Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°819 (2022-19)
mardi
10 mai 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 20 mars 2022 Scille à deux
feuilles (blanc)
Scille à deux feuilles
(bleu)La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 20 mars 2022 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 20 mars 2022
Bouverans, Entonnoir (Haut-Doubs) dimanche 20 mars 2022 Fleur mâle de Noisetier (chatons) Bouverans, Entonnoir (Haut-Doubs) dimanche 20 mars 2022
Caltha des marais La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) vendredi 25 mars 2022
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Pervenche
Bouverans, Entonnoir (Haut-Doubs) vendredi 25 mars 2022 Mésange charbonnière
Ravitaillement (de l'individu qui couve) La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 30 avril 2022 Grive litorne
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site où faire son nid...
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" Le poste de guet (années 1980)
Les broussailles s'écartèrent et un grizzly brun chocolat fit son apparition dans la clairière. Balançant son énorme tête d'un côté et de l'autre, il enjamba prudemment les troncs d'arbres morts, puis il s'arrêta, l'attitude raide, et leva le nez dans l'air frais du soir, essayant de détecter l'odeur de l'intrus. Il se dressa sur ses pattes de derrière, les mâchoires écartées, et pivota lentement sur lui-même comme s'il dansait. Brusquement, il dévala la pente, s'engouffra dans la vallée et dégringola les troncs abattus aussi aisément que l'aurait fait l'eau cascadant dans les rapides. Ses larges flancs ondulants, il disparut dans la forêt. Je l'observais depuis la crête d'une petite chaîne de montagnes. Ce n'était que le début ; nous étions fin août et dans moins d'une semaine cette région montagneuse du Montana grouillerait de plus de grizzlys que je ne pourrais en compter. Venant du sud-ouest, de gros nuages en forme d'enclume roulaient dans le ciel. Un orage arrivait droit sur moi. Cette crête dénudée était loin d'être l'endroit idéal par un temps pareil. Apercevant un éclair, je comptai les secondes qui le séparait du coup de tonnerre : pas loin de vingt, ce qui signifiait que l'orage était encore à huit kilomètres environ. Pourtant je n'avais aucun moyen de lui échapper, car l'itinéraire sûr le plus proche se trouvait à plus d'une heure de là. Je fourrai mes jumelles et mon carnet de notes dans mon sac en toile et m'éloignai à grands pas, empruntant le sentier qui longeait le haut de la crête. Derrière moi, l'orage grondait. L'écart entre les éclairs et le roulement du tonnerre était maintenant de moins de cinq secondes ; il fallait absolument que je quitte cette épine dorsale sans arbres. Plus loin devant moi, la crête allait buter sur un sommet peu élevé, puis elle descendait vers l'est. Après avoir contourné cette hauteur, je me frayai un passage à travers les fourrés couvrant le flanc de la montagne – un exercice difficile dans cette végétation quasi impénétrable et aussi haute qu'un cerf. Je dévalai la pente raide, en glissant jusqu'à la limite supérieure des sapins subalpins. Une pluie horizontale me fouettait le visage et le cou. Sortant de mon sac un ciré vert, je m'accroupis sous un arbre. La pluie se transforma en grêle. Je frissonnai, mais j'oubliai bien vite le froid lorsqu'un éclair frappa tout près. Si j'étais resté sur la crête, j'aurais été transformé en paratonnerre. Je me fis encore plus petit sous mon arbre, parmi les broussailles. Le tonnerre résonna pendant au moins dix minutes, puis les grondements ralentirent. L'orage s'éloignait, tandis qu'un autre approchait. Trempé jusqu'aux os et gelé, mais toujours déterminé à ne pas suivre la crête, je décidai de continuer mon chemin dans le sous-bois touffu, le long du versant de la montagne, puis de descendre un éperon rocheux menant à un sentier de randonnée qui s'éloignait de là. Les broussailles étaient mouillées, aussi je glissai continuellement dans la pente boueuse. Je m'efforçais pourtant de soutenir l'allure, impatient de retrouver la sécurité toute relative de ce sentier avant la nuit. Je m'arrêtai net – peut-être alerté par une odeur ou un bruit imperceptible. Une bête bougeait dans les fourrés, à une douzaine de mètres devant moi. J'avais peut-être commis une grossière erreur. Malgré le bruissement du sous-bois, je percevais parfaitement la respiration d'un gros animal : j'étais sur le point de cogner à un ours couché, probablement un grizzly. Je me demandais ce qu'il attendait pour charger ou s'enfuir. Je restai trois minutes sans bouger, regardant le vent agiter le fouillis de buissons de sorbiers et d'airelles, cherchant à apercevoir le moindre signe de l'animal que j'entendais si nettement. Le tonnerre gronda au loin, vers l'ouest. J'avais l'estomac noué, mais le sentiment de panique maladive qui s'était emparé de moi à l'idée de tomber sur un grizzly céda la place à une confiance grandissante ; je commençais à comprendre que l'ours n'avait ni peur de moi, ni l'intention de me faire du mal. Cet animal caché dans les fourrés semblait léthargique, comme les grizzlys le sont parfois quand ils se réfugient sur leur couche juste avant de gros orage. Je fis lentement marche arrière et remontai la pente, m'arrêtant toutes les secondes pour tendre l'oreille ; l'ours paraissait maintenant s'éloigner dans la direction opposée. Habituellement, je parle aux grizzlys que je surprends accidentellement, mais avec celui-ci je demeurai silencieux. Nous venions d'affronter un orage et quelques éclairs. Il était préférable de rester calme. Cinq minutes plus tard, de retour sur la crête, je me dirigeai raidement vers le nord, espérant passer en toute sécurité au-dessus du grizzly, dépasser l'endroit où se trouvait sa couche, puis redescendre afin de rejoindre le sentier. Au diable l'orage qui approchait ! Au point où j'en étais, la foudre me préoccupait moins que l'éventualité de tomber sur un autre grizzly. La crête montagneuse montait vers un sommet peu élevé. Changeant de direction, j'entamai ma descente vers le sentier à travers le versant dégagé. Soudain, l'ours sur lequel j'avais failli me cogner – un grizzly de taille moyenne, à la fourrure claire – fit irruption sur la pente. Il me regarda puis, me tournant sur le dos, s'enfuit en bondissant et disparut dans les broussailles. C'était un très bel ours blond, avec les pattes de devant et les oreilles couleur d'encre – rappelant un peu les chats siamois ou les pandas -, comme on en rencontre parfois dans cette partie du Montana, surtout parmi les jeunes animaux. Descendant le plus vite possible, j'atteignis le sentier au moment où la pluie recommençait à tomber. L'ours s'était évanoui dans l'obscurité. Je me mis à courir, faisant confiance à mes pieds pour retrouver le chemin incertain et pourtant familier. Après le dernier tournant, j'aperçus une sorte de pagode rouge toute droite, à deux étages, perchée en haut d'une montagne. Enfin ! Il faisait nuit lorsque j'arrivai en bas du poste de guet. La petite tour d'observation d'où je guettais les feux de forêt était une structure en bois qui avait été construite au début des années 1930, tout de suite après l'incendie de 1929. La pièce carrée de trois mètres cinquante de côté dans laquelle je vivais était vitrée sur les quatre faces et entourée d'une passerelle extérieure juste assez haute pour être hors de portée des grizzlys les plus grands. C'était ma maison d'été – ma seule maison – depuis 1976. Je trébuchai en montant l'escalier dans le noir, heureux de me retrouver chez moi et de vivre de nouveau au milieu des grizzlys. Après avoir ôté mes vêtements humides, j'allumai une lanterne Coleman. Dans un coin, un petit poêle chargé de bois ne demandait qu'à brûler. Craquant une allumette, je fis partir le feu pour réchauffer la pièce. Un éclair illumina le ciel vers le sud. Cette nuit était particulière : les grizzlys avaient commencé à se rassembler dans les fourrés de cette petite chaîne de montagnes, et mon véritable travail était sur le point de démarrer. Dans moins d'une semaine, je fermerais le poste de guet et, après avoir signé le registre de l'administration, je trimbalerais ma vieille caméra dans les montagnes et j'irais passer quelques semaines au Grizzly Hilton pour vivre au milieu des ours et les filmer. Vers la mi-septembre, le Grizzly Noir arriverait et ce serait l'enfer. Il était assez grand, hargneux et assez dominant pour chasser de ces montagnes la plupart des autres ours, et moi avec. Il agressait les animaux par réflexe. C'était l'ours que je préférais, le parangon des grizzlys : une force sauvage, aussi indomptable et récalcitrante que le vent. Entre-temps, j'avais un événement à célébrer. Je tirai de sous mon lit de camp une caisse de rations militaires qui contenait quatre bonnes bouteilles de vin. Je pris celle que je réservais pour fêter le retour des grizzlys : un Les Forts de Latour 1970. Après l'avoir débouchée, je la plaçai non loin du poêle afin de la chambrer lentement - que son bouquet ait le temps de se dilater pendant que je me préparerais un velouté de chanterelles que j'avais ramassées sous les pins lodgepoles lors de ma dernière sortie dans les montagnes. Mon minuscule réfrigérateur à gaz contenait tous les ingrédients nécessaires : ail, échalotes, beurre, citrons et lait en boîte. J'avais du mal à croire que le gouvernement me payait plus de quatre dollars l'heure, huit heure par jour, pour vivre ici. Vers le sud, une nuée d'orage faisait pleuvoir des éclairs sur Teapot Montain. Je notai machinalement sur la carte qui se trouvait au milieu du poste de guet l'endroit où la foudre était tombée. Il était un peu tard dans la saison pour craindre les feux de forêt, d'autant plus que l'année avait été relativement humide. L'orage se dirigeait vers moi, promettant un feu d'artifice éblouissant. Je possédais un magnétophone portable bon marché raccordé par du fil téléphonique à deux séries de piles de qualité inférieure, fixées avec de la bande adhésive sur deux morceaux de manche à balais parallèles - un bloc de batteries qui ne valait pas un clou. Je remplis mon verre de vin et, tout en le humant, j'insérai une cassette dans l'appareil. Les premières mesures d'une suite pour violoncelle de Bach envahirent la minuscule maison de verre. Dehors, les éclairs illuminaient la nuit et une pluie fine ruisselait sur les vitres. La chaleur du vin et celle du feu me montèrent à la tête. Au troisième verre, j'étais un peu étourdi : je tenais mal l'alcool lorsque j'avais l'estomac vide. La musique à pleine puissance était ponctuée par les grondements du tonnerre qui se rapprochaient. Dans ma maison de verre perchée en haut de la montagne, je me prenais pour le capitaine Nemo. Après avoir mélangé la farine et le beurre, j'ajoutai une feuille de laurier et mis le roux dans le four, chauffé à 150°C, pour le laisser épaissir. Le vent soufflait en bourrasques, la lanterne se balançait et la structure en bois tout entière craquait et oscillait. L'arôme des chanterelles sautées embaumait le poste de guet. Je me servis un autre verre de vin. La vie était dure dans les montagnes. Le lendemain matin, je
faisais mes paquets lorsque j'aperçus quelque chose qui
bougeait loin en contrebas, vers l'est. Je sortis sur la
passerelle et braquai mes jumelles sur le versant dénudé -
la végétation avait été détruite par les incendies.
Inquiète, une femelle grizzly à la fourrure brune
accompagnée de deux oursons plus clairs, nés à la fin de
l'hiver, traversait rapidement cet endroit exposé. Les deux
petits avaient du mal à suivre leur mère. Les femelles
accompagnées d'oursons se montrent en général craintives et
très prudentes à l'époque d'un rassemblement. Après l'homme,
les ours plus âgés - surtout les mâles adultes -
représentent la plus grande menace pour les jeunes grizzlys..."
Doug PEACOCK - Mes
années grizzly
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