Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°773 (2021-24)
mardi
22 juin 2021
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Courvières (Haut-Doubs) samedi 8 mai 2021 Givre Courvières (Haut-Doubs) samedi 8 mai 2021 Chardonneret élégant près du bloc de sel Courvières (Haut-Doubs) samedi 8 mai 2021 Courvières (Haut-Doubs) samedi 8 mai 2021
Pinson des arbres femelle Courvières (Haut-Doubs) samedi 8 mai 2021 <image recadrée>
Courvières (Haut-Doubs) samedi 8 mai 2021
Floraison d'un
Pissenlit
Pigeon ramierCourvières (Haut-Doubs) dimanche 9 mai 2021 Courvières (Haut-Doubs) dimanche 9 mai 2021
Floraison d'un Pissenlit II Courvières (Haut-Doubs) dimanche 9 mai 2021 Bergeronnette grise
<image recadrée>
Bergeronnette grise
(à la chasse)
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 9 mai 2021
Myosotis
Courvières (Haut-Doubs) samedi 29 mai 2021
Aspérule odorante
Courvières (Haut-Doubs) samedi 29 mai 2021 Rougequeue noir (dans l'ombre) Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 mai 2021 Chat (mais pas sauvage, je pense) Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 mai 2021 Merle noir mâle (2) (dans l'ombre) Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 mai 2021 Rougequeue noir (à la chasse) Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 mai 2021 Véronique Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 mai 2021 Veronique germandrée Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 mai 2021 Orchis mâle Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 mai 2021 La loge n° 5
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 mai 2021 |
"6 La guérite du gardien constituait une île sur laquelle Guylain aimait venir s'échouer à la pause de midi. Contrairement à Brunner qui la ramenait à propos de tout et de rien.Yvon pouvait rester de longues minutes sans dire un mot, tout entier accaparé par ses lectures. Ses silences étaient pleins. Guylain pouvait s'y glisser comme dans un bain tiède. A ses côtés, son sandwich perdait un peu de cet arrière-goût de carton bouilli qui se dégageait de tout ce qu'il avalait depuis qu'il travaillait ici. Yvon lui demandait parfois de lui donner la réplique. « Un mur, lui avait-il expliqué la première fois. J'ai juste besoin d'un mur sur lequel faire rebondir mes tirades. » Guylain se prêtait volontiers au jeu, récitant du mieux qu'il pouvait des textes auxquels il ne comprenait pas toujours grand-chose, changeant parfois de sexe, le temps d'incarner une Andromaque, une Bérénice, voire une Iphigénie tandis qu'un Yvon Grimbert au sommet de son art déclamait à tue-tête du Pyrrhus, Titus et autre Agamemnon de sa composition. Le gardien ne mangeait pas, se contentant de ses vers de douze pieds et de rien d'autre, des vers qu'il faisait descendre à l'aide de ce thé noir dont il était friand et qu'il avalait par Thermos entières à longueur de journée. Le
camion
s'échoua dans un grand souffle de baleine fatiguée à
quelques centimètres de la barrière abaissée. Yvon
délaissa Don Rodrigue et Chimène le temps de
constater que l'heure des arrivages était dépassée
avant de se replonger dans l'acte III, scène 4. La
réglementation stipulait que, pour le repos des
riverains, la STERN devait stopper toute activité
entre 12 heures et 13 h 30, règle qui incluait
également l'arrêt temporaire du va-et-vient des
camions chargés d'alimenter la Chose. Les chauffeurs
le savaient tous et ceux qui arrivaient après
l'heure légale en étaient souvent quittes pour garer
leur bahut dans la rue en attendant la reprise des
activités. Seuls quelques rares téméraires comme
aujourd'hui tentaient parfois de passer outre le
règlement et essayaient de forcer le passage. Fort
de la toute-puissance de son trente-huit tonnes, le
chauffeur klaxonna et aboya son impatience par la
vitre baissée de la portière : « C'est
pour aujourd'hui ou pour demain ? » Devant
l'impassibilité du gardien, le type descendit de son
bahut et s'approcha de la guérite d'un pas nerveux.
« Eh oh ! T'es sourd ou quoi ? »
Sans quitter des yeux le livre ouvert devant lui,
Yvon leva la main, paume en avant, afin de signifier
à l'autre que son attention était pour le moment
occupée à tout autre chose qu'à écouter le
tutoiement dédaigneux d'un chauffeur livreur au bord
de l'hystérie. Guylain avait toujours vu Yvon
appliquer ce principe qui consistait à ne jamais
abandonner une phrase en cours de lecture, quelle
qu'en fût la cause ou la raison. « Ne pas
lâcher le fil du Verbe, petit ! Aller à son
terme, glisser le long de la tirade jusqu'à ce
qu'enfin le point final te libère ! »
Tapotant de ses doigts nerveux sur la vitre, le type
reprit plus méprisant que jamais : " Il va se
décider quand, à la bouger sa barrière ? " Gardez-vous pour toujours de réveiller mes nerfs, Sous les plus beaux atours, se cache souvent mégère. Si je suis serviteur je n'en reste pas moins Concernant ce secteur maître de vos destins ! L'inquiétude avait pris possession du camionneur. Il n'avait plus soudain devant les yeux Yvon Grimbert, insignifiant gardien d'usine, mais le grand prêtre tout-puissant du temple. Sous la moustache grisonnante, les lèvres écarlates s'activaient pour délivrer sans trembler les phrases assassines. Le type entama un repli prudent sur la pointe de ses santiags et regagna la cabine de son Volvo à l'abri de l'avalanche de rimes. Yvon le poursuivit. Debout sur le marchepied, il balança dans l'habitacle de pleins paquets de vers tandis que le jeune homme au bord de la panique s'échinait à remonter la vitre à grands coups de moulinets nerveux. Lorqu'on est aux abois, pas mieux qu'un mastodonte Pour cacher son émoi et étouffer sa honte ! Si vous voulez faire taire le langage des muses Abandonnez cet air et livrez vos excuses ! Vaincu, la tête penchée sur le volant en guise de soumission, le type ânonna une série de mots mâchouillés qui ressemblaient à des regrets. Tandis qu'il rejoignait son abri vitré, Yvon lança dans les airs un ultime quatrain : Je m'en vais dans l'instant lever cette barrière, Laisser tout doucement retomber ma colère. Avancez ce camion, videz son chargement. Que vive le pilon encore un long moment. Joignant
le
geste à la parole, Yvon libéra le mastodonte qui
s'ébroua dans un nuage de gaz d'échappement. Guylain
abandonna un temps son ami versificateur, histoire
de veiller au bon déroulement du déchargement.
Encore choqué, le chauffeur dégueula sa cargaison à
moitié sur le quai, à moitié sur le parking. Son
papier tamponné, le type s'en retourna, trop heureux
de voir la barrière s'élever sans avoir à subir les
assauts d'un Yvon Grimbert déjà reparti dans son
royaume de Castille à guetter l'arrivée des Maures
aux côtés de Chimène..."
Jean-Paul DIDIERLAURENT - Le
liseur du 6h27
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