Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°805 (2022-05)
mardi
1er février 2022
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Mésange bleue Courvières (Haut-Doubs) vendredi 3 décembre 2021 Mésange bleue dans l'ombre Courvières (Haut-Doubs) vendredi 3 décembre 2021 Courvières (Haut-Doubs) vendredi 3 décembre 2021 Courvières (Haut-Doubs) vendredi 3 décembre 2021
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 19 décembre 2021
Courvières (Haut-Doubs) mardi 21 décembre 2021 <image recadrée>
mardi 21 décembre 2021
Courvières (Haut-Doubs) mercredi 22 décembre 2021 Courvières (Haut-Doubs) mercredi 22 décembre 2021
Mésange bleue Mésange charbonnière
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"Durant le reste de l'été, Kya et Tate continuèrent les leçons de lecture dans la hutte abandonnée. Mi-août, ils avaient terminé l'Almanach d'un comté de sables, et même si elle n'était toujours pas capable de lire chaque mot, elle en comprenait la plus grande partie. Aldo Leopold lu apprit que les plaines inondables étaient des extensions vivantes des rivières, et qu'elles pouvaient les reprendre quand elles le voulaient. Toute personne qui vit sur une plaine dépend en fait des caprices d'une rivière. Elle apprit où vont les oies sauvages en hiver, et le sens de leur musique. Les jolis mots que l'auteur employait, presque de la poésie, lui enseignèrent que le limon est plein de vie et constitue l'une des plus grandes richesses de la terre ; que les marais s'assèchent parfois sur des kilomètres, qu'ils tuent les plantes et les animaux quand l'eau se retire. Certaines graines restent dormantes sous le sol desséché pendant des dizaines d'années, elles attendent, et quand l'eau les irrigue enfin, elles jaillissent et dévoilent leur face. Autant de merveilles et de leçons bien réelles sur la nature qu'elle n'aurait jamais apprises à l'école. Des vérités que tout le monde devrait connaître, et pourtant, même si elles sont là sous nos yeux, à l'instar des graines, elles semblent enfouies, comme au secret. Ils se retrouvaient devant la hutte plusieurs fois pas semaine, mais elle dormait la plupart du temps chez elle ou sur la plage, en compagnie des oiseaux de mer. Il lui fallait ramasser de quoi se chauffer avant l'hiver, et elle s'y employa, chargeant du bois qu'elle trouvait plus ou moins loin et qu'elle empilait soigneusement entre deux pins. Dans son jardin, les fanes de radis dépassaient à peine les verges d'or ; néanmoins, elle récoltait plus de légumes qu'elle et les cerfs auraient pu en manger. Elle fit la dernière récolte de fin d'été et entassa courgettes et betteraves à l'ombre du perron. Cependant, durant tout ce temps, elle guettait les bruits de voiture, craignant qu'on ne vienne la chercher. Parfois, tendre ainsi l'oreille était épuisant et lui faisait peur, alors elle se rendait à la hutte en rondins et passait la nuit à même le sol, enveloppée dans une couverture. Elle prévoyait soigneusement sa collecte de moules et le fumage du poisson pour que Tate puisse les emporter chez Jumping et revenir avec ses courses. Elle faisait tout pour être le moins vulnérable possible. « Tu te rappelles quand tu as lu ta première phrase, tu as dit que certains mots pouvaient vouloir dire des choses importantes ? Demanda-t-il un jour, assis sur la berge du ruisseau.
Puis Papa-Longues-Jambes Et Monsieur Ailes-TombantesCoururent vers la mer A grands cris gais et clairs ; Ils trouvèrent un bateau Voiles roses et tout beau ; Et voguèrent loin loin Vers le ciel de demain. Tout sourire, elle commenta : « On dirait le rythme des vagues quand elles viennent se briser sur la plage. » De ce jour, elle se mit à composer des poèmes, les inventant alors qu'elle sillonnait le marais dans sa barque ou ramassait des coquillages – des vers simples qui chantaient tout seuls et lui traversaient la tête. « Il était une maman geai, qui réussit à s'envoler, moi aussi je m'envolerais, si seulement je le pouvais. » Elle en riait aux éclats, et ils remplissaient pendant quelques minutes solitaires le grand vide de sa longue journée. Par une fin d'après-midi, alors qu'elle lisait à la table de la cuisine, elle songea au recueil de poésies de Ma, et fouilla partout jusqu'à le retrouver. Le volume était usé, la couverture avait disparu depuis longtemps, les pages tenaient ensemble grâce à deux élastiques effilochés. Kya les retira avec précaution et feuilleta le recueil, lisant au passage les notes de Ma dans les marges. A la fin elle découvrit une liste des poèmes favoris de sa mère. Kya en repéra un, composé par James Wright. Soudain seul et perdu Le jardin était nuAh prendre dans mes bras Caresser mon enfant ! Et l'écouter parler Souriant d'un air sage, Ou rire tel un sauvage. Partis, arbres, soleil, Nous n'étions que nous deux Sa mère cuisinait Nous l'entendions chanter. Elle nous aimait c'est sûr Dans ce bas monde obscur. Et puis, un autre, de Galway Kinnell. Pour moi, cela comptait... J'avouai chaque penséeChoisis des mots gentils, Mais j'admets aujourd'hui Que je suis soulagé De voir tout terminé N'avais plus que pitié Pour cet élan de vie Adieu, adieu, ma mie. Kya effleurait les mots
comme s'ils contenaient un message, comme si Ma les avait
intentionnellement soulignés pour que sa fille les lise un
jour à la lueur de cette lampe à pétrole, et qu'elle
comprenne. Ce n'était pas grand-chose, bien loin des mots
tracés de sa main qu'elle aurait pu glisser au fond de son
tiroir à chaussettes, mais c'était tout de même quelque
chose. Elle sentait que ces lignes recelaient un sens
profond, mais elle ne parvenait pas à le faire jaillir. Si
un jour elle devenait poétesse, elle saurait rendre ses
messages plus clairs..."
Delia OWENS - Là où
chantent les écrevisses
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