Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°839 (2022-39)
mardi
4 octobre 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Pourtant
il
nous reste à rêver |
Buse variable dans un Merisier Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) lundi 15 août 2022 Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) lundi 15 août 2022
Buse variable Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) lundi 15 août 2022 Buse variable posée au sol Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) lundi 15 août 2022
Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) lundi 15 août 2022 <image recadrée> Buse variable Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) lundi 15 août 2022 <image recadrée>
<image recadrée>
<image recadrée> Buse variableLoge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) dimanche 28 août 2022
Buse variable Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) dimanche 28 août 2022
Buse variable
Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) dimanche 18 septembre 2022
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"Je
suppose
que vous savez où l'automne commence ? Il commence
exactement à 235 pas de l'arbre marqué M 312, j'ai
compté les pas. C'est instantané. Est-ce qu'il y a eu une sorte de mot d'ordre donné, hier soir, pendant que vous tourniez le dos au ciel pour faire votre soupe ? Ce matin, comme vous ouvrez l'œil, vous voyez mon frêne qui s'est planté une aigrette de plumes de perroquet jaune d'or sur le crâne. Le temps de vous occuper du café et de ramasser tout ce qui traîne quand on couche dehors et il ne s'agit déjà plus d'aigrette, mais de tout un casque fait des plumes les plus rares : des rosés, des grises, des rouille. Puis, ce sont des buffleteries, des fourragères, des épaulettes, des devantiers, des cuirasses qu'il se pend et qu'il se plaque partout ; et tout ça est fait de ce que le monde a de plus rutilant et de plus vermeil. Enfin, le voilà dans ses armures et fanfreluches complètes de prêtre-guerrier qui frottaille de petites crécelles de bois sec. M
312 n'est pas en reste. Lui, ce sont des aumusses
qu'il se met; des soutanes de miel, des jupons
d'évêques, des étoles couvertes de blasons et de rois
de cartes. Les mélèzes se couvrent de capuchons et de
limousines en peaux de marmottes, les érables se
guêtrent de houseaux rouges, enfilent des pantalons de
zouaves, s'enveloppent de capes de bourreaux, se
coiffent du béret des Borgia. Le temps de les voir
faire et déjà les prairies à chamois bleuissent de
colchiques. Quand, en retournant, vous arrivez
au-dessus du col La Croix, c'est d'abord pour vous
trouver en face du premier coucher de soleil de la
saison : du bariolage barbare des murs; puis, vous
voyez en bas cette conque d'herbe qui n'était que de
foin lorsque vous êtes passé, il y a deux ou trois
jours, devenue maintenant cratère de bronze
autour duquel montent la
garde les Indiens, les Aztèques, les pétrisseurs de
sang, les batteurs d'or, les mineurs d'ocré, les
papes, les cardinaux, les évêques, les chevaliers de
la forêt ; entremêlant les tiares, les bonnets, les
casques, les jupes, les chairs peintes, les pans
brodés, les feuillages d'automne, des frênes, des
hêtres, des érables, des amélanchiers, des ormes, des
rouvres, des bouleaux, des trembles, des sycomores,
des mélèzes et des sapins dont le vert-noir exalte
toutes les autres couleurs. Le
hêtre
de la scierie n'avait pas encore, certes, l'ampleur
que nous lui voyons. Mais, sa jeunesse (enfin, tout au
moins par rapport avec maintenant) ou plus exactement
son adolescence était d'une carrure et d'une étoffe
qui le mettaient à cent coudées au-dessus de tous les
autres arbres, même de tous les autres arbres réunis.
Son feuillage était d'un dru, d'une épaisseur, d'une
densité de pierre, et sa charpente (dont on ne pouvait
rien voir, tant elle était couverte et recouverte de
rameaux plus opaques les uns que les autres) devait
être d'une force et d'une beauté rares pour porter
avec tant d'élégance tant de poids accumulé. Il était
surtout (à cette époque) pétri d'oiseaux et de mouches
; il contenait autant d'oiseaux et de mouches que de
feuilles. Il était constamment charrue et bouleversé
de corneilles, de corbeaux et d'essaims ; il
éclaboussait à chaque instant des vols de rossignols
et de mésanges ; il fumait de bergeronnettes et
d'abeilles ; il soufflait des faucons et des taons ;
il jonglait avec des balles multicolores de pinsons,
de roitelets, de rouges-gorges, de pluviers et de
guêpes. C'était autour de lui une ronde sans fin
d'oiseaux, de papillons et de mouches dans lesquels le
soleil avait l'air de se décomposer en arcs-en-ciel
comme à travers des jaillissements d'embruns. Et, à
l'automne, avec ses longs poils cramoisis, ses mille
bras entrelacés de serpents verts, ses cent mille
mains de feuillages d'or jouant avec des pompons de
plumes, des lanières d'oiseaux, des poussières de
cristal, il n'était vraiment pas un arbre. Les forêts,
assises sur les gradins des montagnes, finissaient par
le regarder en silence. Il crépitait comme un brasier
; il dansait comme seuls savent danser les êtres
surnaturels, en multipliant son corps autour de son
immobilité ; il ondulait autour de lui-même dans un
entortillement d'écharpes, si frémissant, si mordoré,
si inlassablement repétri par l'ivresse de son corps
qu'on ne pouvait plus savoir s'il était enraciné par
l'encramponnement de prodigieuses racines ou par la
vitesse miraculeuse de la pointe de toupie sur
laquelle reposent les dieux. Les forêts, assises sur
les gradins de l'amphithéâtre des montagnes, dans leur
grande toilette sacerdotale, n'osaient plus bouger.
Cette virtuosité de beauté hypnotisait comme l'œil des
serpents ou le sang des oies sauvages sur la neige.
Et, tout le long des routes qui montaient ou
descendaient vers elle, s'alignait la procession des
érables ensanglantés comme des bouchers..."
Jean GIONO - Un roi
sans divertissement
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