Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°767 (2021-18)
mardi
11 mai 2021
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Véronique petit-chêne Courvières (Haut-Doubs) dimanche 28 février 2021 Courvières (Haut-Doubs) jeudi 18 mars 2021
Courvières (Haut-Doubs) mercredi 24 mars 2021
Courvières (Haut-Doubs) mercredi 24 mars 2021 Paquerette
Courvières (Haut-Doubs) mercredi 24 mars 2021
mercredi 24 mars 2021
Courvières (Haut-Doubs) mercredi 24 mars 2021 Chaton de Noisetier - cherchez la petite araignée (!) Courvières (Haut-Doubs) mercredi 24 mars 2021
Courvières (Haut-Doubs) mercredi 24 mars 2021
Tapis de Drave printanière Courvières (Haut-Doubs) mercredi 24 mars 2021 Courvières (Haut-Doubs) mercredi 24 mars 2021 Saule Courvières (Haut-Doubs) mercredi 24 mars 2021
Courvières
(Haut-Doubs)
jeudi 22 avril 2021
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Mardi 31
janvier 2012 |
" UNE PRISE DE COMMANDEMENT
J'appartiens à l'une des plus vieilles familles d'Orsenna. Je garde de mon enfance le souvenir d'années tranquilles, de calme et de plénitude, entre le vieux palais de la rue San Domenico et la maison des champs au bord de la Zenta, où nous ramenait chaque été et où j'accompagnais déjà mon père, chevauchant à travers ses terres ou vérifiant les comptes de ses intendants. Mes études terminées dans l’ancienne et célèbre université de la ville, des dispositions assez naturellement rêveuses, et la fortune dont je fus mis en possession à la mort de ma mère, firent que je me trouvai peu pressé de choisir une carrière. La Seigneurie d’Orsenna vit comme à l’ombre d’une gloire que lui ont acquise aux siècles passés le succès de ses armes contre les Infidèles et les bénéfices fabuleux de son commerce avec l’Orient : elle est semblable à une personne très vieille et très noble qui s’est retirée du monde t que, malgré la perte de son crédit et la ruine de sa fortune, son prestige assure encore contre les affronts des créanciers ; son activité faible, mais paisible encore, et comme majestueuse, est celle d’un vieillard dont les apparences longtemps robustes laissent incrédule sur le progrès continu en lui de la mort. Les charges publiques et le service de l'Etat, pour lequel le zèle du pratriciat antique d'Orsenna est resté légendaire, dans cet état d'infirmité conservent donc peu d'attraits pour ce qu'il y a de bouillonnant et d'illimité dans les impulsions de la jeunesse : le déclin de l'âge marque le moment où l'on accède aux charges de la Seigneurie avec le plus d'efficace. Quelque chose de romanesque et d'inemployé flottait donc sur la vie libre, et à beaucoup d'égards peu édifiante, que menaient dans la ville les jeunes gens nobles. Je me mêlai de bonne foi à leurs plaisirs fiévreux, à leurs enthousiasmes d'un jour, à leurs passions d'une semaine – le bâillement précoce est la rançon des classes trop anciennement assises sur le faîte, et j'accédai très vite aux délices, vantées dans le jeunesse dorée de la ville, de l'ennui supérieur. Mes journées se partageaient entre la lecture des poètes et les promenades solitaires dans la campagne ; par les soirées orageuses de l'été qui font peser sur Orsenna comme un manteau de plomb, j'aimais à m'enfoncer dans les forêts qui cernent la ville ; le plaisir de la chevauchée libre redoublait en moi avec les heures, comme redouble la vitesse d'une bête généreuse ; souvent je ne tournais bride qu'au crépuscule. J'aimais ces retours dans la pénombre montante : comme la cîme de ses bannières s'ennoblit pour nous d'un reflet de plus grand prix, parce qu'il monte d'une brume de siècles, les dômes et les toits d'Orsenna jaillissaient plus limpides du brouillard ; les pas assagis de mon cheval vers la ville me paraissaient alourdis d'un secret. Mes occupations de la nuit étaient plus frivoles : je me mesurais aux jeunes gens de mon âge dans les joutes platoniques des Académies, qui fleurissent à Orsenna à mesure que le Sénat s'y vide ; j'accordais beaucoup à l'amour, et je m'y montrais aussi ardent et aussi libre qu'aucun autre. Il arriva que ma maîtresse me quitta : j'en eus d'abord seulement de l'humeur, et je ne m'alarmai vraiment qu'en mesurant soudain le peu d'inclination que je me sentais à en prendre une autre. Cet accroc médiocre à des occupations dont les mailles s'étaient, sans que je le susse, peu à peu démesurément distendues, fit soudain s'effiler en lambeaux sous mes yeux ce que je considérais peu de jours encore auparavant comme une existence acceptable : ma vie m'apparut irréparablement creuse, le terrain même sur lequel j'avais si négligemment bâti s'effondrait sous mes pieds. J'eus soudain envie de voyager : je sollicitai de la Seigneurie un emploi dans une province éloignée. Le gouvernement d'Orsenna, comme celui de tous les Etats mercantiles, s'est toujours distingué par une méfiance jalouse à l'égard des chefs, et même des officiers subalternes, de ses armées et de ses flottes. Contre les risques d'une intrigue ou d'un coup d'Etat militaire, longtemps redouté à l'époque ou des guerres continuelles l'obligeaient à tenir en campagne des forces importantes, l'aristocratie d'Orsenna n'a pas cru se prémunir assez en imposant la plus étroite sujétion des cadres militaires au pouvoir civil : depuis des temps très reculés, les plus nobles familles ne pensent point déchoir en déléguant auprès d'eux leurs jeunes hommes dans des fonctions qui touchent de fort près aux pratiques de l'espionnage, et dont l'effet a été longtemps d'étouffer dans l'oeuf toute tentative de conspiration armée. Ce sont là les « yeux » célèbres de la Seigneurie : leurs pouvoirs mal délimités, mais en réalité toujours officieusement étayés par le poids d'un grand nom et le crédit d'une ancienne famille, leur laissent en général l'initiative la plus étendue, même au cours d'une campagne des guerres d'Orsenna ont parfois souffert de l'atmosphère de méfiance et de la timidité dans le commandement qu'engendrent de pareilles pratiques, mais on considère en revanche que la situation fausse qui leur est faite est propre à développer très tôt le doigté politique et le sens de la diplomatie chez ceux que la Seigneurie destine à ses plus grands emplois. Ces débuts douteux d'espion accrédité se trouvèrent être ainsi longtemps le chemin obligatoire des plus hautes distinctions. Dans l'état de décrépitude et d'énervement où sont tombées aujourd'hui ses forces, Orsenna eût pu sans grands risques se relâcher d'une vigilance si soupçonneuse ; mais la force des traditions, comme dans tous les empires croulants, croît chez elle à mesure que se dénude plus ouvertement, dans les rouages du gouvernement et de l'économie, l'action prépondérante de tous les principes d'inertie : on délègue les fils de famille aux « yeux » dans le même esprit anodin où ailleurs on les envoie voyager à l'étranger et prendre part aux grandes chasses, mais on les y délègue toujours ; un cérémonial devenu avec le temps à demi bouffon, mais soigneusement conservé, continue même à marquer cette espèce de prise de toge virile. Mon père, dans sa demi-retraite, s'était inquiété de ma vie de dissipation ; il apprit avec plaisir mes dispositions nouvelles, il appuya ma démarche auprès de la Seigneurie de tout son crédit qui restait grand. Peu de jours après qu'on l'eut informé d'une décision de principe favorable, un décret du Sénat me confirma dans les fonctions d'Observateur auprès des Forces Légères que la Seigneurie entretenait dans la mer des Syrtes. Dans
sa
volonté arrêtée de m'éloigner de la capitale, et de
me rompre aux fatigues d'une vie plus rude, mon père
m'avait servi peut-être au-delà de mes vagues désirs
de changement. La province des Syrtes, perdue aux
confins du Sud, est comme l'Ultima Thulé des
territoires d'Orsenna. Des routes rares et mal
entretenues la relient à la capitale au travers
d'une région à demi désertique. La côte qui la
borde, plate et festonnée de hauts-fonds dangereux,
n'a jamais permis l'établissement d'un port
utilisable. La mer qui la longe est vide : des
vestiges et des ruines antiques rendent plus
sensible la désolation de ses abords. Ces sables
stériles ont porté en effet une civilisation riche,
au temps où les Arabes envahirent la région et la
fertilisèrent par leur irrigation ingénieuse, mais
la vie s'est retirée depuis ces extrémités
lointaines, comme si le sang trop avare d'un corps
politique momifié n'arrivait plus jusqu'à
elles : on dit aussi que le climat
progressivement s'y assèche, et que les rares taches
de végétation d'année en année s'y amenuisent
d'elles-mêmes, comme rongées par les vents qui
viennent du désert. Les fonctionnaires de l'Etat
considèrent ordinairement les Syrtes comme un
purgatoire où l'on expie quelque faute de service
dans des années d'ennui interminables ; à ceux
qui s'y maintiennent par goût, on attribue à Orsenna
des manières rustiques et à demi sauvages – le
voyage « au fond des Syrtes », quand on
est contraint de l'entreprendre, s'accompagne d'un
cortège de plaisanteries infini. Elles ne manquèrent
pas dans le banquet d'adieu que je donnai à mes
compagnons de débauche la veille de mon
départ ; et cependant, dans les intervalles des
toasts et des rires, il régnait parfois autour de la
table comme une imperceptible gène, un silence
difficile à combler, où passait une ombre de
mélancolie : mon exil était plus sérieux et
plus lointain qu'il n'avait d'abord paru ;
chacun sentait que la vie pour moi s'apprêtait à
vraiment changer : déjà le nom barbare des
Syrtes m'exilait du joyeux cercle. Une brèche
définitive, pour la première fois, allait s'ouvrir
dans cette ronde d'amitiés fraîches, - elle était
faite,- déjà je gênais en la maintenant trop
visible : on souhaitait obscurément de me voir
disparaître pour l'aveugler. Comme nous nous
séparions sur le seuil de l'Académie, Orlando me
serra soudain dans ses bras, d'un air tendu et
absorbé qui contrastait avec les propos légers de la
soirée, et me souhaita d'un ton sérieux « bonne
chance sur le front des Syrtes ». Je quittai
Orsenna le lendemain de bonne heure, dans la voiture
rapide qui portait aux Syrtes le courrier officiel..."
Julien GRACQ - Le
Rivage des Syrtes
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