Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°771 (2021-22)
mardi
8 juin 2021
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Etourneau sansonnet Courvières (Haut-Doubs) dimanche 4 avril 2021 Courvières (Haut-Doubs) samedi 10 avril 2021 <image recadrée>
samedi 10 avril 2021 Courvières (Haut-Doubs) samedi 10 avril 2021
samedi 10 avril 2021
samedi 10 avril 2021
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Courvières
(Haut-Doubs)samedi 10 avril 2021
Pie
Courvières (Haut-Doubs) samedi 24 avril 2021
samedi 17 avril 2021
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"Chapitre II LES THESES FONDAMENTALES DONNEES ET DEFINITIONS
Avant tout, la théorie de l'équilibre ponctué porte sur un niveau particulier d'analyse structurale liée à un cadre temporel particulier. Le célèbre romancier et essayiste anglais, G.K. Chesterton (1874-1936), a écrit que l'art est limitation, car le message essentiel de tout tableau est délimité par son cadre. Il en est de même en sciences, où des thèses trop générales ou voulant être applicables à bien trop de phénomènes, condamnent souvent de bonnes idées à l'imprécision nébuleuse et, par conséquent, à l'inutilité. La théorie de l'équilibre ponctué ne concerne pas toutes les formes de changement rapide en biologie, se produisant à n'importe quelle échelle ou à n'importe quel niveau. Elle porte sur l'apparition et le déploiement des espèces à l'échelle des temps géologiques. D'autres phénomènes, prenant place à d'autres échelles, sont aussi de type ponctuationniste : c'est le cas, par exemple, des extinctions de masse catastrophiques planétaires déclenchées par la collision de la Terre avec des météorites ; et les partisans de l'équilibre ponctué seraient bien obtus s'ils ne s'intéressaient pas aux différents mécanismes déterminant des ressemblances entre les traits généraux des phases de stabilité et des phases de changement réparables dans les domaines variés de la nature, car la science recherche toujours des explications théoriques unitaires. Mais la théorie de l'équilibre ponctué (une théorie ponctuationniste particulière sur le changement et la stabilité dans le cadre d'un phénomène fondamentale particulier de l'évolution) ne traite pas directement, par exemple, de la coordination pouvant éventuellement exister entre les histoires évolutives des différentes espèces au sein des faunes ; ni, autre exemple, des limites susceptibles de peser sur les changements mutationnels viables intervenant entre des organismes parentaux et leur progéniture. La théorie de l'équilibre ponctué essaie d'expliquer le rôle macroévolutif des espèces et de la spéciation dans le cadre des temps géologiques. Les phases de changement rapide et de stabilité qu'elle décrit se rapportent à l'histoire des espèces individuelles ; et les rythmes et les types de changement qu'elle prend en compte concernent le déploiement de ces histoires individuelles dans un domaine qui nous est peu familier, celui du « temps profond », autrement dit des temps géologiques, à l'échelle desquels la durée de la vie humaine est un infiniment petit absolument impossible à mesurer, et la durée de l'histoire entière de la civilisation humaine par rapport à celle de la phylogenèse des primates comparable à la durée d'un battement de paupière par rapport à celle de la vie humaine. Les thèses de la théorie de l'équilibre ponctué demandent d'apprécier correctement la façon dont les processus microévolutifs se traduisent dans le cadre de ces temps géologiques immenses : c'est le point fondamental sur lequel Darwin s'est trompé. Il a, en effet, estimé à tort que la « lenteur » des modifications chez les animaux domestiques ou les plantes cultivées, telle qu'elle s'aperçoit dans le contexte du temps humain ordinaire (contexte dans lequel la totalité de la civilisation – autrement dit, de nombreuses générations humaines – a vu s'accomplir d'importants changements au sein des populations d'animaux et de plantes domestiques, mais pas d'apparition d'espèces nouvelles), devait se traduire, dans les temps géologiques, par un gradualisme phylétique lent et continu. A partir du moment où l'en reconnaît que les définitions des deux concepts cruciaux, la stase et la ponctuation, se rapportent à l'histoire évolutive des espèces individuelles appréciée à l'échelle des temps géologiques, on peut établir des critères judicieux et opérationnels. Il faut, pour cela, partir de la conception fondamentale de l'équilibre ponctué, à savoir que la grande majorité des espèces, ainsi que cela est attesté par leur histoire géographique et morphologique observable dans les archives fossiles, apparaissent en un instant géologique (il s'agit de la ponctuation), puis persistent en stase durant leur longue existence – Sepkoski (1997), donne une estimation basse de 4 millions d'années pour la durée moyenne des espèces fossiles ; les valeurs moyennes varient considérablement d'un groupe et d'un époque à l'autre, les vertébrés terrestres durant moins, la plupart des invertébrés marins nettement plus ; quoi qu'il en soit, la longévité géologique se mesure fondamentalement en millions d'années, plutôt qu'en milliers. Une première conséquence de cette caractérisation au plan macroévolutif est que les espèces répondent à tous les critères pour pouvoir se comporter en individus darwiniens dans le domaine de la macroévolution. La conception fondamentale de l'équilibre ponctué comporte trois notions dont il est nécessaire de définir le sens de façon opérationnelle et précise : la stase, la ponctuation et la fréquence relative dominante. (Je n'oublie pas les problèmes épineux relatifs à la définition des espèces dans les archives fossiles, où le critère majeur est celui de la morphologie, dans la mesure où l'isolement reproductif ne peut presque jamais être vérifié directement ; de même que je n'oublie pas le problème posé par la correspondance supposée entre, d'une part, des collections de fossiles rassemblés sur la base de leur morphologie, appelées « espèces » par les paléontologistes, et, d'autre part, le concept d'espèce tel qu'il est compris et appliqué par les chercheurs travaillant sur les populations actuelles d'organismes se reproduisant sexuellement. Je traiterai de ces questions plus loin dans ce chapitre. La stase ne signifie pas une « stabilité de granite », autrement dit une totale invariance des valeurs moyennes de tous les traits tout le temps. Dans le contexte macroévolutif de l'équilibre ponctué, il est nécessaire de savoir, par-dessus tout, si le changement morphologique tend ou non à progresser de façon cumulative au long de l'existence géologique d'une espèce et, si oui, quelle fraction de la différence moyenne entre une espèce ancestrale et une espèce descendante peut être attribuée au changement cumulatif subi par l'ancêtre au cours de son évolution anagénétique. Une thèse forte de la théorie de l'équilibre ponctué est que, dans la plupart des cas, le changement n'est, en réalité, pas du tout cumulatif. Lors de sa dernière manifestation avant l'extinction, une espèce ne diffère pas systématiquement au plan morphologique de ce qu'elle était lorsqu'elle est apparue pour la première fois dans les archives fossiles, généralement plusieurs millions d'années auparavant. Bien entendu, nous admettons que les valeurs moyennes fluctuent généralement au cours du temps. En fait, les moyennes mesurées varieraient, même si les valeurs réelles des populations restaient absolument constantes, ce qui n'est pas le cas. Et, si l'on dispose d'un nombre assez grand d'échantillons dans une séquence verticale, certains présenteront nécessairement des valeurs moyennes (pour certains caractères) différant des moyennes de l'échantillon le plus ancien d'une façon statistiquement significative. De telles variations signifient aussi que la population finale n'est généralement pas identique à l'échantillon de départ. En terme opérationnels, par
conséquent, il est nécessaire de définir les critères
permettant de reconnaître comme acceptable la fluctuation
des valeurs moyennes au cours du temps. Deux problèmes
doivent être résolus : quelle est la grandeur de la
différence que l'on peut accepter entre les échantillons du
début et ceux de la fin d'une espèce, et quelle est la
fourchette de la fluctuation que l'on peut accepter au cours
du temps ? Pour tester l'hypothèse selon laquelle aucun
(ou peu de) changement ne s'accumule par anagenèse durant
l'histoire de la plupart des espèces, et puisqu'il n'y a
pas, statistiquement, de raison de s'attendre (dans le cadre
de cette hypothèse) à ce que les derniers échantillons
soient identiques aux premiers, il faut vérifier l'une ou
l'autre des deux conditions suivantes : 1°) ou bien les
échantillons finals ne différent pas statistiquement des
échantillons initiaux, à l'aune de quelque critère choisi à
l'avance ; 2°) ou bien, à tout le moins, les
échantillons finals ne tombent généralement pas à
l'extérieur de la fourchette de fluctuation observée durant
l'histoire de l'espèce. (Si les échantillons finals tendent
à tomber à l'extérieur de la fourchette de fluctuation
valable pour la plus grande part de l'histoire de l'espèce,
alors on doit conclure qu'il s'est produit une anagenèse.)..."
Stephen JAY GOULD - L'équilibre
ponctué
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