Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°759 (2021-10)
mardi
16 février 2021
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Glace La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 13 février 2021 samedi 13 février 2021 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 13 février 2021
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 13 février 2021
samedi 13 février 2021 Femelle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 13 février 2021
<image recadrée> Aigrette La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 20 février 2021
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Suggestion de lecture : " THETFORD MINES […] Thetford Mines est
aujourd'hui encore une aberration géologique doublée d'une
curiosité esthétique. Hormis le nom qui livre un indice,
rien de remarquable d'un point de vue purement factuel. La
ville (45° 06' nord / 71° 18' ouest) compte 25 000 habitants
dispersés, en moyenne, par poignées de 100 au kilomètres
carrés. Traversée par la discrète rivière Bécancour, elle
est équidistante de Québec, au nord, de Sherbrooke, au sud.
Et est rattachée à la région Chaudière-Appalaches. Signe de
sa relative prospérité, elle abrite un hôpital général, un
CEGEP, un centre des congrès et une piscine couverte. Chaque
année, elle organise le Festival de musique Promutuel de la
Relève et une présentation de voitures anciennes. Quand on arrive sur place, ce catalogue raisonné des biens et services se vaporise devant les phénoménales excavations qui ceinturent et perforent la ville jusqu'en son centre. Le monde après l'Armageddon. Des mines et encore des mines, creusées à ciel ouvert, profondes, récurées jusqu'au ventre de la terre, des cratères lunaires gigantesques, des fosses martiennes démesurées, taillées en escaliers, striées de routes tortueuses, de terrils poussiéreux, roulés en boule, pareils à d'énormes animaux endormis. Et çà et là, de grands lacs, semblant tombés du ciel, gorgés d'une sublime eau émeraude, petite mer de joaillier, quasi surnaturelle et luminescente dans ce paysage dégradé de cicatrices, de tristesse et de grisés. Le nom de la dernière petite municipalité avalée par Thetford Mines, Amiante, en dit long sur la nature des sous-sols. Sa proche voisine, elle, se nomme Asbestos. C'est donc ici que vivait mon père, dans ce chaudron de fibres et de poussières, dans cet incroyable décor minier, cette cité fouillée, charcutée, bombardée, irréelle, où depuis 1876 le chrysolite était roi. L'inventeur du gisement, qu'il trouva en grattant la terre de son ongle, s'appelait Joseph Fecteau. C'était un fermier aux doigts d'argent. A sa suite, Roger Ward, les frères Johnson, et bien d'autres travailleurs de la terre d'un genre nouveau entreprirent de labourer les sols jusqu'à l'os, de dévaster les paysages, d'équarrir les sous-sols et de disperser à l'explosif ces amas de roches fibrées d'amiante blanc que des géologues de l'université de Montréal, spécialistes du quaternaire, décrivent dans leur publication sur « les trois séquences stratigraphiques qui constituent la séquence pléistocène de la région de Thetford Mines. » Le pasteur prêchait donc au cœur du paléolithique. Il avait traversé le monde pour retourner à ses origines, ces temps où apparurent les premiers humains équipés de leurs pierres taillées. Juchés sur des pelleteuses capables de rayer les cieux, leurs descendants fouillaient aujourd'hui dans les vestiges de leurs origines, grattant les strates accumulées, comme des chiens de métal avides de retrouver un os enfoui. Les puits ouverts portent souvent les noms des compagnies qui les exploitent, et, par capillarité, donnent leurs patronymes aux rues qui les bordent. Ces sociétés s'appellent King, Bell, Beaver, Johnson et tant d'autres. Les maisons des habitants côtoient parfois le vide, ces gouffres sillonnés de camions bennes géants qui font la noria entre le fond du monde, ses entrailles fibreuses, et sa surface où la lumière poussiéreuse des lieux n'a jamais inspiré aucune école de peinture. En 1975, Thetford Mines était l'un des sites de Chrysotile les plus importants du monde, produisant sans remords ni répit, et nul ne se préoccupait encore sérieusement des vingt-six études de santé déjà publiées entre 1934 et 1954 relatant les cas d'asbestose et de cancers du poumon chez des patients travaillant dans le secteur de l'amiante en Pennsylvanie, au pays de Galles ou au Québec. C'est à Paris, en 1975, l'année où mon père s'installa dans les boyaux de Thetford Mines, qu'éclata le scandale dit de l'amiante à la faculté de Jussieu. On avait découvert que ce matériau, présent dans les bâtiments, et vieillissant mal, dispersait ses poussières et pouvait contaminer les étudiants. On ferma donc l'université. Durant des années, une escouade d'ouvriers équipés comme des scaphandriers se chargea de peler le gros œuvre jusqu'à sa chair pour le rendre salubre. La même année, Thetford Mines établissait ses records de production dans ses puits et le chrysotile du KB3 était partout, dans l'air, l'eau, la terre, les jardins, les maisons, les écoles, le macadam des rues et même l'église de Johanes Hansen. La Thetford Mines Methodist Church, son presbytère, bâtie en 1956 par l'entrepreneur David Scott et située dans le quartier Mitchell, l'un des plus modestes et des plus exposés aussi aux exubérances de la mine, possédait une fiche de construction édifiante : « Relativement à l'extérieur : Revêtements dominants : Amiante. Murs : Amiante. Toiture : Plaques bardeaux d'amiante. » Deo gratias. Mais que faisaient Dieu et
Johanes Hansen dans un endroit pareil ?..."
Jean-Paul DUBOIS - Tous
les hommes n'habitent pas le monde de la même façon
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