Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°832 (2022-32)
mardi
16 août 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Pigeon ramier adulte, dans l'ombre Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) samedi 16 juillet 2022 samedi 16 juillet 2022 Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) samedi 16 juillet 2022
sur la "pierre à sel" Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) samedi 16 juillet 2022
Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) samedi 16 juillet 2022 Pigeons ramiers
adultes (2), dans l'ombre
Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) dimanche 17 juillet 2022
Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) dimanche 17 juillet 2022 Corneille noire adulte... suivie par deux jeunes ! Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) dimanche 17 juillet 2022
Etourneau sansonnet juvénile Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) dimanche 17 juillet 2022 Chardonneret
élégant juvénile (dans l'ombre)
Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) lundi 18 juillet 2022 Pigeon ramier adulte Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) mardi 19 juillet 2022 Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) mardi 19 juillet 2022 <image recadrée>
Pigeon ramier adulte (flou !) Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) jeudi 21 juillet 2022
Pigeon ramier adulte Mésange bleue juvénile Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) vendredi 22 juillet 2022
Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) mercredi 27 juillet 2022
Chardonneret élégant
juvénile
Pigeon ramier
juvénile
Loge n°5, Courvières (Haut-Doubs) dimanche 31 juillet 2022 Famille d'étourneaux
sansonnets
Mésange bleue
juvénile Corneille noire
adulte,
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L'enfant aurait pu être une fée, presque invisible tant son visage était pâle, dans un sweat à capuche et un pantalon qui se fondaient au cœur des bois crépusculaires. Pieds nus. Debout, un bras enlacé autour du tronc d'un pacanier, elle ne bougea pas quand la voiture écrasa le gravier de la route pour s'immobiliser quelques mètres plus loin. Jo coupa le moteur et s’arracha à la contemplation de la fillette, le temps de récupérer ses jumelles, son sac, et ses fiches de recensement sur le siège passager. Peut-être que la gamine aurait regagné le royaume des fées pendant qu’elle avait le dos tourné. Mais elle était toujours là au moment où Jo s’extirpa de l’habitacle.
Les chaussures de randonnée de Jo semaient des miettes de boue séchée sur le béton du sentier.
L’enfant ne répondit pas.
Jo poussa le battant de la moustiquaire qui protégeait la véranda.
Elle appuya sur l’interrupteur de l’ampoule anti-insectes et déverrouilla la porte de la maison. Une fois à l’intérieur, elle alluma une lampe et ferma aussitôt le loquet derrière elle. La gamine ne devait pas avoir plus de neuf ans, mais ça ne faisait pas d’elle un ange. Quinze minutes plus tard, douchée, habillée d’un T-shirt, pantalon de sport, et claquettes, Jo alluma les lumières de la cuisine, attirant une nuée d’insectes silencieuse contre la vitre noire. Alors qu’elle sortait les ustensiles pour le gril, son esprit divagua vers la fillette sous le pacanier. La gamine aurait probablement trop peur de la forêt, la nuit, pour s’attarder dans les parages. Elle devait être rentrée chez elle, maintenant. Jo apporta un blanc de poulet mariné et trois brochettes de légumes dehors, près du brasero creusé dans un lopin de mauvaises herbes entre la maison et le pâturage qui s’étirait sous le clair de lune. Kinney Cottage, qu’elle louait temporairement, était une construction au bardage en bois jaune datant des années 1940, perchée sur une colline. À l’arrière, son terrain s’ouvrait sur une petite prairie que le propriétaire brûlait régulièrement pour empêcher la forêt environnante de la grignoter. Jo alluma un feu au centre du cercle de pierres, et posa la grille par-dessus. Alors qu’elle déposait le poulet et les brochettes sur les flammes, elle se raidit, percevant une silhouette sombre à l’angle de la maison. La fillette. Celle-ci s’arrêta à quelques mètres du brasier pour observer Jo qui disposait la dernière brochette sur le gril.
Jo choisit un des quatre fauteuils de jardin en bois délabrés et s’y installa.
Si elle était là pour chaparder à manger, elle allait vite déchanter devant les placards vides d’une biologiste qui n’avait que très peu de temps à consacrer aux courses, songea Jo. La fillette parlait avec l’accent traînant des campagnes du coin, et vu ses pieds nus, elle ne devait pas venir de bien loin. Elle pouvait donc parfaitement dîner chez elle. La petite approcha encore. Le feu colorait ses pommettes et ses cheveux blond cendré, mais pas ses yeux, deux trous noirs hypnotiques comme ceux des enfants substitués par les fées.
La fillette fit un autre pas en avant.
Jo ne connaissait pas grand-chose aux étoiles, mais le nom avait tout l’air d’une élucubration puérile.
Elle était maintenant assez proche pour que Jo puisse voir ses yeux, dans lesquels brillait un éclat d’intelligence dont la ruse contrastait avec l’extrême jeunesse de son visage. Jo y lut un signe que l’enfant se jouait d’elle.
Si elle rentre chez elle, ses parents vont avoir peur. Une histoire de zombie. Rien de très original. Mais la gamine s’était trompée de maison si elle comptait l’entraîner dans ses délires paranormaux. Jo n’avait jamais été douée avec les enfants, ni pour jouer à faire semblant, même quand elle en avait l’âge. Les parents de Jo, tous deux chercheurs, disaient souvent qu’elle devait son sérieux à sa double dose de gènes analytiques. Ils racontaient avec humour qu’elle était venue au monde la mine concentrée, comme formulant déjà des hypothèses sur où elle se trouvait et qui étaient toutes ces personnes en salle d’accouchement. L’extraterrestre dans un corps d’humaine la regarda retourner le blanc de poulet.
Jo était trop fatiguée pour ce genre de manigances. Levée à quatre heures du matin, elle arpentait champs et forêt sous la chaleur étouffante et humide depuis plus de treize heures. Cette routine occupait presque toutes ses journées depuis des semaines, et les quelques heures qu’elle avait pour se détendre le soir au cottage étaient cruciales.
La fillette croisa les bras sur son buste frêle.
La fillette resserra ses bras sur son buste, mais ne dit rien. Jo estima qu’elle avait besoin d’une piqûre de rappel pour la ramener à la réalité.
Le jeune chien qui réclamait à manger près du brasero de Jo depuis quelques jours apparut à la lisière de la lumière projetée par les flammes. La petite fille s’accroupit et tendit la main, l’attirant d’une voix chantante pour le convaincre de se laisser cajoler.
La fillette s’aventura à l’orée de la prairie, leva le nez et les bras vers le ciel étoilé, et entonna un charabia censé passer pour un langage extraterrestre. Les mots coulaient comme une langue étrangère maîtrisée, et quand elle eut terminé, elle se tourna vers Jo avec une moue suffisante, les mains sur les hanches.
La petite s’assit sur le fauteuil de jardin en bois à côté de Jo. Le blanc de poulet mariné crépitait sur les flammes, parfumant l’air de son délicieux fumet. La gamine le regardait, et sa faim n’avait rien d’imaginaire. Peut-être que sa famille n’avait pas de quoi la nourrir. Jo s’étonna de ne pas l’avoir envisagé plus tôt.
Jo poussa le blanc de poulet sur le côté le moins ardent du feu, avant d’aller chercher un steak surgelé, des condiments, et un pain brioché. Elle se souvint qu’une dernière tranche de cheddar traînait au frigo, et l’ajouta à l’assiette de la gamine. Elle en avait probablement davantage besoin qu’elle. Jo retourna dans le jardin, posa le steak de dinde sur le gril, et le reste sur la chaise vide à côté d’elle.
Jo avait enfin une excuse pour ouvrir le paquet qu’elle avait acheté sur un coup de tête en emménageant au cottage. Autant les consommer avant qu’ils ne se dessèchent. Elle récupéra le sachet dans le placard de la cuisine et le laissa tomber sur les genoux de l’alien.
L’extraterrestre trouva une
branche fine et se rassit sur sa chaise longue pour couver
les précieux bonbons sur ses cuisses, ses yeux noirs rivés
sur le steak qui cuisait. Jo fit griller le pain brioché et
composa une assiette de brochettes de pommes de terre
rissolées, de brocolis, et de champignons à côté du
cheeseburger. Elle alla chercher deux verres..."
Glendy VANDERAH - Là
où les arbres rencontrent les étoiles
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