Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°850 (2022-50)
mardi
20 décembre 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Mésange bleue Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) mardi 1er novembre 2022 Mésange bleue Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) mercredi 2 novembre 2022 Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) jeudi 10 novembre 2022
Mésange charbonnière Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) jeudi 10 novembre 2022 Mésange bleue Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) jeudi 10 novembre 2022 Mésange charbonnière Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) jeudi 10 novembre 2022 Mésange bleue Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) jeudi 10 novembre 2022 Mésange bleue Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 13 novembre 2022
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 13 novembre 2022
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) samedi 19 novembre 2022
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 11 décembre 2022
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"I Après le départ des gardes, la tente que nous avions dressée me parut encore plus petite. Je me tenais devant elle, et un frisson que je croyais dû à une bourrasque me parcourut le cou. Allais-je vraiment vivre là-dedans désormais ? Serait-ce là mon foyer pour les sept mois à venir ? Seul, durant tout un hiver ? Je jetai un coup d'oeil vers la rivière sinueuse, entre les parois sombres et accidentées du canyon qui découpaient déjà le soleil de ce milieu d'après-midi.Il n’y avait rien au-delà de ces murs de pierre et de verdure, si ce n’est les étendues sauvages de la Selway-Bitterroot, à l’infini. J’étais seul, au cœur même de la solitude. L’ombre envahit le canyon et je m’en éloignai rapidement pour rejoindre la lumière du soleil qui inondait la prairie. L’herbe m’arrivait aux genoux et bruissait sous mes pas, le vent faisait onduler les sapins immenses et les cèdres imposants qui dessinaient l’entrée de la clairière. Le doux murmure de la rivière embrassait ce tableau et produisait une quiétude insistante qui m’entourait comme un linceul. Je m’arrêtai au poteau téléphonique dont le garde m’avait assuré qu’il serait mon seul lien avec le monde extérieur. Nous avions découvert la veille que le téléphone ne fonctionnait pas. Je le décrochai tout de même. J’écoutai son silence sourd, la voix du reste du monde. L’appareil toujours contre l’oreille, je me retournai pour regarder la tente désormais à l’ombre et assez éloignée pour être vue avec du recul. Les murs de toile couvraient une surface de quatorze pieds sur seize. C'est ce que les gardes forestiers m'avaient dit, vantant ses dimensions jusqu'à la rendre spacieuse. Au téléphone, à la piscine de l'université, lorsque j'avais accepté ce boulot, je m'étais imaginé un palais. A présent, je raccrochai le téléphone sans vie et me dirigeai vers la tente. Je soulevai la porte d'entrée en toile et pénétrai à l'intérieur, loin du monde sauvage. Au milieu du tapis de sol, réduisant considérablement l'espace disponible, se trouvait une pile de boites et de sacs – tout ce que je possédais et tout ce dont j'aurais besoin pour les sept mois à venir. Je me rappelais que, pas plus tard que la veille, ces mêmes sacs et ces mêmes boîtes remplissaient ma chambre d'étudiant, et que, pour circuler, mon colocataire et moi avions tracé des pistes entre eux. Je m'assis sur la pile et Boone, la petite chienne que m'avait donnée Rader et qui ressemblait à un rat, vint s'installer à mon pied. Elle avait été sevrée trop tôt, et tout lui était indifférent dès lors qu'elle ne se trouvait pas à moins d'un ou deux pas de moi. Je pris une large inspiration et, en grattant ses oreilles tombantes, je lui dis dans un souffle : « C'est magnifique, ici, hein, Boone ? » Sans parvenir à m'enthousiasmer devant la perspective des sept mois de solitude qui m'attendaient, je tapotai sa tête chaude en me demandant comment j'en étais arrivé là. Je repensai à ce premier coup de fil au garde forestier, depuis la piscine où j'avais pour la première fois entendu parler de ce boulot. C'était donc la natation qui m'avait amené jusqu'à cette tente sombre et solitaire. La toute première marche sur le long chemin qui menait jusqu'ici, c'est sans doute celle que manqua mon frère, quatre ans auparavant, dans cet escalier du Milwaukee. Paul, mon jumeau, le champion de natation du lycée, s'était cassé la jambe avant même d'atterrir au bas de l'escalier. Cette chute marqua la fin de sa saison sportive, mais fit démarrer la mienne. Le lendemain matin, j'étais à peine arrivé que l'entraîneur était à mes trousses.
Même si nous ne nous ressemblions pas du tout, je ne voyais pas l'intérêt de mentir.
Comme je ne semblais pas prêt à répondre, il me dit : « 3 h 30 » avant de sortir. Lorsque la dernière sonnerie retentit, cet après-midi là, je pris le chemin du retour et ce n'est qu'à la toute dernière minute que je bifurquai vers la piscine. Avant de me retrouver à l'intérieur du bâtiment, assailli par l'odeur de chlore, je n'avais pas eu l'intention d'y aller. Inconsciemment, je venais de prendre la première d'une série de décisions inconsidérées qui allaient me mener jusqu'à cette tente. Je fis vingt longueurs avec difficulté. Lorsque tous les autres s'arrêtèrent, je crus que nous en avions fini. Personne n'aurait été capable de faire une autre brasse. Mais l'entraîneur annonça une autre série et, avec les autres, je recommençai à me débattre dans les flots. Toute autre option aurait signifié un abandon, et même si je n'étais pas dans mon univers, il était hors de question de subir une telle humiliation. J'en étais alors à mon avant-dernière année de lycée, celle où se fait la sélection des universités. Mais le milieu de la natation m'avait submergé et je ne pensais pas une seconde à mes études. Une fois en terminale, même la pause déjeuner, je la passais à la piscine à rattraper le temps perdu, mes bras fendant l'eau comme des battoirs tandis que l'entraîneur marchait sur le bord en m'encourageant. Ses cris, combinés au manque d'oxygène dans mes poumons, me faisaient rêver au nouvel univers qui m'était destiné, un monde de records, de Jeux olympiques, de médailles. J'inaugurais une vie de rêvasseries, idéale pour vivre en solitaire. Vers la fin de ma terminale, je passais de plus en plus de temps à éluder les questions de mes parents au sujet de l'université, jusqu'au jour où une feuille de papier glissa d'une pile de brochures apportées par un ami. En haut de la feuille se dressait fièrement un mouflon, symbole éloquent de liberté et des grands espaces. En dessous apparaissaient les mots obscurs de Biologie animale et Université du Montana. Pendant des années, l'été, nous avions fait du camping en famille, d'abord avec une caravane, puis sous la tente, avant de nous lancer dans des excursions en canoë, puis dans de longues expéditions sacs au dos. Plus l'endroit était sauvage, plus il me plaisait, et je demandais souvent à être déposé quelque part tandis que ma famille suivait les chemins balisés. Je préférais l'exploration en solitaire, observant ce qui se donnait à voir sans l'aide d'un guide pour me dire quoi regarder, sans rester collé à un groupe de citadins ignares. Mon père appelait cela traînasser. Traînasser dans les bois. Je
n'avais
jamais entendu parler de biologie animale, mais à mes
oreilles, ce mot sonnait comme une promesse de traînasseries
sans fin. Dans une deuxième série de décisions
inconsidérées, j'envoyai une candidature unique dans une
seule université..."
Pete FROMM - Indian
Creek
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