Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°824 (2022-24)
mardi
14 juin 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Exposition à la Rivière-Drugeon Maison de l'Environnement C'est un extrait de la "Margotte" ! Samedi 11 juin 2022 Merci aux organisateurs... aux visiteurs (plus d'une centaine !) N'hésitez pas à venir visiter l'ensemble de l'exposition à la "Margotte" ! (visite sur rendez-vous) |
Foulques macroules se défiant Lac de Remoray (Haut-Doubs) vendredi 27 mai 2022
Héronnière Lac de Remoray (Haut-Doubs) vendredi 27 mai 2022 Fuligule milouin mâle Lac de Remoray (Haut-Doubs) vendredi 27 mai 2022
Lac de Remoray (Haut-Doubs) vendredi 27 mai 2022 Grèbe huppé
adulte
Lac de Remoray (Haut-Doubs) vendredi 27 mai 2022 Iris faux-acore Lac de Saint-Point (Haut-Doubs) dimanche 29 mai 2022 Lac de Saint-Point (Haut-Doubs) dimanche 29 mai 2022 Lac de Saint-Point (Haut-Doubs) dimanche 29 mai 2022
Lac de Saint-Point (Haut-Doubs) dimanche 29 mai 2022
Lac de Saint-Point (Haut-Doubs) dimanche 29 mai 2022
Héronnière
Lac de Saint-Point (Haut-Doubs) dimanche 29 mai 2022
Héron en vol |
"CHAPITRE PREMIER
Comment étaient mes compagnons disparus en mer Le 22 février, on nous annonça notre retour en Colombie. Nous étions depuis huit mois aux Etats-Unis, à Mobile dans l'Alabama, où le destroyer Caldas séjournait pour des réparations concernant l'électronique et le matériel de combat. Nous avions reçu pendant toute cette escale forcée une instruction spéciale. Les jours de liberté, nous faisions ce que font tous les marins de la terre : nous allions au cinéma avec notre petite amie et nous nous retrouvions plus tard dans un bar du port, le Joe Palooka, où nous sirotions du whisky en déclenchant de temps en temps une joyeuse bagarre. Ma « fiancée » s'appelait Mary Address et m'avait été présentée six mois plus tôt à Mobile par la campagne d'un autre marin. Bien qu'elle eût une grande facilité pour apprendre l'espagnol, je crois que Mary Address ne sut jamais pourquoi mes amis l'avaient surnommée Maria Direccion. Chaque fois que j'avais quartier libre je l'emmenais au cinéma, encore qu'elle préférât manger des glaces. Je lui parlais dans mon demi-anglais et elle me répondait dans son demi-espagnol, mais nous nous comprenions toujours, devant l'écran ou autour d'une glace. Une seule fois nous n'allâmes pas ensemble au cinéma : le soir où je vis Ouragan sur le Caine avec un groupe de camarades. On leur avait dit que c'était un bon film sur la vie à bord d'un dragueur de mines, ce qui nous avait convaincus d'assister à la projection. Le plus passionnant de l'affaire n'était d'ailleurs pas le dragueur de mines mais la tempête. Nous tombâmes d'accord. Quand la nature se déchaîne pareillement, il n'y a qu'une solution : modifier l'orientation du navire, comme l'avait décidé les mutinés. Jamais aucun d'entre nous n'avait essuyé une telle tempête et celle du film nous impressionna d'autant plus. Comme nous rentrions nous coucher, Diego Velazquez, encore sous le choc, se rappela que dans quelques jours à peine nous serions en mer. « Et s'il nous arrivait un truc comme ça ? », déclara-t-il. J'étais moi aussi fort ébranlé. En huit mois j'avais perdu l'habitude de la mer. Je n'avais pas peur car l'instructeur nous avait appris à nous débrouiller en cas de naufrage. Mais après avoir vu ce soir-là Ouragan sur le Caine je me sentis inquiet et cette inquiétude était anormale. Non qu'à partir de cet instant j'aie pressenti la catastrophe. Mais je reconnais que je n'avais jamais éprouvé autant d'appréhension devant l'imminence d'un voyage. A Bogota, quand je regardais, enfant, les illustrations de mes livres, je n'imaginais pas qu'on pût trouver la mort en naviguant. Je pensais même à la mer avec confiance. Cela faisait presque douze ans que je servais dans la Marine et aucune croisière n'avait particulièrement troublé ma sérénité. Je n'ai pas honte d'avouer qu'un sentiment qu'on pouvait prendre pour de la peur me tourmentait depuis la projection d'Ouragan sur le Caine. Etendu les yeux au plafond sur ma couchette – la plus haute de toutes – je pensais à ma famille et à la traversée qu'il me faudrait effectuer avant d'atteindre Carthagène. Impossible de dormir. Je me tournais et me retournais. La tête sur mes deux paumes, j'entendais le doux clapotis des vagues contre le môle et la respiration paisible des quarante matelots qui dormaient autour de moi. Sous ma couchette, le breveté Luis Rengifo ronflait comme un trombone. A quoi rêvait-il ? Il n'aurait pas dormi aussi tranquillement s'il avait su que huit jours plus tard il ne serait plus qu'un cadavre au fond des eaux. Mon inquiétude persista la semaine entière. Le jour du départ approchait avec une effrayante rapidité et j'essayais de me rassurer en bavardant avec mes compagnons. Le Caldas était prêt à appareiller. Nous parlions avec plus d'insistance de nos familles, de la Colombie et de nos projets une fois de retour au pays. Peu à peu, le bateau se remplissait de nos acquisitions : poste de TSF, réfrigérateurs, machines à laver et appareils de chauffage, principalement. Moi je rapportais une radio. A quelques heures du départ, dans l'incapacité de me débarrasser de mes angoisses, je pris une décision : aussitôt arrivé à Carthagène, je renoncerais à la Marine. Je ne voulais plus m'exposer aux risques de la navigation. Je ne voulais plus m'exposer aux risques de la navigation. Le soir qui précéda notre départ, j'allai prendre congé de Mary. Je pensais lui confier mes craintes et ma résolution, mais finalement je n'en fis rien car je lui promettais de revenir et elle ne m'aurait pas cru si je lui avais dit que j'étais décidé à ne plus naviguer. Le seul à entendre ma confidence fut mon ami intime, le breveté provisoire Ramon Herrera, lequel m'annonça qu'il avait lui aussi choisi d'abandonner la Marine dès qu'il aurait remis les pieds à Carthagène. Partageant toujours nos appréhensions, nous allâmes, Herrera et moi, en compagnie du matelot Diego Velazquez, boire un dernier whisky au Joe Palooka. Nous qui pensions ne boire
qu'un verre nous éclusâmes cinq bouteilles. Les amies que
nous retrouvions presque tous les soirs au bar, ayant eu
vent de notre partance, avaient décidé de se griser pour nos
adieux et de pleurer en témoignage de gratitude. Le chef
d'orchestre, un homme grave qui dissimulait derrière des
lunettes sa bobine de musicien, interpréta en notre honneur
un programme de mambos et de tangos, croyant qu'il
s'agissait de musique colombienne. Nos égéries pleurèrent à
chaudes larmes en lampant du whisky à un dollar cinquante la
bouteille..."
Gabriel GARCIA-MARQUEZ (dit
"Gabo") - Récit d'un naufragé
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