Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°818 (2022-18)
mardi
3 mai 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Bergeronnette grise Courvières, loge n° 5 (Haut-Doubs) samedi 5 mars 2022 Lièvre Courvières, loge n° 5 (Haut-Doubs) samedi 5 mars 2022 Courvières, loge n° 5 (Haut-Doubs) samedi 5 mars 2022
Lièvre Courvières, loge n° 5 (Haut-Doubs) samedi 5 mars 2022
Courvières, loge n° 5 (Haut-Doubs) samedi 19 mars 2022
Courvières, loge n° 5 (Haut-Doubs) samedi 19 mars 2022
Courvières, loge n° 5 (Haut-Doubs) samedi 19 mars 2022
Rougequeue noir mâle Courvières, loge n° 5 (Haut-Doubs) samedi 16 avril 2022 Geai des chênes Courvières, loge n° 5 (Haut-Doubs) samedi 16 avril 2022
Anémone sylvie
Courvières, loge n° 5 (Haut-Doubs) dimanche 17 avril 2022 Rougequeue noir mâle
Pigeon ramier (2)
Barbarea Courvières, loge n° 5 (Haut-Doubs) vendredi 22 avril 2022
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" 1 J'ai toujours envié la capacité d'oubli de certaines personnes qui ne voient dans le passé qu'un changement de saison ou une paire de vieille chaussures qu'il suffit de remiser au fond d'une armoire pour les rendre incapables de retracer les pas perdus. Pour mon malheur, je me souvenais de tout, et tout se rappelait à moi. Je garde le souvenir d'une petite enfance de froid et de solitude, d'instants morts passés à contempler le gris des jours, et du miroir noir qui ensorcelait le regard de mon père. Impossible de me souvenir du moindre ami. Je peux évoquer le visage de gamins du quartier de la Ribera, avec lesquels je jouais ou je me bagarrais parfois dans la rue, mais il n'y en a aucun que je voudrais sortir du pays de l'indifférence. Aucun, sauf celui de Blanca. Elle avait deux ans de plus que moi. Je la rencontrai un jour d'avril devant l'entrée de ma maison. Elle donnait la main à une domestique qui venait chercher une commande dans une petite librairie de livres anciens située en face du chantier de la salle de concert. Le destin voulut que la librairie n'ouvrit pas ce jour-là avant midi et que la bonne s'y présentât à onze heures et demie, laissant une plage d'attente de trente minutes, un temps qui allait, sans que je le sache, sceller ma destinée. Si ça avait tenu qu'à moi, je n'aurais jamais osé. Sa mise, son parfum et son expression aristocratique de petite fille riche vêtue de soie et de tulle ne laissaient planer aucun doute sur le fait qu'elle n'appartenait pas au même monde que moi, et moi, moins encore au sien. Nous étions séparés par quelques mètres à peine, et des lieues de lois invisibles. Je me contentai de la contempler comme on admire des objets sacrés dans une vitrine ou à la devanture d'un de ces bazars dont les portes paraissent ouvertes mais dont on sait qu'on ne les franchira jamais de sa vie. J'ai souvent pensé que sans l'attention ferme et résolue portée par mon père à mon hygiène personnelle, Blanca n'aurait pas prêté attention à moi. Mon père estimait qu'il avait vu suffisamment de crasse pendant la guerre pour remplir neuf vies, et il m'avait appris depuis tout petit, même si nous étions fauchés comme les blés, à me familiariser avec l'eau glacée qui coulait du robinet de la buanderie quand elle voulait bien, et avec des savons qui sentaient l'eau de javel et arrachaient tout, même les remords. C'est ainsi qu'à mes huit ans juste révolus, moi, David Martin, pauvre diable propre et bien mis, futur prétendant au statut d'homme de lettres de second ordre, je parvins à reprendre mes esprits pour ne pas détourner le regard quand la poupée de bonne famille posa les yeux sur moi et me sourit timidement. Mon père m'avait toujours dit que, dans la vie, il fallait rendre aux gens la monnaie de leur pièce. Il sous-entendait par là, bien évidemment, coups, claques et autres impolitessess, mais moi je décidai de suivre son conseil et de répondre par un sourire, avec un bref hochement du chef comme pourboire. Elle avança lentement et, tout en me détaillant de la tête aux pieds, elle me tendit sa main, dans un geste auquel jamais personne ne m'avait habitué, et elle me dit :
Blanca tendait la main comme les demoiselles dans les comédies de salon, la paume tournée vers le bas, avec la langueur d'une courtisane parisienne. Comme je ne réalisai as que la réponse appropriée était de m'incliner et de frôler de mes lèvres cette main, Blanca la retira et haussa un sourcil.
J'étais en train d'élaborer une saillie emphatique pour compenser ma condition de rustre plébéien par une démonstration d'intelligence et d'esprit capable de sauver la face lorsque la domestique approcha, l'air consterné, et me regarda comme si j'étais un chien enragé et solitaire errant dans la rue. C'était une jeune femme aux traits sévères et aux yeux noirs et profonds qui ne me manifestaient aucune sympathie. Elle prit Blanca par le bras et la tira hors de ma portée.
Je restai pétrifié tandis que la domestique m'observait du coin de l'oeil.
Ce ne fut qu'un instant, un geste que personne n'aurait pu remarquer à part moi, qui l'observais attentivement. Antonia lança un bref regard noir à Blanca, un regard empoisonné de haine qui me glaça le sang et qu'elle s'empressa de dissimuler derrière un sourire résigné, secouant la tête pour ôter toute importance à l'affaire.
Carlos Ruiz ZAFON - La
ville de vapeur
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