Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°762 (2021-13)
mardi
6 avril 2021
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Rougegorge familier La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 6 mars 2021 Roitelet triple-bandeau reconnaissable à son "troisième" bandeau : blanc au dessus de l'oeil... La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 6 mars 2021 Rougegorge Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 6 mars 2021
<image recadrée>
<image recadrée>
Rougegorge
Roitelet huppé La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 20 mars 2021
Rougegorge
Le
territoire, c'est le lieu où tout devient rythme,
paysage mélodique,
motifs et contrepoints, matière à expression. Le
territoire serait
l'effet de l'art. Le territoire crée et donc
demande que l'on pense
selon de nouveaux rapports. Vinciane DESPRET
- Habiter en oiseau
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mardi 9
mai 2017 |
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mardi 21
mai 2019 |
Suggestion de lecture : "PREMIERS CONTACTS « La loupe du botaniste, c’est l’enfance retrouvée. » Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace, 1957 Origines Tout au début, il y a cette fascination pour les mots étranges, rares, aux sens mystérieux et aux sonorités barbares. Lichen. Mais aussi bien : toundra, varech, cerque, élytre, dolmen, maelstrom, inlandsis, fjord, permafrost, ubac, adret, axolotl, cortex, pollen. Abécédaire de la nature, musique marquée par l’étymologie des origines, grecques, latines, ou empruntée à des langues autres. Ces mots qui, lorsqu’on les prononce, créent comme un courant d’air, un instant de flottement. Silex, granit, mitochondrie, sphaigne, vrac : lichen. La dureté du « ch » central, l’étrangeté du « en » final. * Victor Hugo est l’un des
rares poètes francophones à avoir osé élever le lichen à la
dignité de la rime. Il le fait sonner avec un monstre
fantastique d’origine norvégienne : le « kraken » [dans
« l'Ane » - poème écrit en 1857-1858]. * Cela aussi comme une fascination pour ce qui est négligé, rejeté, dénigré. Adolescence du poète maudit et du lichen, des herbes folles et des remises, qui erre en quête de l’oublié derrière les chemins, loin de ce que tout le monde peut voir, en quête de son territoire, d’une « terre de personne ». Arborescence du poète maudit qui tente de se construire par les chemins de traverses, butinant, bifurquant sans cesse, dans une verticalité sinueuse et à jamais incertaine. Je faisais des listes de tout, des listes de mots-rebuts, colonnes vertébrales d’un imaginaire encyclopédique et solitaire, cherchant à me réfugier dans la différence, dans la rareté, dans l’inconnu. J’enquêtais sur les pharaons ou les dinosaures les plus mystérieux. J’examinais les insectes les plus repoussants, les vers les plus terreux, disséquais les boursouflures des arbres en quête de parasites intérieurs. Le lichen fait partie de cet imaginaire d’enfant et d’adolescent. Il peuple les faces nord des forêts profondes de ma Bourgogne natale et de mes rêves solitaires. Il devient une évidence lors de ces longs hivers qui débordent toujours, avalant l’automne et le printemps, alors qu’il est le dernier signal visible sur les écorces des pins noirs d’Autriche, parmi un paysage mélancolique de brouillard et de gris, les arbres ne montrant plus que « leur agonie aux ficelles » sans plus feuilles ni couleurs – calligraphie squelettique réduite à l’élémentaire. Hivers S’il est une saison
particulièrement propice aux lichens, c’est bien l’hiver. «
La physiologie tout en souplesse des lichens leur permet
d’être rayonnants de vie lorsque l’hiver serre la plupart
des autres créatures dans son étau », écrit David George
Haskell . Tandis que de nombreux arbres perdent leurs
feuilles et que la plupart des plantes supérieures
disparaissent, ils éclatent de toutes leurs couleurs et de
leurs formes extravagantes : les lichens sont les « feuilles
de l’hiver », écrit Thoreau. Quelques pixels oubliés sur un
canevas. C’est la saison qui inspire les magnifiques
descriptions de lichens à Thoreau dans son Journal perdu au
beau milieu du XIXe siècle et des forêts du nord-est
des États-Unis – ou à Marcel Proust, à Francis Ponge,
aux haijins japonais. Pour les botanistes, c’est la solution
de repli – ou de dépit, faute de mieux, quand il n’y a
plus rien d’autre à étudier. Rousseau dit, au bien nommé
Malesherbes, que « l’hiver a […] ses herborisations qui lui
sont propres, savoir les mousses et les lichens ». C’est
aussi la saison où, lors des promenades botaniques qu’ils
affectionnent, les artistes George Sand et
John Cage, en compagnie respectivement des botanistes
Jules Néraud et Guy Nearing, délaissent
temporairement plantes et champignons pour se laisser
surprendre par les lichens. * Je dévisage ces pelotes d’usnées ébouriffées, récoltées sur un cerisier du jardin familial: elles ne ressemblent à rien d’identifiable, mottes d’herbes ou tignasses pâlottes que le desséchement a rendu presque minérales. Que me disent-elles ? Le lichen est ce qui persiste quand presque toute trace de vie a disparu ; dans l’hiver perpétuel des pôles et de la haute montagne, aussi. Il devient visible, apparaît, dans l’adversité. Le lichen, une force critique ? Mauvaises herbes Le lichen est familier de tous, connu de personne. Il suffit de demander autour de soi : tout le monde voit, peu ou prou, ce que le mot désigne ; tout le monde a déjà croisé le regard de ces plaques aberrantes sur les murs, de ces croûtes étranges sur l’écorce. Il est de l’ordre de l’« infra-ordinaire », pour reprendre le mot de Georges Perec: il est « ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, le bruit de fond, l’habituel ». Mais personne ne s’y est attardé et n’est capable d’en dire bien plus: le langage s’arrête là. Dans les jardins botaniques et les parcs, aucun panneau ne les signale jamais, ni ne les explique. Présence dérisoire et inutile sur les murs, troncs ou pierres, voire franchement repoussante – évoquant un imaginaire de la tache, une sorte d’eczéma ou de lèpre, un prurit, l’idée d’une excrétion maladive et sirupeuse, d’un parasite échevelé vampirisant son support. Le poète chinois Qianlong écrivait en 1743 : Cette parasite affamée qui, dédaignant la terre dont elle méprise les sucs, va chercher au-dessus d’elle une nourriture plus abondante et mieux préparée : des filaments innombrables, qu’on prendrait pour autant de fils d’or, la lient indissolublement aux plantes qu’elle dévore. Confondu au mieux avec la mousse ou l’écorce des forêts, dans la ville avec le guano des murs ou les déjections caoutchouteuses de nos trottoirs, il semble ne pas avoir d’identité propre ou être réduit à un mouvement d’« humeur » : il est ce qui sort de, ce que le corps rejette, ce que la nature produit et qui dégénère et prolifère si l’on n’en prend pas soin. Un négligé : une déviance. À cette époque je m’étais en quelque sorte absenté de mon corps, lui refusant quant à moi tout concours, au point d’y laisser croître comme une moisissure, un lichen, cette barbe dont il s’avérait chaque jour un peu plus qu’elle n’était pas mon genre. Jean Rolin Pour le savant grec antique Théophraste, il naît de l’écorce. Pour d’autres, il est une « morve de falaise » (le poète canadien Ken Babstock) ou un « excrément de terre » (oussek-el-trab ou ousseh-el-ard en arabe, certainement pour désigner le lichen Lecanora esculenta et ses courbes brunes évocatrices). Dans l’histoire naturelle, (dé)classé d’abord parmi les « plantes » dites « inférieures », il a longtemps été pris de haut et déconsidéré. Pour Albert le Grand, frère dominicain et philosophe du xiiie siècle, le lichen, situé en bas de la hiérarchie des « végétaux », est le produit de la putréfaction. Peu s’inquiètent de la disparition de ce compagnon invisible. En raison de sa taille et de son apparence, il n’a pas le même charisme que les phoques, les tigres ou les orchidées : il fait partie de ce que l’on appelle depuis une dizaine d’années, dans la communauté scientifique, la « biodiversité négligée ». Cette expression s’est forgée et démocratisée dans le sillage d’expéditions marines et terrestres du Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Elle met le doigt sur le fait qu’une grande partie du règne vivant, qui est la moins connue du grand public, la moins médiatisée et souvent la moins étudiée par la communauté scientifique, est aussi celle qui est la plus riche en espèces encore à découvrir. On estime qu’elle ne représente pas moins de 80% des espèces vivantes: insectes, planctons, champignons, lichens, etc. En 2016, Emanuele Coccia s’insurge contre un véritable « snobisme métaphysique » qui ferait que le vivant et, en particulier, les plantes ont été oubliés par la philosophie (du moins récente), condamnés à « végéter ». On peut éventuellement s’intéresser aux plantes ornementales (en raison de la puissance toute relative du beau) et à celles que l’on dit « utiles » (celles qui ont des « propriétés », en vue de l’alimentation, de la médecine). On peut aussi regarder celles qui sont dites « supérieures », aériennes, pour mieux dégrader les plantes « inférieures », sans fleurs, sans leurres, plus bas que terre et au pied de l'échelle des valeurs : « mauvaises » herbes et autres herbes « folles ». C'est la chaire en sous-sol « des insectes et des vers », au Jardin du Roi, que l'on cède comme pied de nez en fin de carrière au grand naturaliste Jean-Batiste de Lamarck, en 1790, incompris en son temps. Sans visage, à l'apparence minérale et inerte, le lichen pose en problème moral et politique : il ne crée pas spontanément l'empathie. Comme ces autres êtres vivant, il laisse difficilement place à l'anthropomorphisme. Sans grande surprise, les études scientifiques montrent que les espèces pour lesquelles nous éprouvons le plus d'empathie sont celles qui sont le plus proche de nous du point de vue de l'évolution – et quant à leur apparence. Pour Levinas, c'est par le visage et par le corps de l'autre - « l'autrement qu'être » - que naît le sentiment éthique, qu'il nous est possible de mesurer notre humanité. Lichens, insectes, planctons, autant d'organismes qui n'offrent pas de prises à notre regard, qui ne font pas spontanément miroir, autant qu'êtres vivants que l'on ne peut « dévisager » pour nous questionner (même si le lexique naturaliste utilisé pour les décrire repose, comme souvent, sur des métaphores du corps humain). Sylvain Tesson écrit : Aimer, c'est reconnaître la valeur de ce qu'on ne pourra jamais connaître. Et non pas célébrer son propre reflet dans le visage d'un semblable. Aimer un Papou, un enfant ou son voisin, rien que de très facile. Mais une éponge ! Un lichen ! Une de ces petites plantes que le vent malmène ! Voilà l'ardu. Le sentiment éthique fondé
sur l'identification anthropomorphique peut être un
déclencheur mais ne peut être le seul horizon de notre
action. Et pourtant, ces espèces sont les moins connues et
comptent parmi celles qui sont le plus en danger. Ce
problème d'identification est un vrai défi au niveau de
l'action politique. Comment, dès lors, susciter une prise de
conscience active pour l'environnement sans le recours
facile à l'empathie, sans l'émotion d'un regard qui implore
et d'un cri qui bouleverse ? Comment apprendre de cette
vie silencieuse et immobile ? Biodiversité
négligée : mal connue et bientôt disparue ? Le
lichen doit-il être condamné à l'érudition des spécialistes,
ou bien à l'idéalisme de la marge et à la compassion de
l'anti-héros ?..."
Vincent ZONCA - Lichens
- Pour une résistance minimale
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