Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°806 (2022-06)

mardi 8 février 2022

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Michel Angelo Falvetti - Il diluvio universale

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Brume et Cygnes

Lac de Saint-Point, Source bleue et Pontarlier (Haut-Doubs)
janvier 2022



Lumière dans les Epicéas
Source bleue (Montperreux, Haut-Doubs)
samedi 1er janvier 2022




Source bleue (Montperreux, Haut-Doubs)
samedi 1er janvier 2022



Joncs
  Lac de Remoray (Haut-Doubs)
samedi 1er janvier 2022

Couple de Cygnes
Saint-Point Lac (Haut-Doubs)
samedi 1er janvier 2022



Toilette
Saint-Point Lac (Haut-Doubs)
samedi 1er janvier 2022

Reflet
Saint-Point Lac (Haut-Doubs)
samedi 1er janvier 2022

Etirement
Saint-Point Lac (Haut-Doubs)
samedi 1er janvier 2022




Saint-Point Lac (Haut-Doubs)
samedi 1er janvier 2022

Foulque macroule
Saint-Point Lac (Haut-Doubs)
samedi 1er janvier 2022



Saint-Point Lac (Haut-Doubs)
samedi 1er janvier 2022



Héron en chasse (campagnol)
Les Granges-Narboz (Haut-Doubs)
dimanche 2 janvier 2022







Héron cendré
Les Granges-Narboz (Haut-Doubs)
dimanche 2 janvier 2022




Suggestion de lecture :

" La chasse au bonheur

Tout le monde chasse au bonheur.

On peut être heureux partout.

Il y a seulement des endroits où il semble qu’on peut l’être plus facilement qu’à d’autres. Cette facilité n’est qu’illusoire : ces endroits soi-disant privilégiés sont généralement beaux, et il est de fait que le bonheur a besoin de beauté, mais il est souvent le produit d’éléments simples. Celui qui n’est pas capable de faire son bonheur avec la simplicité ne réussira que rarement à le faire, et à le faire durable, avec l’extrême beauté.

On entend souvent dire : « Si j’avais ceci, si j’avais cela, je serais heureux », et l’on prend l’habitude de croire que le bonheur réside dans le futur et ne vit qu’en conditions exceptionnelles. Le bonheur habite le présent, et le plus quotidien des présents. Il faut dire : « J’ai ceci, j’ai cela, je suis heureux. » Et même dire : « Malgré ceci et malgré cela, je suis heureux. »

Les éléments du bonheur sont simples, et ils sont gratuits, pour l’essentiel. Ceux qui ne sont pas gratuits finissent par donner une telle somme de bonheurs différents qu’au bout du compte ils peuvent être considérés comme gratuits.

La vie moderne passe pour être peu propice au bonheur. Toutes les vies, qu'elles soient anciennes ou modernes, sont également propices au bonheur. Il n'est pas plus difficile de faire son bonheur aujourd'hui qu'il ne l'était sous Henri II, Jules César ou Virgile. La civilisation a même parfois ajouté la liste des éléments du bonheur. Un des moyens de n'être pas heureux, c'est de croire que les éléments premiers étaient seuls capables de donner le bonheur. Si l'on croit par exemple que l'arc roman était seul capable de savoureuses satisfactions esthétiques, on passera sans les voir devant les admirables réalisations architecturales que la technique a suscitées. Dès qu'une architecture s'est résumée dans son utilité, elle est belle et donne du bonheur (les barrages, la construction extraordinaire de Shell-Berre, le jour, puis la nuit, où elle est comme un palais féerique).

Le bonheur est, pour une part, la multiplication des émotions de la curiosité par la culture. Les grands ensembles architecturaux des siècles passés mariaient la pierre et l'églogue. Il est, certes, toujours possible de venir chercher ce qu'ils proposent et de le faire concourir à la chasse de notre bonheur. De même qu'on peut toujours se servir aux mêmes fins de délices métaphysiques (cathédrales de Paris, de Reims, de Chartes, etc., extérieurs, intérieurs, vitraux), mais les centrales, les gares, les raffineries de pétrole sont autant de véhicules modernes pour les nouvelles grandes évasions.

Il n’est pas de condition humaine, pour humble ou misérable qu’elle soit, qui n’ait quotidiennement la proposition du bonheur : pour l’atteindre, rien n’est nécessaire que soi-même. Ni la Rolls, ni le compte en banque, ni Megève, ni Saint-Tropez ne sont nécessaires. Au lieu de perdre son temps à gagner de l’argent ou telle situation d’où l’on s’imagine qu’on peut atteindre plus aisément les pommes d’or du jardin des Hespérides, il suffit de rester de plain-pied avec les grandes valeurs morales. Il y a un compagnon avec lequel on est tout le temps, c’est soi-même : il faut s’arranger pour que ce soit un compagnon aimable. Qui se méprise ne sera jamais heureux et, cependant, le mépris lui-même est un élément de bonheur : mépris de ce qui est laid, de ce qui est bas, de ce qui est facile, de ce qui est commun, dont on peut sortir quand on veut à l’aide des sens.

Dès que les sens sont suffisamment aiguisés, ils trouvent partout ce qu’il faut pour découper les minces lamelles destinées au microscope du bonheur. Tout est de grande valeur : une foule, un visage, des visages, une démarche, un port de tête, des mains, une main, la solitude, un arbre, des arbres, une lumière, la nuit, des escaliers, des corridors, des bruits de pas, des rues désertes, des fleurs, un fleuve, des plaines, l’eau, le ciel, la terre, le feu, la mer, le battement d’un coeur, la pluie, le vent, le soleil, le chant du monde, le froid, le chaud, boire, manger, dormir, aimer. Haïr est également une source de bonheur, pourvu qu’il ne s’agisse pas d’une haine basse et vulgaire ou méprisable : mais une sainte haine est un brandon de joie. Car le bonheur ne rend pas mou et soumis, comme le croient les impuissants. Il est, au contraire, le constructeur de fortes charpentes, des bonnes révolutions, des progrès de l’âme. Le bonheur est la liberté.

Quand l’homme s’est fait une nature capable de fabriquer le bonheur, il le fabrique quelles que soient les circonstances, comme il fabrique des globules rouges. Dans les conjonctures où le commun des mortels fait son malheur, il y a toujours pour lui une sensation ou un sentiment qui le place dans une situation privilégiée. Pour sordide ou terrible que soit l’événement, il y a toujours dans son sein même, ou dans son alentour, de quoi se mettre en rapport avec les objets du dehors par le moyen des impressions que ces objets font directement sur les sens : si, par extraordinaire, il n’y en a pas, ou si l’adversaire a tout fait pour qu’il n’y en ait pas, reste l’âme et sa richesse.

C’est par l’âme que les rapports de couleur prennent leur saveur. C’est l’âme qui donne aux formes leurs valeurs sensuelles. C’est de l’âme que vient la puissance d’évocation des bruits, et l’architecture des sons. Ce bonheur ne dépend pas du social, mais purement et simplement de l’âme.

La nature est faite pour donner le bonheur aux âmes fortes. La civilisation ne pouvant jamais être contre, ou tout à fait contre, la nature, ne peuvent empêcher le bonheur : au contraire, elles donnent une infinie variété de matières (même quand, par principe, elles ne le veulent pas) qui fait s'épanouir le bonheur dans des quartiers nouveaux. On n'a pas toujours fumé du tabac, on n'a pas toujours bu du café ou du thé, ou du vin. Les joies que procurent les déserts sont essentielles, non moins essentielles sont les joies que procure la ville. La solitude est un bonheur, la compagnie en est un autre.

À mesure que l’habitude du bonheur s’installe, un monde nouveau s’offre à la découverte, qui jamais ne déçoit, qui jamais ne repousse, dans lequel il suffit parfois d’un millimètre ou d’un milligramme pour que la joie éclate. Il ne s’agit plus de tout ployer à soi, il ne s’agit que de se ployer aux choses. Il ne s’agit plus de combattre (et s’il faut continuer à combattre sur un autre plan, on le fait avec d’autant plus d’ardeur), il s’agit d’aller à la découverte, et quand on a les sens organisés en vue de bonheur, les rapports à découvrir se proposent d’eux-mêmes.

L’aventure est alors ouverte de toute part. On n’attend plus rien puisqu’on va au-devant de tout, et on y va volontiers, puisque chaque pas, chaque regard, chaque attention est immédiatement payée d’un or qui ne s’avilit jamais, ne se dépense pas, mais se consume sur place au fur et à mesure, enrichissant le coeur et le flux du sang si bien que, plus la vie s’avance, plus on est doré et habillé, et plus tout ce qu’on touche se change en or.

S’il faut en tout de la mesure, c’est là qu’il la faut surtout : et ne pas croire qu’il soit question de quantités, qu’on ait besoin de Golconde, de Colchide, de Pérou, qu’il soit nécessaire de courir aux confins du monde, ou même de changer de place, que rien ne puisse se faire sans situation, que le bonheur soit l’apanage des premiers numéros. Non : la matière du monde est partout pareille, et c’est d’elle que tout vient. Un bel enterrement n’est jamais beau pour celui qui l’a cherché. Le sage cultive ses sentiments et ses sensations, connaît sur le bout du doigt le catalogue exact de leurs possibilités, et s’applique avec elles à utiliser les ressources du monde sensible. Naviguant à sa propre estime entre le bon et le mauvais, prenant un peu de celui-ci pour donner du sel à celui-là, ou l’inverse, cherchant la perle jusque dans l’huître pourrie, la trouvant toujours, puisqu’elle vient de lui-même, il se fait une belle vie et il en profite..."

Jean GIONO - La chasse au bonheur



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