au-dessus la forêt semble inextricable. Elle ne l'est pas. Enfoncez-vous sous les ombrages, et grimpez quelques mètres à même le talus, en vous aidant des lianes. S'ouvre alors tout un réseau de chemins minuscules, qui montent à votre choix, plus ou moins vite, quelque part, et le pressentiment léger vous précède au vert le plus profond de cette tente de feuillage. Rien ne le justifie, mais c'est ainsi. Ces chemins-là sont doux comme l'oubli du temps, vernissés, chatoyant de taches de lumière, et donnent envie de s'y blottir en sachant bien qu'un peu plus loin... Nous y allons au mois d'avril pour les anémones sylvie, si vite flétries dans un verre, mais ici fraîches comme l'eau, corolles passagères, blancheur si menacée. Le premier bleu efface leur image au mois de mai, rend la forêt au sortilège mauve plus secret des jacinthes et des pervenches. Accroupi dans le lierre et la mousse, on cueille là l'envie de tout ce bleu. Les pervenches sont les plus jolies, près des feuilles plus sombres, pétales clairs si fermement fragiles, découpés en triangles adoucis. Mais les jacinthes au détour d'un coude du chemin en telle avalanche, en telle vague violet-bleu que tout en tremble et danse plus léger. On plonge en vain les mains dans cette eau douce. On en retire, maladroit, tige après tige, de petits lampions aux clochettes étriquées, déchiquetées, sur leur tuteur de tubéreuse vert et blanc glacé... Avec une herbe coupante et râpeuse, on scelle ce bouquet. Les deux mains pleines, on reprend le chemin. En haut de la colline, les herbes disparaissent, et l'on assoit parmi les pierres blanches, les genoux contre les épaules. Le Bec Hellouin, au fond de la vallée, devient alors comme un glacier vu d'un sommet, après une longue marche en montagne : désirable et incertain, magique, une eau plus pure que sa soif. Des points blancs passent dans la cour, et dans un carré d'herbe bien luisantes, à l'écart du long bâtiment, sous le soleil pimpant de l'après-midi neuve, des âmes dorment pour l'éternité, dans un petit enclos de mort très douce. A la maison, les bouquets
bleus aux queues trop courtes trouvent refuge dans des
verres, de la flûte à champagne au pot de yaourt rebondi.
Devant la fenêtre de la cuisine, ils restent là pour
quelques jours, tout près du rougeoiement des confitures de
groseille, de la gelée de coing translucide, aérienne ;
fruit de l'été gardés jusqu'au printemps le long de cette
table de travail à l'opulent désordre, les confitures aiment
les fleurs en verre. C'est la même simplicité de vie-nature
apprivoisée par le verger des fruits, les fleurs bleues du
sous-bois. C'est la transparence de l'eau dansant dans les
couleurs, chaleur et froid qu'on mange du regard, en
arrêtant le temps quelques mois quelques jours dans la
saveur sucrée des fruits, fraîche amère des fleurs. Gel
orange du coing, bleu mauve des jacinthes et des pervenches,
accordés en secret par le vert sombre de la feuille, par le
silence et la lumière finissante. Un restant de soleil
s'attarde sur la cour et joue dans la fenêtre..."
Philippe DELERME - Le
bonheur
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