Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°789 (2021-40)
mardi
12 octobre 2021
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Clairon des abeilles Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 13 août 2021 Mouche Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 13 août 2021 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 13 août 2021 Galéopsis tetrahit Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 13 août 2021
<image recadrée>
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Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 15 août 2021
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 15 août 2021
Abeille
domestique... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 15 août 2021
Jeune Bergeronnette grise Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mardi 17 août 2021 Achillée millefeuille (à fleurs roses) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mardi 17 août 2021 Marguerite Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mardi 17 août 2021
Viorne lantane
(fruits)
Gesse de Bauhin : une fleur en retard (!) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mardi 24 août 2021 Lis martagon (en fruit) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mardi 24 août 2021 Geranium Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mardi 24 août 2021 Decticelle cendrée mâle Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mardi 24 août 2021 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 25 août 2021 Alchemille (fleurs)
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 25 août 2021 Criquet... indéterminé Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 25 août 2021 Fruit du Lis
martagon
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 25 août 2021 Mouche Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 25 août 2021 Menthe (sauvage) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 25 août 2021 Noisettes
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 25 août 2021 Grive draine Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 27 août 2021 <image recadrée> <image recadrée> Mésange charbonnière adulte Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 27 août 2021 Mésange charbonnière adulte et son repas Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 27 août 2021 Grive draine Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 27 août 2021 <image recadrée> <image recadrée> Mésange
charbonnière (jeune)
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 28 août 2021 Carline commune (avant ouverture) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 août 2021 Carline commune
(ouverte)
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 août 2021 La loge n°5... et le village de Courvières Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 août 2021 Oxalis petite oseille Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 août 2021 Campanule sp. Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 août 2021 |
"Geai était morte depuis deux mille trois cent quarante-deux jours quand elle commença à sourire. Ce
sourire,
au début, personne pour le voir. Que deviennent les
choses que personne ne voit ? Elles grandissent. Tout
ce qui grandit grandit dans l'invisible et prend, avec
le temps, de plus en plus de force, de plus en plus de
place. Geai parfois remontait à la surface, parfois descendait au fond du lac. Depuis deux mille trois cent quarante-deux jours. Intacte. Indemne. Aucune trace de fatigue sur son visage, dans ses chairs. Aucune tache sur sa robe. Une robe de coton rouge, la couleur préférée de Geai du temps où elle faisait l'école dans le village de Saint-Sixte. Le lac de Saint-Sixte est très sombre, même en été. Le lac de Saint-Sixte ignore l'innocence des étés. C'est une eau qui retient sa lumière, une eau verte et surtout noire qui fait de la rétention de lumière. Le ciel dégringole en bleu dans le lac, passe en vert puis coule en noir. Il y a plusieurs sortes de noirs dans le noir. Les eaux de Saint-Sixte sont d'un noir mauve, orageux, un noir comme dans les yeux des jaloux. Ce noir est là depuis qu'il y a de l'eau à Saint-Sixte. Et le sourire de Geai commence secrètement à le ronger, à le diluer, à l'allonger, et le sourire de Geai fait remonter en surface du lac de Saint-Sixte tout le bleu du ciel qui avait coulé dedans. C'est un pays de montagnes. En pays de montagnes, le bleu a une franchise absolue, une netteté blanche. Ce bleu, comment dire : il brûle et il lave. Nous sommes en hiver. Geai est prise sous les glaces, à deux centimètres de la surface. Depuis combien de temps son sourire lave-t-il les eaux noires de Saint-Sixte – impossible à dire. On ne peut commencer à dire quelque chose de la puissance de ce sourire qu'avec la venue d'Albain, huit ans, trop jeune pour avoir reçu l'enseignement de Geai, pour l'avoir connue de son vivant. Eh bien,il la connaît maintenant de son souriant : Albain est seul, il a marché jusqu'au milieu du lac et il a vu la robe rouge, le visage de Geai et le sourire sur le visage. Geai a cligné de l'oeil en le voyant. Geai a toujours été réjouie par l'apparition d'enfants. Albain a eu peur. Ce qui fait peur, c'est ce qu'on ne connaît pas. Des morts, Albain en a déjà vu. Mais ce sourire, autant de douceur illuminant un visage, c'est la première fois. Ce sourire a effrayé Albain, l'a fait revenir en courant vers la rive, au risque de faire céder la croûte de glace. Elle n'a pas cédé, la croûte, elle s'est lézardée un peu, c'est tout, et Albain est maintenant seul avec ses huit ans au bord du lac de Saint-Sixte. Son cœur saute dans sa poitrine comme un écureuil fou. Son cœur cogne dans sa poitrine comme un pic-vert. Son cœur galope dans sa poitrine comme un poulain. Son cœur lentement se calme. Son cœur à présent n'a plus peur, son cœur lui envoie des petites giclées de sang dans les extrémités des mains et des pieds, son cœur le remet en mouvement, le fait aller à nouveau, à quatre pattes cette foix-ci, jusqu'au centre du lac de Saint-Sixte. Geai est toujours là. Encore plus souriante. Enfin une présence. Ce n'est pas qu'elle manquait de compagnie, depuis deux mille trois cent quarante-deux jours. Il y avait les poissons du dessous et les oiseaux du dessus. Mais bon, un enfant c'est mieux qu'un poisson ou qu'un oiseau. Geai est allongée sous un drap de deux centimètres de glace, ce qui n'empêche pas de la voir : son sourire enlève à la glace son opacité, son sourire enlève au monde entier son opacité. Albain est allongé sur Geai, ou plus exactement sur la glace en dessous de laquelle Geai sourit. Ils se regardent. Longtemps. Visage contre visage. Le sourire d'Albain répond au sourire de Geai. Les deux sourires bavardent. Très, très longtemps. Le soir est venu. On ne distingue plus la glace du lac et la terre de la rive. Albain sourit une dernière fois à Geai. Je reviens te voir demain. Geai acquiesce par un battement de paupières et un renforcement de son sourire. Albain, à quatre pattes, revient sur la terre ferme. Il marche dans la campagne une demi-heure, pousse la porte de la maison familiale. Ils sont déjà tous à table. On lui demande où il était. J'étais avec la dame de Saint-Sixte. Quelle dame de Saint-Sixte ? Celle qui sourit au fond du lac, elle est gentille, on a beaucoup parlé, enfin je veux dire : on s'est beaucoup souri. Et paf : Albain reçoit une claque. C'est le père qui a parlé. Parler, pour le père, c'est se taire pendant des siècles et, de temps en temps, sortir de sa réserve pour distribuer très démocratiquement des claques aux trois enfants de la maison, une pour chacun, et peu importe qui « a commencé ». Si le père d'Albain faisait des phrases, il dirait que l'enfance est une chose étrange, à la fois adorable et exténuante, un trésor et un chaos. Mais il ne fait pas de phrases, il donne des claques, d'ailleurs en voilà une autre et au lit, mon garçon, sans manger, ça t'apprendra à traîner dehors au lieu de faire tes devoirs, et à revenir avec la nuit en racontant n'importe quoi. Une
heure
passe. Les larmes ont salé les joues d'Albain. Le
chagrin est une soupe au sel. Elle laisse l'estomac
bien creux. C'est sans importance. Deux heures
passent. Albain, huit ans, dort d'un sommeil profond.
Profond et souriant..."
Christian BOBIN - Geai
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