Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°843 (2022-43)
mardi
1er novembre 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre :
[ici]
ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement,
cliquez [ici]
Pour regarder et écouter,
|
Renard Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 4 septembre 2022 dimanche 4 septembre 2022
Rougequeue noir mâle Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 4 septembre 2022 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 4 septembre 2022 Rougequeue noir femelle Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 4 septembre 2022 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 4 septembre 2022
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 4 septembre 2022
Rougequeue noir
mâle Rougequeue noir
femelle
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 11 septembre 2022
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 18 septembre 2022 |
" 3 juin 1869 Ce matin, les provisions, les marmites, les couvertures, la presse pour mes plantes, et tout le reste ont été chargés sur deux chevaux ; le troupeau a pris la direction des contreforts roussâtres, et nous nous sommes mis en route d'un pas tranquille, dans un nuage de poussière : Mr Delaney, grand et anguleux, avec son profil aigu de Don Quichotte, guidait les chevaux de bât ; venait ensuite Billy le fier berger, un Chinois et un Indien Digger qui devaient l'aider pendant les premiers jours à mener le troupeau dans la broussaille des contreforts, et moi, mon carnet accroché à ma ceinture. Le ranch de Mr. Delaney se situe au sud du Tuolumne, près de French Bar, où les contreforts d’ardoises métamorphiques mouchetées d’or plongent au-dessous des alluvions stratifiées de la vallée centrale. Nous n’avions pas parcouru plus d’un kilomètre et demi que déjà certaines des vieilles bêtes qui allaient en tête laissaient voir, par la vivacité et la curiosité avec lesquelles elles couraient en regardant devant elles, qu’elles se rappelaient les hauts pâturages qu’elles avaient tant appréciés l’année précédente. Bientôt, une agitation pleine d’espoir s’était répandue à travers tout le troupeau ; les brebis appelaient leurs agneaux, ceux-ci répondaient avec des intonations merveilleusement humaines, interrompant de temps à autre leurs cris tendres et chevrotants pour croquer à la hâte quelques touffes d’herbe fanée. Parmi le brouhaha confus de bêlements qui accompagnait le déferlement de toutes ces bêtes au milieu des collines, chaque mère reconnaissait la voix de son petit, et inversement. Si un agneau fatigué, à moitié endormi dans la poussière étouffante, omettait de répondre, sa mère repartait en toute hâte, à contre-courant, vers le dernier endroit où elle l’avait entendu et elle refusait de se laisser apaiser tant qu’elle ne l’avait pas retrouvé, lui seul entre mille, alors qu’à nos yeux et à nos oreilles rien ne le différenciait de ses semblables. Le troupeau parcourait environ un kilomètre et demi à l’heure, et formait un triangle irrégulier qui pouvait mesurer une centaine de mètres de large à la base et cent cinquante de long, avec une pointe légèrement biscornue, qui changeait sans cesse, car elle était composée des fourrageurs les plus puissants, qu’on appelle les « meneurs » et qui, avec les plus actives des bêtes éparpillées le long des flancs dépenaillés du « gros de la troupe », exploraient les anfractuosités des rochers et les buissons, en quête d’herbe et de feuilles ; les agneaux et les vieilles brebis affaiblies qui traînaient à l’arrière constituaient la « queue » du troupeau. Vers midi, la chaleur est devenue difficile à supporter ; les pauvres moutons haletaient pitoyablement et tentaient de s’arrêter à l’ombre de tous les arbres qu’ils trouvaient, tandis que sous l’éclat brûlant et aveuglant du soleil, nous dirigions des regards pleins de convoitise dans la direction des montagnes enneigées et des rivières, bien qu’aucune ne fût encore en vue. Le paysage n’est qu’une longue étendue de contreforts bosselés, que hérissent par endroits des buissons et des arbres, ainsi que des masses d’ardoise qui font saillie. Les arbres, pour la plupart des chênes bleus (Quercus Douglasii), mesurent environ dix à douze mètres de haut, ils ont des feuilles d’un bleu-vert pâle et une écorce blanche, et sont plantés de façon très clairsemée dans le sol le plus pauvre ou dans les interstices des rochers, hors de portée des feux de broussaille. À de nombreux endroits, les ardoises affleurent abruptement au milieu des herbes brunes, en plaques couvertes de lichen, que leurs arêtes aiguës font ressembler à des pierres tombales dans des cimetières abandonnés. À l’exception du chêne et de quatre ou cinq espèces de busserole et de céanothe, la végétation des contreforts est en majeure partie la même que celle des plaines. J’ai vu cette région au début du printemps, quand elle ressemblait à un charmant jardin à l’anglaise, rempli d’oiseaux, d’abeilles et de fleurs. À présent, la canicule a tout désolé. Le sol se fissure de partout, des lézards glissent sur les rochers, et les fourmis en nombre stupéfiant donnent l’impression de vibrer sous l’effet d’une énergie inextinguible, tandis qu’en files interminables elles courent se battre et ramasser de la nourriture, minuscules étincelles de vie brillant dans la chaleur d’un éclat plus intense que jamais. On se demande avec émerveillement comment il se fait qu’elles ne soient pas grillées dès qu’elles ont été exposées quelques secondes aux feux d’un tel soleil. Des serpents à sonnette gisent, lovés sur eux-mêmes, dans des endroits très écartés, mais on ne les voit que rarement. Les pies et les corneilles, d’habitude si bruyantes, se taisent maintenant, posées en bandes mélangées sur le sol, à l’ombre des arbres les plus touffus, le bec grand ouvert et les ailes pendantes, n’ayant plus un souffle de voix pour crier ; les cailles s’efforcent elles aussi de rester à l’ombre, autour des quelques points d’eau tiède et alcaline ; des lapins de garenne courent d’une ombre à l’autre parmi les céanothes, et l’on aperçoit, à l’occasion, un lièvre aux longues oreilles qui galope gracieusement à travers les clairières plus vastes. Après un court repos dans un bosquet, le malheureux troupeau, étouffé par la poussière, a étéde nouveau poussé droit devant lui, par-dessus les collines embroussaillées, mais la route confusément tracée que nous suivions a disparu tout à fait, juste à l’endroit où nous en avions le plus besoin, nous obligeant à nous arrêter pour regarder autour de nous et prendre nos repères. Le Chinois paraissait penser que nous étions perdus et babillait en charabia, signalant l’abondance de « pitis bâtons » (le chaparral), tandis que l’Indien scrutait en silence les crêtes ondoyantes et les ravins, à la recherche d’échappées. En nous frayant un passage en force à travers cette jungle épineuse, nous avons fini par découvrir une route en direction de Coulterville, que nous avons suivie jusqu’à l’heure qui précède le coucher du soleil, où nous avons atteint un ranch désaffecté et établi notre camp pour la nuit. Il est simple et facile de camper sur les contreforts de la Sierra avec un troupeau de moutons, mais c’est loin d’être agréable. Jusqu’à la tombée du jour, les bêtes sont restées à grignoter tout ce qu’elles pouvaient trouver alentour, sous la surveillance du seul berger, tandis que les autres ramassaient du bois, faisaient le feu, préparaient le repas, déballaient les affaires, donnaient à manger aux chevaux, et ainsi de suite. Au crépuscule, on a rassemblé tous les moutons dans un espace dégagé, le plus haut possible ; ils s’y sont volontiers blottis les uns contre les autres, et une fois que chaque mère a trouvé son petit et l’a allaité, le troupeau tout entier s’est couché et il n’y a plus eu besoin de s’en occuper avant le lendemain matin. Le cri « À la soupe ! » a
annoncé le dîner. Chacun, armé de sa gamelle, est venu se
servir directement dans les marmites et les poêles, tout en
échangeant des propos sur tous les sujets abordés
d’ordinaire dans les campements : l’alimentation des
moutons, les mines, les coyotes, les ours, ou les aventures
survenues aux jours mémorables de la ruée vers l’or.
L’Indien se tenait à l’arrière-plan, sans proférer un seul
mot, comme s’il appartenait à une autre espèce. Le repas
fini, on a nourri les chiens, les fumeurs se sont réunis
autour du feu, et sous la double influence de leur estomac
plein et du tabac, le calme qui s’est peint sur leurs
visages paraissait quasi divin, s’apparentait presque à
cette douce et méditative lumière intérieure que les
peintres donnent parfois aux physionomies des saints. Et
puis soudain, comme s’il sortait d’un rêve, chacun avec un
soupir ou un grognement faisait tomber la cendre de sa pipe,
bâillait, contemplait fixement le feu pendant quelques
instants, et annonçait : « Ma foi, je crois bien que
je vais aller me coucher », avant de disparaître aussitôt
sous ses couvertures. Le feu a duré encore une heure ou
deux, réduit à l’état de braises et de flammèches
vacillantes ; les étoiles brillaient plus intensément ; ici
et là, les ratons laveurs, les coyotes et les chouettes
rompaient le silence, tandis que les criquets et les
rainettes faisaient entendre une musique allègre et
continue, si harmonieuse, si épanouie qu’elle semblait faire
partie intégrante de la nuit. Seuls les ronflements d’un
dormeur et la toux des moutons, dont les gosiers étaient
irrités par la poussière, venaient mettre une note
discordante..."
John MUIR - Un été
dans la Sierra
|
|