Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°809 (2022-09)
mardi
1er mars 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Brume La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 5 février 2022 Renard La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 5 février 2022
Chamois femelle
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 5 février 2022 Genévrier
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 5 février 2022
Chamois femelle au repos La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 5 février 2022
Cabri
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) samedi 5 février 2022
samedi 5 février 2022
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" LA MAISON DE KUKUM
Elles lui ont dit qu'elle n'était la fille de personne et ça aurait dû la rendre triste, mais ce n'était pas la première fois, et après un moment les larmes ne viennent plus. Cette fois-là, elles ne voulaient pas lui laisser la manette du jeu vidéo et une des deux a tiré dessus pour la lui prendre tandis que l'autre la poussait dans le dos. Elle était plus petite qu'elles, mais meilleure pour se battre. Mais si elle leur envoyait un coup de poing, elles hurleraient jusqu'à ce que leur mère arrive et là elle serait vraiment dans le pétrin. Alors elle a laissé tomber la manette, qui a fait boum par terre, et elle est partie. Une des deux a crié « Maman ! », alors elle a accéléré le pas, filant sur le plancher de linoléum, pour atteindre la porte qui menait à l'arrière de la maison. En un éclair. Si vite, super vite. La porte a claqué derrière elle. Elle se dirigeait vers la cabane que le père des deux filles leur avait construite dans un arbre. « Notre cabane », qu'elles disaient, et ça voulait dire que ce n'était pas la sienne. Mais elle pourrait s'y cacher.
La mère, Doreen. Une voix en colère. Et Julie n'avait aucune envie de recevoir une volée. Elle a donc continué son chemin. Passant sous la cabane, elle s'est enfoncée dans les bois, jusqu'à ce que les voix disparaissent. Il y avait des arbres partout autour. Parce qu'on était sur la réserve. « C'est la réserve indienne de ta mère », lui avait dit la travailleuse sociale. Mais Julie avait tenté de lui expliquer que sa mère ne vivait plus là. Elle vivait en ville et c'est en ville qu'elle chercherait Julie. « Est-ce qu'elle est au courant que je suis ici ? » avait demandé Julie, et la dame avait répondu : « Prendrais-tu un bonbon ? » et Julie avait accepté, même si c'était une espèce de pastille dure qui goûtait les Halls, et qui donne des Halls aux enfants ?
Kukum vivait dans la réserve. Julie était allée lui rendre visite une fois, avec sa mère, une excursion d'une journée, et elle s'était tenue debout près de la porte, refusant d'entrer complètement dans la maison, parce qu'il faisait trop chaud et trop noir. Kukum était assise près du mur du salon, le mur tellement rempli de photos qu'on ne voyait même plus la couleur de la peinture. Kukum n'arrêtait pas de dire à Julie de s'approcher.
Quand elle s'était finalement décidée à avancer, à cause de l'insistance de sa mère, sa grand-mère avait pris sa main dans la sienne et s'était mise à la serrer à répétition. Et la mère de Julie avait dit :
Kukum faisait peur, en effet, avec ce tube qui lui rentrait dans le nez et cette bonbonne d'oxygène. Mais elle était gentille.
C'était dans la voiture du copain de sa mère, sur le chemin du retour, et sa mère lui avait répondu :
C'est pour ça qu'elles revenaient en ville. Quand Julie faisait de mauvais rêves, elle reposait la même question à sa mère. Mais celle-ci disait toujours non. Et lorsque la travailleuse sociale l'avait conduite dans la réserve. Julie avait cru qu'elle s'en allait vivre chez Kukum. Mais elle s'était plutôt fait déposer directement chez Paul et Doreen. « Ils ont deux filles, lui avait dit la travailleuse sociale. Et tu vas beaucoup t'amuser. » Julie ne lui avait rien demandé au sujet de Kukum. Kukum habitait à Stone Man. Julie savait à quoi ressemblait la maison. Elle sait probablement même pas que je suis là. Elle a jeté un coup d'oeil aux alentours. Partout autour d'elle, des arbres à l'infini. Des bouleaux maigrichons, aux branches dénudées, parce qu'on était au mois d'octobre. Le sol était jonché de feuilles mortes et humide, et Julie sentait que ses chevilles commencer à se mouiller. Quelle direction prendre ? Pas celle d'où elle arrivait. Droit devant, ça lui semblait un peu trop touffu et impraticable, alors elle a pris à droite parce qu'elle était droitière. On était bien, ici, au milieu de la forêt, le vent était frisquet, mais ça sentait bon la fraîcheur. Les feuilles écrasées crissaient sous ses pieds. Elle sentait ses joues virer au rose. Je fais mon activité physique de la journée. A la télé, ils répétaient tout le temps que les jeunes ne faisaient pas assez d'activité physique. Elle a vu les chevreuils avant de les entendre. Deux chevreuils, juste en face d'elle, entre les troncs d'arbre. Ils la fixaient du regard ; elle les fixait en retour. Ils ont recommencé à brouter, comme s'ils venaient de décider qu'elle n'était pas une menace. Elle voulait qu'ils restent là avec elle, alors elle n'a pas bougé. Elle a cassé un bout de branche et s'est mise à le mâchouiller en les observant. Quand elle a commencé à avoir froid aux pieds, elle a fait quelques pas sur place. Doucement, mais pas assez. Les chevreuils ont relevé la tête vers elle et se sont éloignés d'un bond. -
Non, allez pas par là, leur a-t-elle conseillé en pensant à
la
direction d'où elle venait..."
Dawn DUMONT - Perles
de verre
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