Mardi 16 octobre 2007
Dernières images du site "Rencontres Sauvages" : 85
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Nouveauté sur mon site :

Je viens de mettre en ligne une série d'images
de mon séjour dans les Hautes-Pyrénées

(l'image ci-dessous en est extraite !)

Pour voir ces images :

cliquez sur l'animation ci-dessous

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Astugue
(Hautes-Pyrénées)


du mercredi 5 au samedi 8 septembre 2007

Fenaison à Astugue (où, Samuel, mon frère, installe son exploitation agricole).

"Samba" au repos

Fleurs de Mauves.

Fougère en contre-jour.

Argiope rayée sur sa toile.

Fruit du Pissenlit : l'été est fini !


"Samba" en chasse sur le chemin.

Ecaille chinée sur une fleur d'Eupatoire chanvrine.

Pour voir le poster que je viens de réaliser sur le thème d'Astugue :

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Un petit texte :

"Ce grondement inquiet qui me parvenait à travers l'averse n'était pas dans ma tête. Il monte droit de sous mon balcon. Je n'ai pas encore de pinces mais je commence à avoir des antennes. Je sens dans mes os que la termitière dont les expéditions empruntent si souvent mes murs et mon plancher est en train de faire sauter le mauvais ciment de la cour et va mettre une forteresse plusieurs fois centenaire en péril pour lâcher son vol nuptial. Ici comme partout, les élans du coeur ne vont pas sans danger. La nuit est maintenant faite, la pluie a cessé, la terre est ameublie, on peut risquer l'opération. Les fourmis qui l'ont su avant moi préparent fébrilement une descente sur les brèches qui viennent d'être ouvertes. Elles ne sont pas seules ; dans un périmètre qui dépasse bien l'auberge, mâchoires, museaux, dards, moustaches, mandibules vibrent ou claquent de convoitise. Scolopendres, engoulevents, araignées, lézards, couleuvres, tout ce joli monde d'assassins que je commence à connaître est littéralement sur les dents. Suis descendu voir cette hécatombe, une lanterne sourde à la main. Par les fissures du béton éclaté les termites volants montaient du sol en rangs serrés pour leurs épousailles, les ailes collés au corps, leur corselet neuf astiqué comme les perles noires du bazar. Puceaux et pucelles choyés des années durant dans l'obscurité, dans une sécurité absolue dont notre précaire existence n'offre aucun exemple, ignorant tout de la société de malfrats, goinfres et coupe-jarrets réunie pour les accueillir à leur premier bal. Ils s'ébrouaient au bord des failles et prenaient leur essor dans une nuée fuligineuse et bourdonnante qui brouillait les étoiles. Bref enchantement. Après quelques minutes d'ivresse, ils s'abattaient en pluie légère, perdaient leurs ailes, cherchaient une fissure où disparaître avec leur conjoint. Pour ceux qui retombaient dans la cour, aucune chance d'échapper aux patrouilles de fourmis rousses qui tenaient tout le terrain. Fantassins frénétiques de sept-huit millimètres encadrant des soldats cuirassés de la taille d'une fève qui faisaient moisson de ces fiancés sans défense et s'éloignaient en stridulant, brandissant dans leurs pinces un fagot de victimes mortes ou mutilées. D'autres de ces machines de guerres guidées par leur piétaille cherchaient à envahir la forteresse par les brèches que les soldats termites défendaient au coude à coude. J'avais souvent vu sur mon mur ces étranges conscrits - produits d'une songerie millénaire des termites supérieurs - dans des travaux de simple police (escorter une colonne d'ouvriers, menacer un étourdi) avec leur dégaine hallucinante : ventre mou, plastron blindé et cette énorme tête en forme d'ampoule qui expédie sur l'adversaire une goutte d'un liquide poisseux et corrosif. De profil ce sont de minuscules chevaliers en armure de tournoi, visière baissée. Et un culot d'enfer. A quelques centimètre de la faille les assaillants recevaient décharges sur décharges et tombaient bientôt sur le côté, pédalant éperdument des pattes jusqu'à ce que leurs articulations soient entièrement bloquées par les déchets qui venaient s'y coller. Les défenseurs tenaillés ou enlevés étaient aussitôt remplacés au créneau. Ici et là, un risque-tout quittait sa tranchée et sautait dans la mêlée pour mieux ajuster sa salve avant d'être taillé en pièces. D'un côté comme de l'autre ni fuyard ni poltron, seulement des morts et des survivants tellement pressés d'en découdre qu'ils en oubliaient le feu de ma lanterne et de mordre mes gigantesques pieds nus. Si nous mettions tant de coeur à nos affaires elles aboutiraient plus souvent. Sifflements, chocs, cris de guerre, d'agonie, de dépit, cymbales de chitine. Certains coups de cisailles s'entendaient à deux mètres. La rumeur qui montait de ce carnage rappelait celle d'un feu de sarments. Avant l'aube, les fourmis ont commencé à faire retraite et les ouvriers-termites à boucher les brèches sous les soldats qui protégeaient leur travail. murés dehors, ils vont terminer leur vie de soudards aveugles aux mains du soleil et de quelques ennemis. A ce prix, la termitière a gagné son pari. Les rôdeurs et les intrus qui ont pu pénétrer sont déjà occis, dépecés, réduits en farine pour les jours de disette. Dans la cellule faite du ciment le plus dur où elle vit prisonnière, l'énorme reine connaît la nouvelle. Un des Suisses de sa garde est venu lui dire d'antenne à antenne, en hochant comiquement sa grosse tête, que "
Malbrouk était revenu". C'est l'heure du Te Deum souterrain. Celle aussi de faire dans la sécurité retrouvée le compte des pertes qui sont effroyables. Et de repourvoir exactement - soldats, ouvriers, termites sexués - les effectifs décimés. Par des manipulations génétiques auxquelles il semble, bien heureusement, que nous ne comprenions rien. Personne en tout cas, dans ces catacombes d'argile, ne choisit son destin. Ai-je vraiment choisi le mien? Est-ce de mon propre gré que je suis resté là des heures durant, accroupi, hors d'échelle, à regarder ces massacres en y cherchant un signe?
Le premier soleil m'a réveillé en me chauffant une joue. Je m'étais endormi par terre à côté du falot qui brûlait toujours en sifflant. J'avais les yeux au ras du sol. Autour de moi, la cour était couverte d'une poussière d'ailes argentées, de carapaces vides, de pattes et de têtes sectionnées, de cuirasses éclatées. Quelques grandes fourmis engluées bougeaient encore faiblement. Les cancrelats, voireux et matinaux, étaient déjà au travail dans ce cimetière. Je me demandais si ce jour de désastre porterait même un nom dans les chroniques de mes microscopiques et mystérieux compagnons. Et s'il en aurait un dans la mienne."

Nicolas Bouvier - Le Poisson-scorpion



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