Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°831 (2022-31)
mardi
9 août 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre :
[ici]
ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement,
cliquez [ici]
Pour regarder et écouter,
|
Visiteuse clandestine à la "Margotte" ! Une hermine ! Est-elle venue profiter de la fraîcheur de l'endroit (18°c, en pleine journée) vendredi 5 août 2022 Courvières (Haut-Doubs) Si vous voulez visiter officiellement la "Margotte", n'hésitez pas à prendre rendez-vous ! Merci |
Marguerite et rosée Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) dimanche 3 juillet 2022 Gesse de Bauhin Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) dimanche 3 juillet 2022 Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) dimanche 3 juillet 2022
Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) dimanche 17 juillet 2022 Ail potager - Allium
oleraceum
SylvaineLoge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) dimanche 17 juillet 2022 Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) dimanche 17 juillet 2022
Grand Nacré - Argynnis
aglaja
Chardon décapité - Carduus
defloratusLoge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) lundi 18 juillet 2022 Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) lundi 18 juillet 2022
<image recadrée>
Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) mardi 19 juillet 2022 Pour lire un article de "Radio-Canada" (un autre papillon migrateur, le Monarque, vit en Amérique du Nord...), cliquez [ici] <image recadrée>
Loge n° 5 - Courvières (Haut-Doubs) jeudi 28 juillet 2022
|
|
mardi 3
novembre 2020 |
" 1 Jojo
J'aime bien penser que je sais ce que c'est, la mort. J'aime bien penser que c'est un truc que je peux regarder en face. Quand Papy me dit qu'il a besoin d'aide et que je vois le couteau noir glissé dans sa ceinture, je laisse Mamie dormir sur son lit, ma petite sœur Kayla dormir sur sa couverture par terre, et je sors avec Papy, j'essaye de me tenir droit, les épaules en cintre ; c'est comma ça qu'il marche, Papy. J'essaye de faire mine que c'est normal et que je m'ennuie, histoire que Papy croie que j'ai mérité mes treize ans, histoire qu'il sache que je suis prêt à faire le nécessaire, à séparer les muscles des boyaux, les organes des cavités. Je veux que Papy sache que je peux me salir les mains. Aujourd'hui, c'est mon anniversaire. Je retiens la porte pour l'empêcher de claquer, je l'accompagne dans le montant. Je veux pas que Mamie ou Kayla se réveillent pendant qu'on est dehors. Vaut mieux qu'elles dorment. Vaux mieux que Kayla dorme parce que les nuits où Léonie travaille elle se réveille toutes les heures, elle s'assoit dans son lit et elle crie. Vaux mieux que Mamie dorme parce que la chimio l'a asséchée et creusée pareil que le soleil et l'air font aux chênes d'eau. Papy slalome entre les arbres, droit, mince et brun comme un jeune pin. Il crache dans la terre route et sèche, le vent remue les arbres. Ça caille. C'est un hiver têtu qui refuse de laisser la place au printemps. Le froid reste là comme de l'eau au fond d'une baignoire mal fichue. J'ai oublié mon sweat à capuche par terre dans la chambre de Leonie, là où je dors, et mon tee-shirt est fin mais je ne me frictionne pas les bras. Si je laisse le froid me piquer, je sais que lorsque je verrai la chèvre je flancherai ou je broncherai au moment où Papy lui coupera la gorge. Et Papy le verra, c'est forcé. « Vaut mieux laisser dormir le bébé », dit Papy. C'est Papy qui a construit notre maison, tout en longueur derrière une façade étroite, près de la route, histoire que le reste du terrain puisse rester boisé. Il a installé sa porcherie, l'enclos des chèvres et le poulailler dans des petites clairières au milieu des arbres. Pour arriver aux chèvres on doit passer devant les porcs. La terre est noire et boueuse à cause de la merde, et depuis que Papy m'a fouetté quand j'avais six ans parce que j'étais allé jouer sans chaussures autour des cochons, je ne suis plus jamais retourné pieds nus dans ce coin-là. T'aurais pu choper des vers, il avait dit, Papy. Plus tard ce soir-là, il m'avait raconté des histoires de son enfance avec ses sœurs et ses frères, quand ils jouaient pieds nus parce qu'ils n'avaient qu'une seule paire de chaussures chacun, et réservée à la messe. Ils avaient tous eu des vers, et quand ils allaient aux cabinets dans le jardin ils se les arrachaient du cul. Je ne le dis pas à Papy, mais c'est plus efficace que les coups de fouet. Papy sélectionne le pauvre bouc, lui fait un nœud coulant autour du coup et le pousse hors de l'enclos. Les autres bêlent et bousculent Papy, lui donnent des coups de tête dans les jambes, lèchent son pantalon. « Dégagez ! Dégagez ! » dit Papy en les écartant du pied. Je crois que les chèvres se comprennent entre elles ; je le vois aux bosses qu'elles ont sur le crâne, à leur façon de mordre et de tirer sur le pantalon de Papy. Je crois qu'elles savent ce que ça signifie, la corde au cou. Le bouc blanc avec ses taches noires sur le flanc danse d'une patte sur l'autre, il résiste, comme s'il commençait à flairer ce qui l'attend. Papy le tire en passant devant les porcs, qui se précipitent sur la clôture et grognent de faim, puis jusqu'à la remise, située plus près de la maison. Les feuilles me giflent les épaules, m'égratignent et me griffonnent des lignes blanches sur les bras. « Pourquoi t'as pas mieux débroussaillé que ça, Papy ?
Papy et moi on entre dans le cabanon. Papy attache le bouc à un piquet qu'il a planté dans la terre, et l'animal lui aboie dessus. « Tu connais des gens qui mettent leurs bêtes dehors, toi ? » demande Papy. Et Papy a raison. A Bois, personne ne met ses bêtes dehors dans des champs, ou devant chez lui. Le bouc balance la tête, recule. Essaye de se débarrasser de la corde. Papy l'enjambe et lui glisse un bras sous la mâchoire. « Big Joseph », je dis. En le disant, j'ai envie de regarder à l'extérieur de la remise, derrière moi dans le jour froid et vert vif, mais je me force à fixer Papy, à fixer le bouc avec son cou tendu vers la mort. Papy renifle. Je n'ai pas fait exprès de dire son nom. Big Joseph c'est mon grand-père blanc, Papy c'est mon grand-père noir. Je vis avec lui depuis ma naissance ; mon grand-père blanc, je ne l'ai vu que deux fois. Big Joseph est rond et grand et il ne ressemble pas du tout à Papy. Il ne ressemble même pas à Michael, mon père, qui lui est mince et barbouillé de tatouages. Une collection de souvenirs d'artistes ratés, récoltés à Bois et en mer quand il travaillait au large, et en prison aussi. « Allez, c'est parti », dit Papy. Papy
maîtrise le bouc comme si c'était un homme et les genoux de
la bête
fléchissent. Elle tombe dans la terre museau en avant,
tourne la
tête et du coup elle me regarde pendant que sa joue frotte
contre le
sol, dans la poussière et le sang. Elle me montre son œil
doux mais
je ne me détourne pas, je ne cille pas. Papy tranche. Le
bouc fait
un bruit étonné, un bêlement ravalé par un gargouillement,
et
ensuite il y a du sang et de la boue partout. Les pattes du
bouc
ramollissent et plient, et Papy cesse de lutter. Dans le
même
mouvement il se relève et enroule une corde autour des
chevilles du
bouc, hisse le corps à un crochet fixé à la charpente. Cet
œil :
encore humide. Qui me regarde comme si c'était moi qui lui
avais
coupé le cou, moi qui le saignais, qui lui tartinais du
rouge sur
tout le museau..."
Jesmyn WARD - Le
Chant des revenants
|
|