Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°823 (2022-23)
mardi
7 juin 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Chat sauvage Courvières, loge n°5 (Haut-Doubs) dimanche 1er mai 2022 Courvières, loge n°5 (Haut-Doubs) dimanche 1er mai 2022
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Fraisier des boisCourvières, loge n°5 (Haut-Doubs) dimanche 1er mai 2022 Myosotis Courvières, loge n°5 (Haut-Doubs) dimanche 1er mai 2022 Anémone sylvie Courvières, loge n°5 (Haut-Doubs) dimanche 1er mai 2022
Chat sauvage Courvières, loge n°5 (Haut-Doubs) dimanche 8 mai 2022
Renarde
Linotte mélodieuse Courvières, loge n°5 (Haut-Doubs) dimanche 8 mai 2022
Courvières, loge n°5 (Haut-Doubs) dimanche 8 mai 2022
Rougequeue noir mâle
Courvières, loge n°5 (Haut-Doubs) jeudi 12 mai 2022
Courvières, loge n°5 (Haut-Doubs) vendredi 13 mai 2022 |
" LOUP BRUN
Elle était restée en arrière à mettre ses caoutchoucs, à cause de l'herbe chargée de rosée, et lorsqu'elle sortit de la maison, elle trouva son mari absorbé d'admiration devant un bourgeon d'amandier qui s'ouvrait. Elle promena un regard chercheur au-dessus de l'herbe haute et parmi les arbres du verger. « Où est Loup ? Demanda-t-elle.
Irvine mit entre ses lèvres le petit doigt de chacune de ses mains et en fit sortir un coup de sifflet aigu. Elle se boucha les oreilles en hâte et fit une grimace. « Pour un poète délicat, vous savez faire des bruits horribles. Mes tympans sont crevés ; vous sifflez mieux que...
« Je ne suis pas un chanteur de grenier, ni un poète de salon. Pourquoi ? Parce que je suis pratique. Mon chant n'est pas si misérable qu'il ne se puisse changer, selon sa propre valeur, en un cottage couvert de fleurs, en un joli pré au pied de la montagne, en un bosquet de bois rouges, un verger de trente-sept arbres, une longue rangée de mûriers et deux petits rangs de fraises, sans compter un quart de mille d'un ruisseau chantant. Je suis un marchand de beauté, un vendeur de chansons, et je poursuis l'utile, ma chère Madge. Je chante une chanson, et grâce aux éditeurs de magazines, je transmute mon chant en un souffle de vent d'Ouest qui soupire parmi nos bois rouges ; en un murmure d'eaux sur les pierres moussues. Tout cela me chante en retour une autre chanson qui est cependant la même, admirablement... transmutée.
Sur la pente boisée de la colline, on entendit le craquement des broussailles, puis, à quarante pieds au-dessus d'eux, sur le bord d'un mur de roc, apparut la tête et les épaules d'un loup. Ses pattes de devant qui se cramponnaient firent tomber un caillou ; les oreilles dressées et les yeux attentifs, il suivit le caillou qui roula jusqu'à leurs pieds. Puis son regard se déplaça et la gueule ouverte, il rit en les regardant. « O Loup, cher Loup ! » lui crièrent l'homme et la femme. A ce son, les oreilles se raplatirent et se couchèrent en arrière, et la tête parut s'allonger sous les caresses d'une main invisible. Ils le regardèrent ramper à reculons dans le fourré puis continuèrent leur marche. Quelques minutes après, à un endroit où la pente était moins précipitée, il les rejoignit à un tournant du sentier, au milieu d'une petite avalanche de cailloux et de terre. Il n'était pas démonstratif. L'homme lui donna une tape et le frotta derrière les oreilles, la femme le caressa plus longtemps, après quoi il marcha devant eux sur le sentier, glissant sans effort sur le sol en vrai loup qu'il était. Sa taille, son pelage et sa queue étaient d'un grand loup des bois, mais sa couleur et ses taches l'empêchaient de prétendre être un loup : là, le chien se montrait sans qu'on pût s'y tromper. Aucun loup n'avait ces couleurs. Il était brun, brun foncé, brun rouge, une orgie de bruns. Le dos et les épaules étaient d'un brun chaud qui pâlissait sur les flancs et sous le ventre jusqu'à un jaune qui était terne parce qu'il y restait du brun. Le blanc de la gorge et des pattes, ainsi que les taches au-dessus des yeux étaient sales à cause du brun persistant et ineffaçable, tandis que les yeux eux-mêmes étaient deux topazes, d'or et de brun. L'homme et la femme aimaient beaucoup le chien ; peut-être parce qu'il avait été si difficile de gagner son amitié. Cela n'avait pas été chose aisée, lorsqu'il était arrivé pour la première fois, mystérieusement, on ne savait d'où, à leur petit cottage de montagne. Il avait mal aux pattes et il était affamé ; il avait tué un lapin sous leur fenêtre, et devant leurs yeux, puis il s'était enfui et avait dormi près de la source, au pied des buissons de mûres. Lorsque Walt Irvine alla voir l'intrus, il reçut des grognements pour sa peine, et Madge elle aussi fut mal reçue lorsqu'elle arriva apportant en signe de paix un grand plat de pain et de lait. Il se montra un chien des moins sociables, leur gardant rancune de toutes leurs avances, refusant de se laisser toucher et les menaçant, les crocs à nu et le poil hérissé. Néanmoins il resta, dormant et se reposant près de la source, mangeant la nourriture qu'ils lui avaient apportée et qu'ils avaient posée à une distance prudente. Il avait attendu qu'ils se fussent en allés. Son état misérable explique pourquoi il resta ; et après s'être fortifié, au bout de quelques jours, il disparut. Cela aurait été la fin de l'histoire, en ce qui concerne Irvine et sa femme, si Irvine à ce moment même n'avait été appelé dans le nord de l'Etat. Dans le train, près de la limite qui sépare la Caroline de l'Orégon, il regarda par hasard par la fenêtre et vit son hôte peu sociable trottant sur la route, brun et avec son allure de loup, fatigué et pourtant infatigable, couvert de poussière et sali par une course de deux cents milles. Irvine était un homme
d'impulsion, un poète. Il descendit du train à la station
suivante, acheta chez un boucher un morceau de viande et
attrapa le vagabond à l'entrée de la ville. Le voyage du
retour fut accompli dans le fourgon des bagages, et ainsi
Wolf arriva pour la seconde fois au cottage de la montagne.
Là, on l'enchaîna pendant une semaine ; l'homme et la
femme le comblèrent d'amitiés. Se tenant à distance,
étranger comme un voyageur d'une autre planète, il grogna à
leurs paroles douces. Jamais il n'aboyait. Tout le temps
qu'ils l'eurent auprès d'eux, ils ne l'entendirent jamais
aboyer..."
Jack LONDON - L'Amour
de la vie
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