Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°826 (2022-26)
mardi
28 juin 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Tadorne casarca sur le toit de la ferme Courvières (Haut-Doubs) jeudi 12 mai 2022 Courvières (Haut-Doubs) jeudi 12 mai 2022 Courvières (Haut-Doubs) lundi 16 mai 2022
Courvières (Haut-Doubs) mercredi 18 mai 2022 Tadorne casarca Courvières (Haut-Doubs) mercredi 18 mai 2022
Courvières (Haut-Doubs) samedi 21 mai 2022
Tipule Courvières (Haut-Doubs) samedi 21 mai 2022
Courvières, dans la Margotte (Haut-Doubs) jeudi 2 juin 2022
Tégénaire femelle et le mâle (flou) Courvières, dans la Margotte (Haut-Doubs) jeudi 2 juin 2022
Courvières, dans une chambre (Haut-Doubs) vendredi 3 juin 2022
Coquelicot
Courvières, champ-Margot (Haut-Doubs) samedi 4 juin 2022 Pivoine
Mille-pattes
Courvières, champ-Margot (Haut-Doubs) dimanche 5 juin 2022 |
"Aujourd'hui, dans cette île, s'est produit un miracle. L'été a été précoce. J'ai disposé mon lit près de la piscine et je me suis baigné jusque très tard. Impossible de dormir.Deux à trois minutes à l’air suffisaient à convertir en sueur l’eau qui devait me protéger de l’effroyable touffeur. A l’aube, un phonographe m’a réveillé. Je n’ai pas eu le temps de retourner chercher mes affaires au musée. J’ai fui par les ravins. Je suis dans les basses terres du sud, parmi les plantes aquatiques, exaspéré par les moustiques, avec la mer ou des ruisseaux boueux jusqu’à la ceinture, me rendant compte que j’ai précipité absurdement ma fuite. Je crois que ces gens ne sont pas venus me chercher ; il se peut, même, qu’ils ne m’aient pas vu. Mais je subis mon destin : démuni de tout, je me trouve confiné dans l’endroit le plus étroit, le moins habitable de l’île, dans des marécages que la mer recouvre une fois par semaine. J’écris ces lignes pour laisser un témoignage de l’hostile miracle. Si d’ici quelques jours je ne meurs pas noyé, ou luttant pour ma liberté, j’espère écrire la Défense devant les Survivants et un Eloge de Malthus. J’attaquerai, dans ces pages, les ennemis des forêts et des déserts ; je démontrerai que le monde, avec le perfectionnement de l’appareil policier, des fiches, du journalisme, de la radiotéléphonie, des douanes, rend irréparable toute erreur de la justice, qu’il est un enfer sans issue pour les persécutés. Jusqu’à présent je n’ai rien pu écrire, sinon cette feuille, qu’hier encore je ne prévoyais pas. Que d’occupation dans une île déserte ! Que la dureté du bois est implacable ! Combien plus vaste l’espace que le vol de l’oiseau ! Un Italien, qui vendait des tapis à Calcutta, m’a donné l’idée de venir ici ; il m’a dit (dans sa langue) :
La
nuit
dernière, pour la centième fois, je me suis endormi
dans cette île déserte… Considérant les bâtiments, je
songeais à ce qu’il en avait coûté d’amener cette
pierre de taille, combien il eût été plus facile de
construire un four à briques. Je ne trouvai le sommeil
que fort tard et la musique et les cris m’ont réveillé
à l’aube. La vie de fugitif m’a rendu le sommeil léger
: je suis sûr de n’avoir entendu arriver aucun bateau,
aucun avion, aucun dirigeable. Et pourtant, en un
instant, dans cette lourde nuit d’été, les flancs
broussailleux de la colline se sont couverts de gens
qui dansent, se promènent et se baignent dans la
piscine, comme des estivants installés depuis
longtemps à Los Teques ou à Marienbad..."
Adolfo BIOY CASARES - L'Invention
de Morel
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