Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°820 (2022-20)
mardi
17 mai 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Anémone sylvie Champ-Pittet (Suisse) samedi 26 mars 2022 Champ-Pittet (Suisse) samedi 26 mars 2022 Champ-Pittet (Suisse) samedi 26 mars 2022
Champ-Pittet (Suisse) samedi 26 mars 2022
Parade nuptiale de
Grèbe huppé
Parade nuptiale de
Grèbe huppéla "danse de pingouin" Le sentier (Suisse) samedi 26 mars 2022 Le sentier (Suisse) samedi 26 mars 2022
Bouverans (Haut-Doubs) dimanche 10 avril 2022 Héron cendré Bouverans (Haut-Doubs) dimanche 10 avril 2022
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 16 avril 2022
Héron cendré Vuillecin (Haut-Doubs) jeudi 28 avril 2022 Héron cendré La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 30 avril 2022
Vuillecin (Haut-Doubs) dimanche 1er mai 2022
Canard colvert :
repos |
" « L'eau est la force motrice de toute la nature. » Léonard de Vinci
Les savants de chez vous disent qu'à l'origine il n'y avait sur Terre qu'une vaste étendue d'eau appelée océan Primitif. L'eau formait alors une sphère parfaite que rien ne venait troubler. Puis il y eut les continents, les plaines et les volcans. Les lacs, les rivières et les champs. De l'océan Primitif, quelque chose naquit. Il y eut des animaux sauvages, les hommes et leurs villages, et bientôt tout ou presque sur Terre fut recouvert. Depuis cette montagne, à plus de mille mètres d'altitude, seuls les sommets verdoyant des monts Wudang séparent le ciel et la terre. La roche nous domine, dans toute sa splendeur. N'est-il pas amusant de penser que nous sommes pourtant assis au milieu de cet océan ? Fermez les yeux un instant et tendez l'oreille, vous l'entendez. Inspirez profondément, vous sentirez son sel. Regardez à présent l'horizon, et il apparaîtra. Quelle lubie s'est donc emparée de ce vieux fou, qui sur les hauteurs du pays du Milieu, entouré de pierres battues par la mousson, se pense au milieu de l'océan ? Est-ce donc pour l'entendre ainsi divaguer que je suis venue de si loin, voilà ce que vous devez penser ! Vous vous moquez sans doute de ce vieillard qui, ayant pris racine dans la terre de Chine, vous parle de ces mers invisibles, quand tout ce que vous voudriez entendre, c'est une parole de sagesse à rapporter chez vous comme un souvenir, la formule magique pour une vie heureuse. Je
ne peux vous blâmer. Bien des Occidentaux arrivant ici
posent sur
moi le même regard que vous. Ils portent en eux le poids de
tant de
questions dont ils voudraient être soulagés, et
s'impatientent de
ne pas trouver dans l'instant les réponses qu'ils sont venus
chercher. On n'entreprend pas un si grand voyage si l'on n'a
as au
fond de soi une énigme à percer. Mais la plupart d'entre eux
ne
veulent par réellement m'écouter, ils veulent être confortés
dans
leurs certitudes. Et vous, qu'êtes-vous venue
chercher ? Avez-vous déjà regardé la mer ? Vous êtes-vous confrontée à ses flots ? Imaginez la sagesse accumulée par l'océan depuis la millions d'années qu'il nous observe. Et si je vous disais maintenant que l'océan Primitif recèle un secret, la clef de voûte qui lie toutes vos questions ? Je ne peux vous la révéler si facilement, l'océan ne parle qu'à ceux qui savent se taire. Et cela n'est guère le point fort des fils de l'Occident. Il reste muet face à l'homme de passage, celui qui ne lui prouve pas sa fidélité. Mais celui qui a su l'écouter et déchiffrer son langage est libéré de la cause de sa souffrance. Celui auquel il confie son secret devient sage. Comment le sais-je ? Lorsque je suis arrivé sur le mont Sacré, j'avais comme vous le besoin indicible de comprendre, l'envie de toucher du doigt quelque chose de plus grand que ce que la vie m'offrait. Ma famille nourrissait une grande défiance envers les livres, je ne savais pas lire et jamais je n'avais ouvert un atlas quand je fus intégré comme disciple au sein du temple. Jamais alors je n'aurais pensé en devenir le Maître. Il est contraire à ma culture de parler de soi, de se mettre en avant. Nous ne cultivons point la vanité. Mais tout homme doit, à un moment de sa vie, faire le récit de ce qui lui est arrivé, afin de savoir qui il est. Et si mon exemple peut éclairer votre chemin, alors mon existence n'aura pas été vaine. Je suis né l'année du Cheval, le jour de la fête des lanternes, la deuxième année du soixante-dix-huitième cycle sexagésimal, dans la province de Hubei. Mon pays était encore, hélas, un des plus pauvres du monde. Nous ne manquions pas de courage aux champs, mais la guerre venait moissonner chaque génération qui poussait, et rendait à la Terre les hommes à peine nés. Assise
sur une charrette tirée par mon grand-père, tenant mon oncle
d'à
peine deux ans dans les bras, ma grand-mère avait ressenti
les
premières douleurs de l'enfantement, tandis qu'ils
traversaient un
pont suspendu aux planches de bois vermoulu, cherchant à
fuir les
combats de la guerre civile, et le village qui avait été
pillé
puis bombardé. Mon grand-père, qui travaillait le bois,
était sage
de chez mains, mais dépourvu de connaissances médicales
élémentaires. Il avait arrêté sa charrette au beau milieu du
pont, craquelant sous le poids de l'exode, et avait cherché
parmi la
foule une sage-femme qui pourrait l'aider, tandis que ma
grand-mère
se retenait de crier. Lorsqu'il était revenu, il l'avait
trouvée
inanimée, avec, posée sur son ventre, ma mère, les yeux
encore
fermés. La sage-femme n'avait pu que constater le décès ; le cœur de la pauvresse, déjà épuisé, n'avait pas supporté l'accouchement. Elle coupa le cordon qui reliait la vie et la mort, et déposa l'enfant dans les bras de mon grand-père, qui ne savait que faire. Quelle
double malédiction que cette naissance-là ! Elle lui
avait
pris son aimée, pour une fille qui, jusqu'à ces noces,
coûterait
plus qu'elle ne rapporterait à la famille. La nourriture et
les
morceaux les plus gras étant réservés aux garçons, mon oncle
poussait gaillardement, tandis qu'on attendait que ma mère,
aussi
chétive que le vent, survive à son troisième anniversaire
pour lui
donner un nom. Alors on l'appela Yunhe, « nuages de
paix »..."
Diane DUCRET - Le
Maître de l'Océan
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