Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°849 (2022-49)
mardi
13 décembre 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Moineau domestique femelle Courvières, Champs Margot (Haut-Doubs) mardi 1er novembre 2022 mardi 1er novembre 2022
Courvières, Champs Margot (Haut-Doubs) mardi 1er novembre 2022 Moineau domestique Courvières, Champs Margot (Haut-Doubs) mardi 1er novembre 2022
mardi 1er novembre 2022
Moineau domestique Courvières, Champs Margot (Haut-Doubs) mardi 1er novembre 2022
Courvières, Champs Margot (Haut-Doubs) jeudi 10 novembre 2022
Moineau domestique
femelle
Courvières, Champs Margot (Haut-Doubs) dimanche 13 novembre 2022
Courvières, Champs Margot (Haut-Doubs) samedi 19 novembre 2022
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"1 LES YEUX DE BRAHMS Saisis par un appareil photo, les yeux d'un sujet n'ont presque jamais la même expression. C'est le cas du jeune Brahms dans un portrait peu connu où il regarde l'objectif de face. Sous un large front, au-dessus d'un nez fort, d'une bouche sensuelle, d'un menton délicat, ses deux yeux ne disent pas la même chose. L'oeil droit est fixe et pénétrant, curieux et décidé. Mais il pourrait bien y avoir au fond une lueur de mélancolie et de souffrance qu'essaie de masquer une apparente autorité. L'oeil gauche au contraire est tout douceur et charme. La paupière supérieure légèrement tombante apporte une nuance de tendresse et de mystère, tout en indiquant une propension à l'humour et aux plaisirs de la vie. Ce ne sont donc pas deux expressions que nous livrent les yeux de Brahms, mais au moins quatre. Chaque caractère principal cachant des inflexions contradictoires. En somme, nous sommes bien dans le royaume ambivalent de la musique. A droite, écoutez le début passionné et tragique du Concerto pour piano n°1 et à gauche le chaleureux abandon, pensif, pastoral et religieux de la fin de la Rhapsodie pour alto et choeur d'hommes. A droite, c'est l'architecte des grandes formes qui est à l'oeuvre, l'orchestrateur des masses rutilantes et des lignes finement tressées. Le charpentier opniâtre à qui l'édification d'un contrepoint ouvragé ou d'une fugue ne fait pas peur. Mais aussi le critique impitoyable qui recule devant une publication hâtive. A gauche, c'est le promeneur bucolique qui prend son temps, l'éternel amoureux au cœur débordant de mélodies, l'homme de foi qui élève un thème au-dessus de la mêlée et le transforme en choral apaisé : « Quand vient une belle idée mélodique, la structure s'efface. Ce qui vient du ciel doit être chéri en silence et sans ajout intempestif. » Ainsi apparaît Johannes Brahms. Un homme bon, modeste, taciturne et fier, qui nous confie en musique l'élan de son cœur. Un silencieux que guettent le fatalisme et la résignation : « Je n'ai pas besoin de vous dire qu'intérieurement je ne ris jamais. » Un homme rugueux, gêné par le bavardage et les mondanités, mal à l'aise en société, n'ayant pas peur de la solitude, mais appréciant la bonne chère dans une joyeuse auberge avec une grande chope de bière. Vient d'abord le jeune homme timide, au regard clair, complexé par une voix trop aiguë et ne s'aimant guère : « Je manque d'esprit pratique, je suis trop paresseux, toujours indécis. » Règne ensuite le vieillard barbu à la mise négligée qui dirige une main dans la poche et dissimule sa vive sensibilité derrière des manières d'ours, une fausse désinvolture, des maladresses. Un vagabond qui adore voyager par agrément, mais qui fuit la dispersion. Un Nordique attiré par la lumière, épris d'Italie, et ne détestant pas la pluie. Un marcheur proche de la nature qui se passionne pour les nouvelles techniques, les innovations de l'art, de la science et de l'industrie. Car ce myope est curieux de tout. Il se tient au courant de l'actualité. Prête autant d'attention aux animaux, aux fleurs qu'à l'invention du phonographe ou à la découverte de l'électricité. La photographie le passionne. Il pose, fait poser ses amis et conserve précieusement les clichés. Collectionneur, il raffole des partitions autographes, des lettres de compositeurs et de grands esprits. Laconique, il rechigne à correspondre - « ça ma semble toujours inutile de prendre la plume »- mais on dénombre près de sept mille lettres de sa main. Les caricatures le montrent pépère et ventripotent. Or c'est loin d'être un roi fainéant. Les témoignages des proches décrivent au contraire un homme d'une grande vitalité et d'une vivacité intellectuelle toujours en éveil. Brahms pense que l'artisan chez lui est supérieur à l'artiste : « Je crains que mes capacités musicales soient supérieures à ce que j'ai à dire. » D'où son obsession de la forme par crainte de ne pas être à la hauteur. Pourtant il a plus besoin d'émouvoir que d'être célébré : « Si, par ma musique, je donne un élan et je sens que j'élève les autres, je suis heureux. Si le public est indifférent à ma musique, mon feu intérieur se refroidit immédiatement. » Lors des réunions amicales, il se met facilement au piano et taquine Schubert ou Bach plutôt que d'imposer ses propres œuvres. Ce qu'il aime par-dessus tout : jouer des valses avec son camarade Johann Strauss. Les honneurs ? Il n'en a cure. Décoré de l'Ordre de Léopold des mains de l'empereur, il bougonne : « Je préfère trouver une belle mélodie plutôt que recevoir une récompense. » Dans les premiers mouvements de ses œuvres, on peut entendre sa personnalité paradoxale, les forces antagonistes qui s'affrontent. Les andantes sont des moments introspectifs et amoureux. Les scherzos, des promenades bucoliques. Et les finales, des aboutissements généreux, des résolutions joyeuses. Il adore les enfants et, à l'âge mûr, se promène rarement sans des bonbons dans les poches. Du reste, en bien des aspects, Brahms est resté lui-même un grand gosse. A l'époque où il donnait des leçons aux enfants des Schumann, Clara les gronda un jour parce qu'il lui avait rapporté qu'ils n'étaient pas gentils avec lui. Quand il reparut, les enfants lui demandèrent : « Allons, Monsieur Brahms, pourquoi vous êtes-vous plaint de nous à maman ? » Dans un livre de souvenirs, Eugénie Schumann raconte la scène : « Alors il fit une grimace de grand enfant boudeur ; il mit ses deux mains dans ses poches, se balança d'un pied sur l'autre, chercha ses mots et enfin balbutia : « Hélas ! Hélas ! C'est seulement parce que je suis un âne. » » Les dernières photographies
au milieu de ses amis le montrent rayonnant. Malgré sa barbe
blanche et son grand front, un regard plein de malice perce
dans ses yeux clairs. L'air hardi, courageux et doux de
l'âne, au début du film Au hasard Balthazar, de Bresson, le
cœur plein de confiance et prêt à endurer les pires avanies..."
Olivier BELLAMY - L'Automne
avec Brahms
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