Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°834 (2022-34)
mardi
30 août 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Ce Hérisson vient régulièrement dans la maison ! Il passe par les chatières... et vient manger les croquettes de Gabo ! images du jeudi 25 août 2022 |
Dans la brume La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 21 août 2022 <image prise avec le Samsung A50 au 16/9ème> La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 21 août 2022 La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 21 août 2022
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 21 août 2022 La brume se lève La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 21 août 2022 Fata morgana La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 21 août 2022 <image prise avec le Samsung A50 au 16/9ème>
dimanche 21 août 2022
Portrait d'un
Eterlou La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 21 août 2022
Les Gentianes et le château de Joux La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 21 août 2022 <image prise avec le Samsung A50 au 16/9ème>
La Cluse et
Mijoux (Haut-Doubs)
dimanche 21 août 2022 <image prise avec le Samsung A50 au 16/9ème> <image prise avec le Samsung A50 au 16/9ème>
Eterlou dans l'ombre
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 21 août 2022
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" I « Cela avait dû se passer au Trestoulas, champ maigre perdu dans les collines. Là-dessus tout le monde tombait d'accord, aussi bien Joubargue, le maire, que l'abbé Chénevotte. Mais personne ne savait quoi, ni l'abbé ni le maire. Et cependant il s'était passé quelque chose. Le village était sens dessus dessous, et Charles Matouret n'en finissait plus de répondre aux questions des uns et des autres. Mais Charles Matouret lui-même n'y comprenait rien. – Un homme si sensé ! s'écriait-il. Et il se tapait sur les cuisses. Derrière lui, son frère jumeau, Adrien, qui lui ressemblait à faire peur, hochait la tête, une vilaine tête en coup de sabre. – Encore si c'était un vaurien, un vagant, continuait-il, mais un Clapu ! Il n'y a rien de plus sûr qu'un Clapu, voyons !... Nous faire ça !... – Nous faire ça ! murmurait Adrien, navré. La salle du café Bertugat regorgeait de curieux aux grosses têtes un peu rouges. J'étais installé dans un coin où il faisait sombre. Bertugat avait allumé au plafond une lampe à pétrole qui brûlait au milieu d'un nuage de fumée. Il y avait là au moins vingt pipes : tuyaux brefs, culots noirs, fins roseaux et de petites têtes de plâtre. Ça puait le tabac, l'anisette, la grenadine et le vieux champoreau. Au plafond, des guirlandes en papier, criblées de chiures de mouches, et, sur le comptoir, à côté d'un bocal de dragées roses, vertes, argent, la bouteille d'eau de Seltz. – Et dire, poursuivait Matouret, que je l'avais rencontré à deux heures, d'accord, solide !... Et il m'a crié lui-même, en partant : « A tout à l'heure, Charles ! » Lui-même !... Est-ce que vous y comprenez quelque chose, vous ? Il s'adressait à tout le monde. – Hé ! du moment que tu n'y comprends rien, toi... soupira Agricol Brancassu, le menuisier. Agricol Brancassu étalait un énorme ventre. – Adrien était avec moi, gémissait Charles ; il peut vous raconter... Adrien approuvait de la tête. – Et même que je lui ai dit, moi, à Clapu : « Félicien, où tu vas avec ta pioche ? » Vous la connaissez sa grande pioche. C'est une pioche comme personne n'en a jamais porté contre la terre, du moins ici, à Peypin-d'Aygues ; une pioche à déterrer le diable ; deux grandes dents luisantes d'un côté et, de l'autre, un morceau d'acier à vous couper le pied comme une carotte... Et je lui ai dit ça. Alors il a réfléchi, puis il m'a dit : « Je monte un peu là-haut. – Où, là-haut ? – Hé ! au Trestoulas ! » J'ai manqué de rire : « Au Trestoulas ! par cette chaleur, Félicien ? Et tu sais bien, brigand, qu'il n'y pousse que des cailloux, au Trestoulas ; et pourtant tu me le vends bougrement cher, ce Trestoulas ! » Il m'a dit : « J'y vais tout de même. » Il faisait une drôle de tête. J'ai pensé : ça c'est tout Clapu. Il n'y a que Clapu pour dire ça : « Je veux le revoir une dernière fois, mon Trestoulas. Ça me fend le cœur de m'en séparer. Après je n'y foutrai plus les pieds, au Trestoulas ». Et pour sûr, ça lui faisait quelque chose. Mais tout ça, il ne l'a pas dit. Il m'a tourné le dos tranquillement et il est parti du côté du Trestoulas avec sa pioche. Baumelu, le charron, entra en compagnie de Granissou, le tondeur de chiens. On leur fit signe de se taire. Matouret reprit : – A quatre heures, comme convenu, je frappe chez M. Glat. M. Glat avait préparé le pastis et il était là, avec Granju, en train de fumer une pipe. « L'acte est prêt, qu'il me dit. Asseyez-vous. Clapu ne tardera guère. Il n'y a pas plus exact que Clapu. » On bavarde. Ça fait bien passer un gros quart d'heure. Pas de Clapu. On se remet à bavarder. Au bout d'un moment M. Glat regarde la pendule : « Ah ! ça, mais ce sacré Clapu, il nous fait attendre. Quatre heures et demie. Tu devrais aller voir, Matouret. Il a peut-être oublié, après tout. » Moi, je cours jusqu'à la Jassine. A la Jassine, pas un merle. J'appelle : « Clapu ! Félicien ! Cherli ! » Je pouvais appeler, va ! Je reviens au galop. « Hé bien ? » me demande M. Glat. Je lui raconte. Alors il me dit : « J'y vais, moi. Tu viens, Granju ? » Et voilà Granju qui se lève, et nous partons, tous les quatre, avec Adrien. Cette fois, à la Jassine, on trouve la Cherli, assise au bord du puits, près du chemin, à ne rien fiche, pour changer. Ça a quinze ans, le museau noir, et c'est insolent comme un fifre. Je lui dis : « On cherche Clapu. Tu sais où il est, toi ? – Clapu, qu'elle répond, vous le trouverez dans la cuisine. » Et toujours assise, naturellement, même devant M. Glat. Enfin !... On va à la cuisine. A peine entrés, on a vu, tous les quatre, qu'il s'était passé quelque chose. Clapu se tenait au milieu de la pièce, les mains dans les poches. Il nous a regardés venir sans dire un mot. M. Glat lui a demandé : « Alors, tu as oublié ? » Clapu a secoué la tête, et il a regardé d'abord M. Glat un bon moment, puis moi, puis Adrien, et même Granju, je crois. Il avait un drôle d'air. Jamais je ne lui ai vu des yeux comme ça. Après sans se presser, il a répondu : « M. Glat, vous pouvez dire à Matouret que je ne lui vends plus le Trestoulas. » Matouret se tut. Personne ne soufflait mot. On voyait vingt têtes immobiles et leurs grandes oreilles qui attendaient. Matouret gardant le silence, Agricol lui demanda : – Et toi, tu n'as rien dit ? Il t'a pas expliqué, à toi ? Matouret fit signe que non. – Et M. Glat ? – M. Glat s'est mis en colère : « Comment toi, Clapu, manquer de parole ? Et pourtant tu l'as assez lanterné, ce pauvre Matouret, depuis dix ans que ça dure, avec cette histoire de Trestoulas ! Clapu, si tu fais ça, je ne te serre plus la main. » Moi, je m'attendais à voir Clapu faire un malheur. Vous le connaissez, Clapu. Jamais personne ne lui a parlé comme ça. Hé bien, non ! Il est resté là sans bouger, ses deux mains dans les poches. Il n'entendait rien, rien. Et avec ça, un air buté de vieille mule. Il n'y a pas eu moyen d'en tirer ça. Il n'a pas même ouvert la bouche. Il regardait par la porte, dehors, au diable, comme si on n'avait pas existé. Alors que faire, dites ?... On est parti. Matouret baissa la tête. Dans la salle, tout le monde se taisait. Je compris que le manque de parole de Clapu bouleversait ces hommes. Un caprice ? Non. On ne pouvait guère imaginer Clapu cédant à un caprice. Clapu, un roc, une borne... Il ne serait venu à personne l'idée de le juger. Et cependant on aurait pu expliquer son acte de vingt façons, toutes malveillantes. Mais nul ne paraissait y penser. – Pour que Clapu ait fait ça, finit par déclarer Agricol, il faut qu'il ne soit plus Clapu. Et dans le brouhaha cette opinion du gros menuisier devint l'opinion générale. Mais, je le sentais bien, elle ne satisfaisait personne, car elle n'expliquait pas ce Clapu imprévu sorti du Clapu habituel. Et tout le monde, sans le dire, pensait au Trestoulas. Le Trestoulas, à peine un hectare de cailloux et de ronces... Je sortis du café..."
Henri BOSCO - Le
Trestoulas
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